A peine l’Assemblée Nationale a-t-elle rejeté le projet de loi sur l’immigration du gouvernement, précédemment aggravé par une majorité de sénateurs extrémistes, qu’ il est déjà réactivé par l’Exécutif . Nous sommes hélas désormais habitués à être les victimes de ces excès d’autoritarisme de l’Exécutif, qui se croit permis de tout décider de façon régalienne en passant outre l’avis populaire ou l’action légale des contre-pouvoirs, sauf bien entendu quand ceux-ci vont dans son sens. Nous avons ainsi connu le référendum sur la Constitution Européenne, la loi Travail, la loi sur la réforme des retraites, tous bafouant l’opposition populaire.
Mais alors pourquoi aujourd’hui précisément une loi sur l’immigration ? Y a-t-il urgence ? N’y a-t-il pas d’autres sujets beaucoup plus urgents à traiter ? Si l’on en juge par une enquête réalisée en 2022 par FR3 Régions sur plus d’un million de participants, l’immigration n’apparaissait pas parmi les 12 premières préoccupations des Français (1). Il est vrai que la question posée était : « quelles sont vos priorités politiques ? » et non « Pensez-vous que l’immigration est un problème important ? ». Il est vrai aussi que, parmi les priorités citées par les citoyens, aucune n’apparaît prioritaire pour l’Exécutif qui n’en a cure….Notamment les priorités 1 et 6 : « Garantir l’exemplarité des responsables politiques et limiter leurs avantages » et « Faire évoluer le système démocratique et institutionnel » ! Sans parler de l’amélioration de la santé et de l’éducation et la revalorisation des salaires, etc…
Parmi les mesures du projet de loi anti-immigration : la remise en cause, encore et toujours, de l’Aide Médicale de l’Etat (AME). Rappelons donc d’abord de quoi il s’agit tant les rumeurs vont bon train à son sujet.
L’AME permet depuis l’an 2000 aux personnes en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois et gagnant moins de 9719 € par an de bénéficier d’un panier de soins gratuits, sans avance de frais, mais néanmoins restreint (en comparaison des personnes en situation régulière bénéficiant de l’Assurance Maladie). En effet, elle ne prend pas en charge les frais d’optique, de prothèses dentaires et auditives ni bien entendu les soins dits « de confort ». Une série de restrictions à son accès a déjà été implémentée par un décret de 2019 appliqué en 2021 : 1.Les demandeurs doivent justifier de 3 mois de résidence sur le territoire en situation irrégulière ( c’est-à-dire au moins 6 mois pour les personnes entrées en France avec un visa touristique de 3 mois et donc en situation régulière pendant ces 3 premiers mois) 2. Les premières demandes doivent être déposées en présentiel dans un centre d’accueil de l’Assurance Maladie, sous la suspicion que les demandeurs pourraient ne pas résider en France. Notons que cette mesure impose un surcroît de travail aux employé.e.s des accueils de l’Assurance Maladie , déjà considérablement réduits en nombre et en heures d’ouverture, qu’elle recule d’autant le dépôt de dossier le temps d’obtenir un rendez-vous au-delà des 3 mois en situation irrégulière et qu’enfin les associations agréées ne peuvent plus comme avant déposer les dossiers de première demande, ce qui, soit-dit en passant, en dit long sur la confiance des auteurs du décret envers les associations, suspectées par le fait de favoriser des fraudes ! Ajoutons à ces restrictions de jure une restriction d’accès de facto à cause du refus illégal de nombre de professionnels de santé de prendre en charge les bénéficiaires de l’AME.
Au-delà des considérations humaines, l’AME permet un suivi médical des pathologies chroniques, des grossesses, en dehors de situations d’urgence, les empêchant de s’aggraver et d’aboutir à des situations plus graves et donc plus onéreuses. Elle permet aussi d’éviter le recours aux urgences des hôpitaux, déjà complètement engorgées, pour des problèmes non urgents. Enfin elle protège l’ensemble de la population de la propagation de certaines maladies infectieuses en l’absence de dépistage et de traitement approprié des personnes atteintes.
