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Billet de blog 19 janvier 2020

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LA PRESIDENCE DU DESHONNEUR ET DE L’INDIGNITE

Nous avons voté en 2017 contre la Peste Blonde et Mr Macron feint de croire que nous avons voté pour lui. Ou bien nous nous sommes abstenus ou avons voté nul et il feint de croire que nous n’existons pas.

PATRICE HERAIT

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Certes c’est le jeu électoral de la Vème république que d’offrir sur un plateau les pleins pouvoirs à quelqu’un qui a réuni au premier tour, disons pour être généreux, 17 à 18% des suffrages des inscrits. Car ce jeu exécrable, dont nous devrions essayer de sortir au plus vite, nous oblige, nous contraint pieds et poings liés, à faire élire celui ou celle des deux candidats du deuxième tour qui nous paraît le moins détestable. quand on est parvenu, grâce à ce stratagème, aux pleins pouvoirs, on n’est pas obligé de les appliquer en permanence. Les républicains romains avaient inventé la fonction de « dictateur » élu, pour faire face à une situation d’urgence pour laquelle le débat démocratique n’est pas approprié. Où est l’urgence ? Même parmi les autocrates des siècles passés, il y eu des « despotes éclairés ». Ceux ou celles qui, au-delà de leur soif de pouvoir, essayaient de promouvoir des réformes qui, au moins le pensaient-ils, devaient améliorer le sort de leur « sujets », en tout cas de ceux parmi les plus défavorisés. Peut-être parce qu’ils essayaient de s’élever spirituellement ? Peut-être pour laisser d’eux une image digne, voire par empathie ? Et peut-être surtout par peur que trop d’injustice ne déclenche violences, révoltes, et leur lot de victimes ; ce qui en la matière peut être qualifié de sagesse.

Surtout quand il sait que moins de 20% des inscrits l’ont vraiment appelé de leurs suffrages, un élu doit composer, essayer de comprendre les revendications légitimes de la grande majorité qui, justement, ne l’a pas appelé ou pas de bon cœur, plutôt que d’appliquer à la hussarde un plan préétabli qui est probablement loin de satisfaire même l’ensemble des supporters du premier tour. Car enfin, même un homme de droite, fidèle allié des puissants de ce monde qui souhaite faire passer des réformes ultralibérales (de manière forcément autoritaire, puisqu’elles vont à l’encontre de la volonté populaire), doit avoir le panache de faire une série de gestes en faveur de celles et ceux que ces réformes accablent, pour en atténuer justement la rigueur et maintenir la paix sociale.

Or, c’est tout au contraire que nous assistons effarés. Une équipe gouvernementale (non élue, elle, mais choisie par le Maître) issue des milieux les plus nantis de la société va décider de ce qui est bon pour nous. Ils proviennent pour beaucoup des milieux de la finance, de la banque ou des affaires internationales, c’est-à-dire des domaines virtuels, inventés par les humains, ignorant tout de la vraie vie, de ce qui est régi par les lois de la physique et de la biologie. De l’architecte à l’éboueur, du professionnel de santé au boucher, de l’avocat au gardien de prison, du policier au travailleur social, la plupart des professions sont exposés et font face quotidiennement aux lois qui régissent notre environnement et notre vie en dehors de toute volonté humaine. La plupart de nos dirigeants, maintenus depuis leur naissance dans des tours d’ivoire sociales, se retrouvent bien éloignés de ces réalités et, a fortiori, de ce que sont et vivent l’écrasante majorité de nos concitoyens. Enfin, bien pire que l’origine sociale qui, après tout, n’est pas forcément une tare irrémédiable, il y a la surdité aux voix qui s’élèvent, aux mécontentements qui grondent, l’obstination obtuse et l’arrogance de ceux qui croient détenir la vérité, l’aveuglement aux voyants rouges qui s’allument de partout et qui devraient faire infléchir la politique de dirigeants éclairés qui se seraient momentanément égarés.

