- L’expression d’opinions de gauche, même très modérées, est qualifiée d’ « extrême-gauche»
Dans la novlangue, le terme de gauche n’existe plus. Il ne peut s’agir que d’ « extrême-gauche ». Ainsi les opinions modérées consistant à réclamer moins d’injustice sociale, plus d’aide aux plus défavorisés et finalement d’inverser la vapeur du rouleau compresseur néolibéral qui sévit depuis au moins quarante ans, seraient « extrémistes ». Il n’y est cependant jamais plus question de révolution brutale, ni de saisie revancharde des biens des plus fortunés, ni d’égalité absolue et forcée, qui pourraient être à juste titre considérées comme des intentions extrémistes, facteurs de guerre civile et d’insécurité.
L’objectif de la gauche citoyenne au 21ème siècle, est seulement d’arrêter de creuser l’écart de classe qui résulte de décennies de faveurs faites à une minorité de très riches. Et par là même de créer une détente sociale en diminuant le risque d’actions violentes liées à l’aggravation de la précarité.
En fait, ce que réclament les citoyen.ne.s de gauche, qui sont aujourd’hui presque les seul.e.s à le réclamer, c’est simplement l’application de la démocratie. Les autres tendances politiques réclament aujourd’hui « moins de démocratie », plus d’autoritarisme, par idéologie pure ou pour soi-disant s’adapter à la « dette publique », relativisent l’Etat de droit, et stigmatisent les immigrés qu’ils rendent responsables de l’insécurité.
Outre que le terme « extrême », insinuant que ses intentions sont excessives et non réalistes, a pour but de décrédibiliser la gauche et de faire peur à une part de l’électorat, il permet pour la droite classique de mettre dos à dos dans le même sac les soi-disant extrêmes, droite et gauche, pour présenter les partis de droite « traditionnels » comme la seule alternative raisonnable.
L’extrême-droite, en revanche, peut pertinemment être présentée comme extrême. De par ses origine pétainiste, collaborationniste avec les nazis, colonialiste d’un autre temps avec l’OAS, et plus anciennement anti dreyfusarde, antirépublicaine et factieuse en 1934, cette droite-là transporte bien des valeurs de haine sociale (ennemie des mouvements d’émancipation), et raciale (dont notoirement et historiquement l’antisémitisme, nous y reviendrons) dont l’Histoire a déjà démontré les conséquences funestes. Elle est bien extrême dans ses objectifs et créatrice de violences et d’insécurité. C’est elle et ses zélotes venues de la droite « classique » qui mettent ainsi en péril la paix sociale.
Qualifier la gauche citoyenne d’extrême, de la diaboliser donc, est une action symétrique et synchrone de la dédiabolisation de l’extrême-droite en cours depuis quarante ans également, concomitamment avec l’avènement du néolibéralisme dont les chantres milliardaires promulguent abondamment les « idées » dans leurs médias et soutiennent financièrement les mouvements, comme jadis les riches industriels l’ont fait avec le parti nazi.
En effet, les mouvements et partis d’extrême droite veulent pour la plupart désormais apparaître comme des mouvements d’opinion normaux et refusent la qualification d’extrême. Cependant, il est notable qu’ils n’ont jamais renié officiellement leurs credo d’antan ; jamais déclaré qu’ils avaient fait fausse route en soutenant le nazisme, en attisant la haine antijuive, en soutenant à n’importe quel prix le colonialisme. Pourquoi, pourrait-on se demander puisqu’ils souhaitent se normaliser et se rendre présentables ? Certainement parce qu’ils perdraient alors une de leur base électorale radicale qui les trouveraient (et les trouvent déjà) trop mous.
- Les citoyens luttant contre tous les racismes, dont l’islamophobie, sont qualifiés d’ « islamo-gauchistes»
Ce terme, construit idéologiquement de la même façon que le « judéo-bolchevique » du siècle dernier, signe ainsi son origine d’extrême-droite. Comme jadis il veut suggérer qu’un groupe idéologique situé à gauche (ennemi intérieur) s’allie à un groupe « ethnique » étranger (ennemi extérieur) pour corrompre notre civilisation et la dominer par la force. Comme l’ennemi désigné n’est plus pour l'extrême-droite, pour des raisons opportunistes, le peuple juif, l’extrême droite stigmatise la civilisation islamique.