La contrepartie financière de ces avantages considérables pour la Santé Publique, est un coût de l’AME pour la collectivité d’environ 1,2 milliard d’Euros par an (3), soit 0,5% des 222 milliards d’Euros dépensés par l’Assurance maladie (4). Encore ces chiffres ne sont donnés qu’à fin de comparaison, car le budget de l’AME ne dépend pas de celui de l’Assurance Maladie. Faire « l’économie » de l’AME ne rapporterait rien à l’Assurance Maladie.
Une majorité de sénateurs a voté pour la remplacer par une Aide Médicale d’Urgence, qui (l’ignoraient-ils ?), existe déjà et permet aux étrangers en situation irrégulière sans prise en charge de recevoir des soins urgents gratuits dans les hôpitaux (2). Ce qu’ils ont proposé est donc une suppression pure et simple de l’AME, sans mesure de remplacement dans l’irresponsabilité sanitaire la plus totale.
Bien que l’AME n‘ait pas été concernée par le deuxième vote RN/LR/Macroniste aligné sur l’idéologie du RN, Mme Borne a annoncé que son sort allait être rediscuté dès janvier et le pire reste à craindre si la droite soi-disant républicaine (LR/Macroniste) continue de vouloir complaire à l’extrême-droite. Ou s’est désormais alignée idéologiquement sur elle sous le prétexte absurde et invraisemblable de vouloir la combattre !
Cette mouvance politique reproche en effet à l’AME d’être une incitation à l’immigration clandestine. Pourquoi se priver de venir en France , nous dit-on, quand on peut y recevoir des soins gratuits dont on ne peut bénéficier dans son propre pays ? Plus, des personnes ne viendraient en France que pour se faire soigner alors qu’elles résident ailleurs. Du tourisme médical en quelque sorte. Cette suspicion s’inscrit dans un préjugé général suggérant que les immigrés ne viendraient que pour profiter d’avantages sociaux divers sans rien apporter en contrepartie. Pour preuve le contenu général de la proposition de loi restreignant les accès aux aides sociales.
D’ailleurs, ce préjugé ne s’applique pas qu’aux étrangers en situation irrégulière. Les chômeurs, les bénéficiaires du RSA ou de l’APL sont aussi considérés par les mêmes comme des profiteurs d’aides sociales et voient leur droits restreints les uns après les autres, poussant inéluctablement un nombre croissant de citoyens à sombrer dans la misère.
Concernant l’AME cet a priori prouve (ou utilise pour attiser la haine xénophobe) une totale méconnaissance de la situation des personnes en situation irrégulière. En effet, les bénévoles associatifs, dont je fais partie, qui aident les personnes en situation de précarité (en situation régulière ou irrégulière) à accéder aux soins de santé, savent que l’immense majorité des personnes en situation irrégulière rencontrées ont immigré pour des raisons autres que la santé et souhaitent s’établir en France ou dans un autre pays européen pour fuir, qui la guerre, qui des persécutions politiques, qui la misère, qui pour donner un avenir à leurs enfants et vivre dans un Etat de Droit. Dès lors, leur assurer un minimum de médicalisation est un devoir humain (notamment pour les professionnels de Santé, pour qui soigner toute personne sans distinction d’origine, de statut social ou de croyance est une obligation, faut-il encore le rappeler ?) et de Santé Publique. Leur empêcher et leurs enfants d’accéder aux soins ne les convaincra pas de quitter le territoire. Non seulement ce préjugé ne repose sur aucune donnée solide (5), mais l’objectif de rendre plus difficile l’accès et de réduire les droits pour freiner l’immigration illégale est vain.