Car il y a quelque chose dans ce gouvernement qui ressemble à du fanatisme idéologique. Repus d’une doctrine libérale vieille de 250 ans, dont le bienfondé n’a jamais été prouvé et souvent pris en défaut, celle d’un Adam Smith croyant en la main magique du marché et en l’effet de ruissellement, ses représentants voudraient façonner à coup de décrets le monde réel à l’aune de cette doctrine au lieu de s’adapter au monde. Rien de pire que des intégristes pour vouloir façonner le monde à l’image qu’ils en ont. Aucun argument ne peut les convaincre. Et quelle arrogance de vouloir infliger à leurs concitoyens ce dont ceux-ci ne veulent pas. De quel droit ? Même si l’on pense qu’une personne ou un groupe de personnes à tort, c’est un délit que d’imposer son point de vue par la force.

Depuis le début de ce quinquennat, toutes les mesures vont dans le même sens : aggraver la situation des plus démunis en faveur d’une ultra minorité d’ultra riches. Réforme des APL, modification du droit du travail, diminution des indemnités chômage, réformes des retraites, flat taxes sur les revenus du capital, diminution de l’impôt sur le revenu pour les plus aisés, diminution de l’ISF…(la liste n’est pas exhaustive) et sabordage systématique des services publics (SNCF, école, hôpital, Postes, EDF….), dont l’objectif était d’adoucir les inégalités sociales grâce à un financement solidaire de l’ensemble des couches sociales en fonction de leurs revenus. Grande braderie des biens publics (ADP, Française des jeux…) sources de revenus publics, qui correspond à un transfert de biens publics dans des poches privées. Tout cela pourquoi ? parce que les ultras riches ne veulent plus contribuer à la solidarité. A partir d’un certain niveau de revenus (très élevé) il est plus avantageux à titre individuel de payer des services privés que de contribuer financièrement à l’effort commun à hauteur de ses revenus. Il est plus économique de payer une école privée, un médecin privé, des transports privés que de payer des contributions sociales (très élevées quand on est très riche), notamment pour l’assurance maladie et l’assurance vieillesse. Alors, au-delà d’un certain seuil plafond de revenus, plus de contribution à l’assurance vieillesse, mais la participation à un fond de pension privé qui, du même coup va enrichir les assureurs. Ainsi les riches seront plus riches en payant moins de subventions et les pauvres plus pauvres en recevant moins de prestations faute de moyens. Pas de doute qu’après l’assurance vieillesse, c’est l’assurance maladie qui est dans le viseur car le raisonnement est le même.

Paradoxalement, le discours officiel dit le contraire de la réalité (du même coup faisant perdre toute signification à la parole prononcée). La politique gouvernementale ne serait « ni de droite, ni de gauche » alors que les réformes engagées sont toutes sans exception politiquement de droite. Une des priorités du gouvernement serait « la lutte contre la précarité » alors que toutes les mesures intuitivement tendent à l’aggraver et que l’intuition est confirmée dans les faits par l’incroyable augmentation du nombre de précaires observée par le milieu associatif. Ce milieu lance-t-il des alertes ? Elles ne sont pas entendues ou qualifiées de tendancieuses. Le candidat à la Présidentielle avait-il promis de faire disparaître les personnes dormant dans les rues ? On en voit de plus en plus et le 115 ne répond même plus quand on l’appelle pour des enfants ! Le gouvernement a lancé la réforme des retraites pour « plus de justice sociale et d’égalité » alors qu’il se prépare à aggraver l’un et l’autre. Le président dit en visionnant le film « Les Misérables », qu’il faut « faire quelque chose pour les banlieues » mais rejette de façon honteuse le rapport Borloo. Au déshonneur s’ajoute le cynisme.

Enfin face à l’aggravation des inégalités et de la précarité, un formidable mouvement populaire s’est levé depuis un an, le plus souvent non violent, pour faire entendre ses doléances, essentiellement justifiées, et réclamer plus de démocratie. Après les moqueries, les fausses informations essayant de l’associer à l’extrême-droite, il a été essentiellement accueilli par une répression aveugle et inutilement violente ne distinguant pas la minorité de casseurs de la majorité manifestants pacifiques. Alors que les revendications exprimées ont été extrêmement dignes (pas de revendications identitaires ou racistes, malgré des tentatives évidentes d’infiltration du mouvement par l’extrême droite et la tentation, toujours présente, d’attribuer ses malheurs à une communauté immigrée), le président a monté un grand « Débat » pour faire valoir ses idées , passant sous silence dans le questionnaire des revendications essentielles mais introduisant subrepticement des questions sur l’immigration et sur les incivilités ( ?). D’un côté un mouvement digne avec des revendications dignes de personnes en détresse et de l’autre l’indignité de faire ressurgir les vieux démons qui pourtant n’avaient pas été agités. N’est-ce pas jouer avec le feu ? Et dans cette même veine, comme pour en rajouter une couche, à l’initiative du Président lui-même, on relance la méfiance à l’égard des « étrangers fraudeurs » pour restreindre les droits de l’Aide Médicale d’Etat comme si c’était un problème essentiel. La commission d’enquête conclut qu’elle n’a pas trouvé de fraude majeure ; cela ne fait rien, le prince a décidé que les droits de l’AME seraient restreints. Pendant ce temps, les puissants fraudeurs et délinquants fiscaux (une autre façon d’échapper à la solidarité) sont peu inquiétés.