Que les citoyens de gauche dénoncent l’islamophobie ambiante, manipulée à outrance à des fins électorales par la droite et l’extrême-droite, elle est immédiatement dénoncée comme sympathisante des islamistes radicaux. Quel raccourci ! Quel rapport entre les immigrés de pays à majorité musulmane, dont certains sont agnostiques, beaucoup des pratiquants musulmans dont les pratiques religieuses ne dérangent personne, et une minorité « islamiste », c’est-à-dire tenante d’un islam radical dont l’Etat imposerait les lois, en rupture totale avec le principe laïc de la séparation des Eglises et de l’Etat ?
Une motivation majeure pour être un citoyen de gauche est justement ce principe républicain laïc de non-ingérence des confessions religieuses dans les affaires publiques. Comment ces mêmes citoyens apprécieraient, soutiendraient secrètement ou publiquement, et finalement favoriseraient l’avènement de mouvements religieux fanatiques et violents rêvant de s’emparer du pouvoir ? Comment le fait d’être offusqué par les multiples manifestations d’intolérance envers les « musulmans » et dénoncer les gestes (voire les crimes) racistes, peut-il être confondu avec un soutien à des mouvement terroristes obscurantistes, sinon justement pour semer la confusion?
Une des première apparition de ce néologisme l’a été pour critiquer un texte d’Edwy Pleynel, intitulé « Pour les musulmans » [1]. Ce texte s’inscrivait en défense contre l’islamophobie et son titre était un clin d’œil au texte d’Emile Zola « Pour les Juifs » [2].
A juste titre, tant la proclamation d’un « problème » musulman dans la société actuelle, que la proclamation d’un « problème juif » à la fin du XIXème et au début du XXème siècle par les chantres d’extrême-droite d’hier et d’aujourd’hui, s’inscrivent dans la même logique absurde et raciste. On sait à quelles « solutions » criminelles a mené la considération d’un soi-disant problème juif. Il est donc licite d’alerter sur les dangers, que l’on voit d’ailleurs se matérialiser au Moyen-Orient, de considérer qu’il y aurait un problème musulman.
Il n’est pas question ici de minimiser l’existence d’un terrorisme islamique fanatique bien réel et manipulé politiquement. Mais la question est de savoir qui le soutient. Des « gauchistes » ? les citoyens de gauche modérée ? Ou bien plutôt certains grands groupes industriels les finançant ? Le groupe français Lafarge, qui a plaidé coupable devant la justice des USA et versé une amende de 778 millions de Dollars pour avoir versé des sommes importantes à Daech à des fins commerciales [3], n’est toujours pas condamné en France malgré une mise en examen pour ces faits [4]. D’où est venue dans le monde l’aide financière et/ou militaire énorme qui a permis à Daech de monter une armée dont le nombre de tanks aurait été supérieur à celui de l’armée française [5 ]? Les citoyens de gauche qui luttent contre les discriminations ou l’islamo-capitalisme ?
- Les citoyens de gauche seraient devenus (ou auraient toujours été, selon les écoles !) antisémites
Parmi les motivations des citoyens de gauche, la lutte contre tous les racismes est au premier rang. Les mouvements populaires de gauche se sont historiquement distingués par leur lutte contre le racisme, pour l’universalisme, l’anticolonialisme et la paix entre les peuples. Par quel mystère l’antisémitisme serait (devenu) une exception à cette règle ? Pour quelles raisons seraient-ils anti-racistes, sauf vis à vis des juifs ? Ne nous attardons pas sur le pseudo argument selon lequel critiquer la politique de l’état d’Israël (et non pas l’état lui-même) serait une manifestation d’un crypto-antisémitisme. Il n’a aucune légitimité. Par quel raccourci le fait de critiquer les actions du gouvernement d’un état serait assimilable à du racisme envers ses citoyens et, au-delà, à tout une communauté de par le monde ? Y aurait-t-il des états dont la critique de la politique est interdite et assimilé à un blasphème ? Les antinazis auraient-ils dû, selon la même logique, être traités d’anti-allemands ? C’est sans doute ce qu’affirmaient les nazis.
Parallèlement, c’est oublier rapidement qui a exprimé, promu, pratiqué l’antisémitisme. De l’affaire Dreyfus à l’holocauste nazi, jusqu’au FN de Jean-Marie Lepen, c’est toujours l’extrême-droite qui a utilisé, manipulé l’antisémitisme et les mouvements de gauche qui l’ont combattu. Pour les citoyen.ne.s de gauche né.e.s après la deuxième guerre mondiale, l’horreur de la révélation des camps de la mort (confirmée concrètement par les personnes que nous croisions portant un matricule tatoué sur l’avant-bras) a percuté l’enfance et stimulé les motivations antifascistes pour que plus jamais une telle situation ne se reproduise. Au contraire, nombre de militants d’extrême-droite en France ont exprimé leur sympathie envers la collaboration et Pétain [6], voire leur engagement dans la Waffen-SS [7], ou leur négationnisme vis-à-vis de la solution finale nazie [8]. Bien sûr, à entendre les chantres de la dédiabolisation, tout cela serait du passé. Cependant aucune parole de repentir n’a jamais été prononcée pour ces prétendues « erreurs » du passé.