Cependant, pour qui a envie de légiférer, les urgences sociales ne manquent pas. La pauvreté s’aggrave régulièrement, mère de tous les problèmes sociaux et notamment de l’insécurité. Le nombre de personnes dormant dans la rue, y compris les enfants augmente et le 115, sensé répondre aux situations d’hébergement d’urgence, ne répond plus. Notre Président ne s’était-il pas pourtant engagé le 27 juillet 2017 à ce que plus personne ne dorme dans la rue à la fin de son premier mandat ?(6) C’est donc aux causes de la précarité que les politiciens qui se prétendent soucieux des problèmes de sécurité devraient s’attaquer en priorité et non à l’immigration, dont la corrélation avec la sécurité est loin d’être une évidence (7-9).
Pour prendre en charge au quotidien les drames croissants de la précarité, seul le monde associatif monte au créneau pour tenter de résoudre les drames qui frappent des plus démunis, faute d’une politique forte et proportionnelle au problème, abandonnée par les pouvoirs publics. Non seulement les Associations se retrouvent seules mais la situation devient désespérée face à l’augmentation de la demande due à l’aggravation de la misère, d’une part, et de la diminution des moyens (moins de donateurs du fait qu’ils sont plus pauvres, moins d’aide des pouvoirs publics du fait de leur orientation politique, destruction du Service Public…). Non contents de cela, nos « représentants » décrètent contre l’avis public des mesures d’aggravation de la misère. Nous évoluons vers un point de rupture où les associations ne vont plus pouvoir accepter colmater les brèches d’un bateau qui coule avec les moyens du bord, tandis qu’une partie de la classe dirigeante s’évertue à créer de nouvelles brèches.
Mesdames et messieurs de l’Exécutif, les sénat.eur.rice.s et député.e.s qui souhaitez œuvrer pour le bien commun, vous ne rencontrez probablement pas beaucoup de bénéficiaires de l’AME dans les couloirs de la Place Beauvau , de l’Elysée, du palais du Luxembourg ou du Palais Bourbon pour vous rendre compte que leur écrasante majorité n’est pas à la recherche d’avantage sociaux. Pour une fois écoutez les professionnels et les bénévoles qui les côtoient quotidiennement, plutôt que de faire les yeux doux au RN pour des raisons de basse politique. Vous gagnerez en dignité et l’histoire retiendra de vous autre chose que celles et ceux qui ont porté le FN au pouvoir. En un mot, tenez-vous en aux faits, fiez-cous au vécu de la société civile qui connaît mieux les problèmes de terrain que vous, plutôt que de laisser guider vos pulsion par une idéologie, surtout quand elle est nauséabonde, et qu’elle va mener (une nouvelle fois, l’Histoire se répète) la société à la catastrophe.
(2) circulaire DSS/2A/DGAS/DHOS n°2008-04 du 7 janvier 2008 et Article L 254-1 du Code de l’Action Sociale et des familles
(3) Loi immigration : cinq questions sur l'aide médicale d'Etat | Les Echos
(4) Les chiffres clés de la sécurité sociale 2022 (securite-sociale.fr)
(5) L'aide médicale d'État : diagnostic et propositions - rapport IGAS IGF | vie-publique.fr Déjà en 2019, le Président de la République avait mandaté (était-ce vraiment une urgence ?) l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) et l’Inspection Générale des Finances (IGF) pour débusquer les fraudeurs qui utiliseraient indûment l’AME dont certains ne résideraient pas en France. Cette inspection n’avait pas retrouvé de façon flagrante des fraudes . Tout juste avait-elle trouvé un excès (par rapport aux bénéficiaires de l’assurance maladie) de traitements lourds, notamment chimiothérapie pour cancer, suggérant seulement que certaines personnes venaient en France pour recevoir des traitements peu accessibles dans leur pays .
(6) Plus personne dans la rue avant la fin de l'année : la promesse d'Emmanuel Macron (youtube.com)
(7) Fiche insécurité_V3 (cnrs.fr)
(8) Immigration et terrorisme : « corrélation magique » et instrumentalisation politique | Cairn.info
(9) Immigration : les étrangers pas plus délinquants que les autres, selon une étude (lemonde.fr)