Et que dire du silence pesant de notre gouvernement devant les violences policières, alors que c’est le rôle du ministre de l’Intérieur, du Premier ministre et du Président de jouer les arbitres, d’avoir le courage de faire respecter les règles, de dire tout haut ce qui n’est pas admissible dans une démocratie. C’est pour ce rôle d’arbitre aussi qu’ils ont été élus. Ce ne sont pas les indignations tardives (après plus d’un an d’agitation sociale et de répression), ou la volonté de faire payer un lampiste, qui rendent crédibles les timides promesses de changement.

Nous voici maintenant au mouvement contre la réforme des retraites. Au-delà du contenu de cette réforme dont l’inanité est claire, son annonce est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de tout ce qui avait été accumulé avant comme colère. Le front des mécontents s’élargit tous les jours. Et que croyez-vous qu’il arrivât ? Notre bande douée de la science infuse s’arque boute sur ses positions et devient responsable d’un formidable chaos. Quel pouvoir est assez fou pour ne pas négocier avec les syndicats afin de canaliser le mécontentement ? N’accordez plus rien aux syndicats, ils deviendront non crédibles, et la contestation prendra des voies alternatives beaucoup plus difficiles à contrôler.

Quelle image laissera ce gouvernement aux générations futures ? Celle de serviteurs zélés  des puissants, qui auront aggravé la précarité et les inégalités, méprisé les revendications, détruit systématiquement toutes les avancées sociales du XXème siècle, entraîné un formidable recul  de civilisation, préparé le lit de régimes encore plus autoritaires, favorisé l’enrichissement des plus riches, sans même l’élégance de petits gestes en faveurs de plus démunis. L’Histoire sera sévère. Dans la plupart des régimes, il y a des aspects positifs. Que trouveront de positif nos petits enfants dans ce régime proche de celui de la Restauration de 1815, où le rôle de l’aristocratie est remplacé par celui de la grande bourgeoisie revancharde ?

J’entends aller bon train les commentaires sur le Macron’s bashing. Non, le phénomène en cours n’est pas le fait du seul Président en poste depuis 2 ans et demi. Le Président actuel n’est que le maillon le plus récent d’une longue chaîne et il en représente le paroxysme, comme il déclenche le paroxysme des mécontentements. Depuis 1983, quand Mitterrand a décidé qu’il fallait mettre un terme à l’embellie de gauche pour rejoindre l’économie libérale. Depuis Chirac qui a proclamé le retour officiel de la droite, eu des ministres de gauche poursuivant des réformes libérales, qui s’est maintenu au pouvoir contre Le Pen grâce aux voix de gauche, mais n’a pris aucune mesure dans son 2ème mandat pour « remercier » ces électeurs. Depuis Sarkozy annonçant un retour de la droite « décomplexée », celle de Chirac étant jugée encore trop molle. Depuis Hollande, se faisant élire sur un programme de gauche molle et pratiquant immédiatement une politique de droite sans même se sentir obligé de se justifier. Macron se présentant comme ni de droite ni de gauche et pratiquant la politique de droite la plus sévère est vraiment la goutte de trop de ce toujours plus de libéralisme économique, toujours plus d’inégalité, toujours plus de précarité.

Oui l’urgence prioritaire aujourd’hui est vraiment de s’attaquer au problème de la pauvreté dans ce pays, de prendre des mesures visant à adoucir les inégalités et abolir les injustices les plus flagrantes et la formidable poudrière sur laquelle elles sont assises. Les plus riches, comme l’a dit le Président, n’ont pas besoin d’être aidés, ils s’aident tous seuls. Nous n’avons pas besoin d’un gouvernement qui les aide.

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