La posture actuelle de l’extrême-droite est de se présenter en ennemie de l’antisémitisme, sans qu’aucune explication à ce revirement ne soit énoncée. Cette posture a plusieurs raisons. Premièrement, en s'autoproclamant la meilleure amie des juifs, elle justifie son islamophobie. Deuxièmement, c’est surtout le gouvernement d’extrême-droite actuel de l’état d’Israël, qui ne représente ni les juifs du monde, ni même l’ensemble des citoyens israéliens, qu’elle soutient par affinité idéologique. Enfin, en rejetant l’antisémitisme sur la gauche elle espère s’en dédouaner.
- Être de gauche c’est être « Woke»
Le Wokisme est un terme venu d’Amérique et qui signifie être conscient des problèmes d’inégalité sociale, dont l’inégalité entre les sexes, de racisme et d’écologie. Evidemment le mouvement et le terme ont été créés et véhiculés par des mouvements citoyens plutôt de gauche, du fait même de son orientation. Le terme est aujourd’hui surtout galvaudé par la droite et l’extrême droite pour dénoncer une prétendue mainmise, voir une conspiration, de milieux favorisés et bienpensants pour imposer une idéologie et faire taire au nom de la morale, les « idées » différentes (comprenons le maintien des inégalités sociales comme principe vital des sociétés humaines, la stigmatisation des minorités, qu’elles soient ethniques, confessionnelles, sexuelles ou autres). C’est dire que le mouvement woke n’est qu’un terme de mode pour désigner des prises de positions de gauche beaucoup plus anciennes. Le terme est utilisé pour ridiculiser, une méthode toujours largement utilisé dans toute propagande. Toute la gauche serait « woke », c’est-à-dire dirigée par une élite intellectuelle, universitaire et artistique (ah, la haine des intellectuels et des artistes chère aux fascistes de tous les âges !), loin des « petites gens » et de leurs préoccupations quotidiennes (n’y voyez aucune arrière-pensée électoralo-poujadiste -tiens, moi aussi je créé des néologismes-) uniquement préoccupée par la promotion du transsexualisme, de l’homosexualité, de l’égalité de sexes et d’écologie, tous sujets dérisoires voire scandaleux pour les milieux ultra-conservateurs qui nous parlent de wokisme.
Eh bien non, les citoyen.ne.s de gauche populaire se moquent d’être ou de ne pas être « woke », même si le mouvement woke s’est appuyé sur des combats de gauche. Ils/elles se battent pour moins d’inégalité sociale, dont ils/elles se sentent au premier rang des victimes, et donc, contre la stigmatisation de n’importe quelle minorité, à commencer par les plus pauvres, mais aussi les minorités ethniques, sexuelles. Ils/elles luttent contre la succession de lois antisociales qui les oppriment et favorisent les plus riches à s’enrichir d’avantage, contre la destruction progressives des services publics. Ils se battent aussi pour que des mesures de protection de la planète ne soient pas que des paroles sans suite et que la destruction du climat ne soit pas poursuivie de façon suicidaire pour des intérêts financiers qui ne les concernent pas. Ces mêmes intérêts financiers qui, via la quasi-totalité des médias à leur solde, dénigrent sans discontinuer les mouvements populaires qui ne sont ni extrêmes, ni antisémites, ni pro islamistes, et qui n’ont nul besoin d’un nouveau mot pour les désigner.
Références :
- Pour les musulmans - Edwy Plenel - Éditions La Découverte
- Zola : « pour les juifs » | lhistoire.fr
- Lafarge en Syrie : Le cimentier reconnaît avoir aidé Daesh, la justice américaine le fait payer
- Lafarge définitivement mis en examen pour complicité de crimes contre l'humanité - rts.ch - Monde
- https://www.youtube.com/watch?v=RqI..
- Pétain - Site officiel de l'Association pour Défendre la Mémoire du Maréchal Pétain (ADMP)]
- RN-FN, historique d'un parti fondé par des Waffen-SS que certains veulent réhabiliter - L'insoumission
- Une tradition extrémiste : le négationnisme | Cairn.info]