Lors de la campagne présidentielle de 2012, nous (une partie des électeurs de gauche), n’étions pas emballés.
Déjà, pas emballés pour élire un monarque présidentiel au suffrage universel, pensant que cette parodie de démocratie, pas plus qu’hier et que demain, ne résoudrait aucun problème social ou économique.
Ensuite, nous n’étions pas emballés par la primaire à gauche, seconde caricature démocratique, persuadés que la politique n’était pas un problème de personne, mais de programme politique cohérent associé à une équipe décidée à l’appliquer et soutenue par une majorité populaire. On était loin de tout çà, notamment d’un programme.
Quant au candidat FH… comment être emballé ? Il n’émanait de cet homme qu’une image de technocrate de parti, chercheur de consensus à tout prix, sans relief et sans conviction, qualités dont l’absence est, certes, hautement recommandée pour se hisser au rang de chef de parti sans faire de vague et en essayant de ne déplaire à personne (ce qui, dit en passant, est impossible, comme en prend conscience tout être humain dépassant l’âge de huit ans). Mais de courage politique, de vision politique à long terme, point à l’horizon.
Pourtant, pensant avoir atteint le fond de la vie politique avec son prédécesseur, voter même sans enthousiasme FH, c’était l’espoir d’une « normalisation », appuyée de plus sur un certain nombre de valeurs « de gauche », de par la tradition du PS et de ses militants, d’une part, et de par les engagements de campagne, d’autre part, comme d’affirmer la prépondérance de l’Etat sur la finance, de réorienter la politique européenne comme l’espéraient les bafoués du « non » au référendum de 2005, de diminuer l’arbitraire policier le plus voyant, comme les inutiles contrôles au faciès.
Certes personne ne pensait élire un révolutionnaire. Certes FH, comme le PS dans son ensemble, ne se cachait pas, et même revendiquait, d’être social démocrate. Mais voilà, après tout, les rapports de force sociaux ne rendaient pas forcément réaliste, dans le contexte de 2012, une révolution en profondeur, dont les risques de dérives violentes ne sont jamais négligeables. Alors pourquoi pas une politique sociale démocrate, qui devrait bon an mal an aller dans le bon sens, rattraper les dérives droitières et extrême droitières du précédent septennat, tout en maintenant la paix sociale ? Peut-être était-ce la meilleure solution pour la société, la voix de la sagesse ? Après tout, l’exemple plus ou moins réussi des pays scandinaves était là pour nous montrer que la social-démocratie pouvait marcher sur le long terme. Au moins un tel gouvernement doit protéger les plus démunis, réduire les inégalités, être porteur de progrès sociaux, tout en ménageant relativement les possédants, en les rassurant de ne pas les spolier, toutes choses dont un homme de consensus habile devait être passé maître. Alors pourquoi pas FH, notamment en l’absence d’alternative au second tour ?
En fait, jamais tromperie politique n’a atteint cette ampleur. Jamais l’expression social-traître n’aura été aussi méritée. Dès le lendemain des élections, ce gouvernement n’a fait que renier ses engagements (à part le mariage homosexuel pour être juste), que se prosterner servilement devant la finance, devant les diktats européens et les exigences du Medef. Et d’appeler cette lâcheté courage. Et de ne même pas se sentir obligé de se justifier, comme le ferait un roi de roi divin. De laisser entendre, mais sans jamais l’exprimer clairement, qu’il s’agit de realpolitik, que c’est la seule façon de faire, qu’une élite dirigeante sait ce qui est bon pour le peuple, et qu’elle aurait le courage politique de mettre en œuvre des mesures nécessaires bien qu’impopulaires.
Certes ce gouvernement a le droit de penser que la mise en place d’une économie néolibérale pure et dure est la meilleure option, le moindre mal pour le plus grand nombre. Mais alors pourquoi ne pas avoir fait campagne sur ce programme, plus à droite que celui des partis de droite traditionnels ? La réponse n’est que trop évidente : parce que FH n’aurait pas été élu. Alors il s’agit d’une des plus formidables escroqueries électorales. Beaucoup de politiciens font des promesses électorales qu’ils savent, ou présument, ne pas pouvoir tenir même en essayant. FH a fait des promesses qu’il n’avait aucune intention de tenir.
Quelle belle leçon d’antidémocratie ! Quelles que soient les velléités populaires, exprimées par un scrutin (comme déjà en 2005 dans un référendum), personne n’en tiendra compte et une politique néolibérale extrême sera maintenue, quelle que soit la pseudo-couleur affichée des élus !
Et où est la social démocratie dans tout cela ?
Où est la démocratie quand les promesses faites aux électeurs sont bafouées, quand le pouvoir est exercé par un monarque républicain qui dit « j’ai décidé » à tout bout de champ en pensant que ça impressionne ses auditeurs, alors que ça ne fait que les irriter, quand le pouvoir exécutif, qui devrait se contenter d’exécuter, fait les lois qu’il daigne à peine faire valider par le pouvoir « législatif », quand il ne fait pas carrément usage de décrets ?
Où est le social quand systématiquement, quasi méthodiquement, le pouvoir prend le parti des puissants aux dépends des plus faibles ? Où sont l’équilibre et l’équité ? Pourquoi menacer à ce point la paix civile en multipliant les injustices flagrantes ? Le rôle du pouvoir exécutif n’est-il pas justement de maintenir la paix sociale ?
