Comme Monsieur CSV est philosophe, on pouvait attendre de sa part un avis pondéré, non partisan, épris de doute, examinant le pour et le contre et maniant les arguments, même dans une brève intervention, afin de faire réfléchir ses auditeurs au fait que la recherche de la vérité n’est pas chose facile. Las! Au contraire, nous l’avons entendu réciter une doctrine sans doute et sans appel. Celle-ci se résume en quelques sentences : 1) nous sommes en démocratie, donc 2) l’élu du suffrage universel doit être respecté quoi qu’il fît, donc 3) les personnes qui manifestent leur mécontentement, parfois de façon violente qui plus est, ne respectent pas cette démocratie et la mettent en danger. CQFD .
Nous aurions pu espérer, quelle que soit d’ailleurs sa position personnelle, que Mr CSV instille un peu de controverse dans son discours. Par exemple, première vérité : la France du Président Macron est-elle vraiment une démocratie ? Les nombreuses mesures autoritaires, l’effacement du contre pouvoir de l’Assemblée, tout acquise à la cause du Président, l’élection pour 5 ans d’un monarque républicain ayant tout pouvoir sans avoir de compte à rendre, entre autres arguments, sont des sujets qui auraient mérité d’être évoqués par Monsieur CSV, même s’il considérait à titre personnel que, oui , on est bien en démocratie.
Quant à la mise en danger de la démocratie, on aurait aussi aimé qu’il mentionne au moins l’argument contraire, selon lequel, la montée d’un pouvoir de plus en plus autoritaire et répressif, l’absence de débat démocratique, de dialogue syndical, étaient autant d’éléments susceptibles de générer la violence et de faire le lit de régimes encore plus autoritaires.
Quant à la violence populaire, on aurait d’abord aimé la voir relativisée face à l’immense majorité pacifique des manifestants et des grévistes. Ensuite, si tout le monde est en général d’accord pour condamner la violence, toutes les violences, d’où qu’elles viennent, on ne s’attendait pas en revanche qu’un philosophe choisisse le type de violence contre laquelle s’indigner, en passant sous un silence complice, la violence des décisions gouvernementales et de la répression policière.
Selon Mr CSV, la démocratie est une chose figée. Il y avait l’avant démocratie, et puis la démocratie dans son état actuel qui devrait rester immuable. Quand il dit « démocratie », on entend « ordre établi aujourd’hui ». On aurait aimé qu’il fasse remarquer que la démocratie était par définition évolutive et qu’elle ne pouvait exister que parce que le pouvoir pouvait être contesté.
Ensuite, comme pour disqualifier les arguments précités, qu’il avait pourtant omis de mentionner, Monsieur CSV a déclaré que « quelques centaines de milliers de manifestants » ne pouvaient imposer leur volonté à des « millions d’électeurs ». Là encore, point de considération sur le fait que les manifestants pouvaient n’être que la partie émergée de l’iceberg du mécontentement ; qu’il existait de nombreuses raisons de ne pas aller manifester ou de faire la grève alors que l’on soutenait les manifestants et les grévistes. Réciproquement, du fait même du système électoral et de l’importance donnée à l’élection d’un seul homme, d’un « chef », contre son adversaire plutôt que pour lui, on aurait pu entendre que les millions d’électeurs de Mr Macron au 2ème tour pourraient bien être loin d’avoir souhaité lui donner les pleins pouvoirs. Quant à la minorité même des supporters du Président au premier tour des élections, on pourrait suspecter que certains d’entre eux soient choqués aujourd’hui du comportement indigne du gouvernement. En balayant d’un revers de main et en risquant de sous estimer gravement l’importance du mécontentement, Monsieur CSV n’aggrave-t-il pas encore la situation ? Le mécontentement populaire n’est-il pas déjà déclenché et nourri par le mépris des dirigeants et des puissances financières, auxquels se joignent certains intellectuels, tous très éloignés et ignorants de ce peuple, sans lequel pourtant, il n’y a pas de démocratie !
Ah, si Monsieur CSV était né au dix-huitième siècle, aurait-il été un philosophe des Lumières ? Aurait-il alors défendu bec et ongles la démocratie, à cette époque une idée subversive, contre le despotisme ? Ou, comme aujourd’hui, se serait-il rangé du côté des puissants, de l’ordre établi, préférant l’ordre à n’importe quel prix, plutôt que tout risque de « désordre » populaire ?