Et que dire du mépris du souhait, exprimé par beaucoup d’électeurs de gauche, de moins d’autoritarisme? Du souhait de sortir du tout répressif cher à la droite (sauf pour les délinquants fiscaux et autres voyous en col blanc, cela va sans dire), inefficace et même souvent amplificateur de la délinquance ? Le message électoral n’est pas bien passé, alors il faut le répéter plus fort : Nous ne voulions plus voir à la tête de la police des hommes dont la conception du maintien de l’ordre était trop teinté d’idéologie extrême-droitière. Nous ne voulons pas aujourd’hui les voir remplacés par leurs équivalents auto proclamés « de gauche », avec les mêmes principes, même méthodes, mêmes mouvements de menton mussoliniens, même consignes données aux forces de l’ordre, effaçant ainsi d’un revers de main les espoirs des électeurs de gauche d’une police moins arrogante, moins violente, moins raciste et plus au service des citoyens-contribuables qui la mandatent et la paient.
Ce formidable mépris des électeurs est permis par l’absence totale de sanction prévue dans notre constitution à l’égard des politiciens cyniques, pas même de mesure « d’impeachment » pour raccourcir leur mandat.
Et puis vint la cerise sur le gâteau : la loi El Khomry. Injure suprême, insulte lancée dans la figure des salariés et des électeurs. Non seulement la loi ne protègerait plus les plus faibles des excès des plus puissants, (ce qui est pourtant la base de la loi et du contrat social), non seulement la règle ne serait plus la même pour tout le monde (ce qui est un gage d’égalité également à la base de l’esprit des lois), mais elle se discuterait localement au gré des rapports de force locaux rarement en faveur des salariés, par ailleurs fragilisés par la situation de l’emploi, les pressions de l’employeur et la menace implicite du licenciement arbitraire qui, comble de cynisme, est facilité, même autorisé, par ladite loi.
Dans le détail, la réalité du projet de loi est encore plus effarante : toutes les mesures sont en faveur des employeurs, sans même de forme, de détails qui pourraient les rendre attrayantes aux salariés. On se dit qu’on a mal lu, on relit, mais non, rien n’apparaît favorable aux salariés. Tout est écrit avec une extrême dureté, sans justification autre qu’un improbable effet sur la création d’emplois auquel même le Medef ne croit pas. Le maniement du paradoxe : faciliter les licenciements pour favoriser les embauches, sans argumentation plausible, apparaît comme une insulte à l’intelligence des salariés. Comme l’est la déclaration rétrospective selon laquelle le projet de loi passerait mal pour la seule raison qu’on l’aurait expliqué mal, alors que son contenu n’est que trop explicite. On relit encore et l’on n’en croit pas ses yeux : les mesures concernent tous les acquis des salariés au décours des luttes sociales du XXème siècle. C’est un retour au XIXème siècle aggravé en dureté par la mondialisation. Et tout ceci sous prétexte de modernité ! Vouloir conserver des droits justes acquis durement serait un signe de conservatisme étriqué, exprimé par une poignée de handicapés sociaux incapables de s’adapter, de se « flexibiliser » aux exigences de la vie moderne en perpétuelle mutation! Tandis que rétablir les privilèges injustes et acquis facilement par les puissants serait un signe de progrès et de dynamisme social. En plus d’être menacés ouvertement par le projet de loi, nous autres citoyens, sommes bafoués une seconde fois d’être pris pour des imbéciles !
Une véritable approche sociale démocrate aurait voulu apporter un certains nombre de mesures réellement favorables aux salariés, tandis que, pour ménager la chèvre et le chou, certaines mesures auraient été favorables aux employeurs, dans un certain esprit d’équité. Même si le gouvernement Sarkozy avait voulu faire passer cette loi (il en rêvait sûrement mais ne l’osait pas par peur du tollé qu’elle aurait soulevé), il aurait sûrement introduit une ou deux mesures favorables aux salariés pour faire passer la pilule. Mais là, pas même de forme, pas un égard pour « la populace » qui est perçue suffisamment affaiblie pour avaler n’importe quelle couleuvre. Juste un dévouement servile aux exigences du Medef. Et pas des plus intelligentes. Ne plus garantir la durée minimum d’absence en cas de décès d’un proche…A qui cette mesure aurait pu profiter et comment favoriserait-elle l’emploi? Dans quel esprit de psychopathe dénué d’empathie une telle idée a-t-elle pu germer ? Pourquoi personne ne l’a censurée avant d’oser la brandir ? Elle a été vite retirée, mais le mal était fait, l’intention était là. Plusieurs des propositions n’apparaissent en effet que comme des mesures vexatoires, cyniques et revanchardes d’un patronat n’ayant pas digéré les victoires populaires et assoiffé de vengeance, espérant soumettre et asservir des salariés affaiblis par la menace du chômage et le spectre de la précarité.
Il est des actes et des paroles qui ne se pardonnent pas.
Voilà, c’était l’action de trop, la goutte qui fait déborder le vase, celle qui rend toute réconciliation inimaginable. Mr Vals a déclaré qu’il y avait désormais « deux gauches » irréconciliables. Non, il n’y a toujours qu’une seule gauche, même si elle est variable et plurielle, celle du peuple aspirant à plus de démocratie, et une droite, dont vous faites partie, Mr Vals, mais en essayant de surpasser le modèle original.
Si vous avez l’inconscience de vous représenter en 2017, Mr Hollande, ayez le courage cette fois de déclarer franchement: « mon ami, c’est la finance, mon maître, c’est le Medef, et mon modèle social l’autoritarisme liberticide ». N’oubliez pas de préciser, si vous osiez encore déclarer que vos détracteurs sont des réactionnaires arqueboutés sur des acquis d’hier, que vous êtes, vous, le défenseur inconditionnel de la société d’avant-hier.