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Billet de blog 20 novembre 2021

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CHILI / Après la rébellion 18-O 2019, la crise au sein de la Liste du Peuple.

Après l'énorme succès dans les élections de constituants à la Convention Constituante au Chili, la Liste du Peuple (LDP) n'a pas réussi à construir un instrument politique et se présenter aux élections présidentielles de demain 21/11/2021 au Chili. Ce billet essaie de présenter les contradictions internes qui ont traversé la LDP la conduisant à sa autodissolution de facto.

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Illustration 1
Plaza Baquedano lors de la grand revolte du 25 Octobre 2019 à Santiago du Chili © inconnu

« De défaite en défaite, jusqu’à la victoire finale. »

Victor Serge

La crise au sein de la Liste du Peuple et sa disparition.

La liste du peuple (LDP) est issue directement des rangs de ceux qui ont été les acteurs du 18-O (rébellion du 18/10/20219) notamment à la Plaza Dignidad (Place Dignité, nouveau nom donné à la place Italia ou place Baquedano à Santiago, lors de la rébellion). Ces manifestants ont réussi à inscrire une liste des candidats non associés et non militants d’un parti politique institutionnalisé existant, pour concourir aux élections des constituants dans la Convention Constituante (CC) au Chili, qui ont eu lieu le 15 et 16 mai 2021. Dans ces élections ils ont eu un grand succès en ayant réussi à élire 27 constituants sur 155 places. De cette façon ces acteurs du 18-O ont gardé leur indépendance politique face aux partis parlementaires. Aucun des élus de la LDP n’étant un professionnel de la politique mais plutôt des primo manifestants. Cette indépendance a été leur caractéristique pendant tout le mouvement du 18-O, pour ne pas se faire utiliser, absorber ou récupérer par lesdits partis. Ces derniers, étant identifiés par les participants à la rébellion, comme les responsables de la situation sociale et économique des classes dominées depuis ces derniers 30 ans. Chose exprimée par les manifestants par le slogan « ce ne sont pas 30 pesos, mais 30 ans », en référence à l’augmentation du ticket de Metro de 30 pesos, motif qui a été l’étincelle qui a déclenché la rébellion.

Illustration 2
Ce ne sont pas 30 pesos, sont 30 ans de politique néoliberal ! © Pilar Veas Gálvez

Après cet énorme succès des LDP, pourquoi ils n’ont pas de candidat aux élections présidentielles du 21/11/2021 ?

La situation est un peu similaire avec celle de la France dans la mesure où les Gilets Jaunes non plus n’ont pas de candidat propre issu de leurs rangs, aux élections présidentielles françaises.

Voici les faits, autant qu’il m’est possible de les synthétiser, vu la complexité des mouvements internes qui ont traversé la crise, qui a conduit non seulement à que la LDP ne présente pas de candidat aux élections présidentiels ce 21 novembre 2021, mais  également au fait que la LDP a tout simplement disparu en tant que structure politique organisée. Ceci après leur énorme succès dans les élections de constituants à la CC au Chili. Il va de soi que la presse du duopole journalistique chilien – La Tercera, le quotidien le plus diffusé au Chili intégré au groupe Copesa-Consorcio Periodístico de Chile, et le réseau médiatique Emol, dont l’instrument principal est le quotidien El Mercurio – ainsi que les partis de la gauche réformistes ou « social-démocrates », se sont frotté les mains en voyant leur flanc extrême gauche dégagé. Joie qui est un peu rapide et légère vu qu’indépendamment de l’appareil politique LDP mort-né, la LDP elle-même  était l’expression effective du mouvement social le plus tenace et radicalisé issue du 18-O, et que celui-ci est toujours là. Et dont le futur président du Chili aura à faire face.

Dans le premier Congrès de la LDP fin avril 2021 il avait été décidé de ne pas aborder le point relatif à la participation aux présidentielles. Or ce n’est qu’au deuxième congrès qu’un courant, avec Leonardo Ponce notamment, s’est mis à  mettre à l’ordre du jour le point des présidentielles,  ainsi que la participation aux élections parlementaires et régionales qui auront lieu au même moment. Ce courant a cherché secrètement un possible candidat. Ceci a fini par générer une discussion forte en interne, des manœuvres, des éloignements ou de départs, finalement une rupture et l’autodissolution de facto de la LDP. Dans ce processus de désagrégation, il y a eu d’abord une première candidature. Elle a été contestée par l’autre courant qui a décidé ensuite d’élargir le choix en organisant une primaire sui generis, comme nous le verrons ci-dessous.

Une première candidature surgie avec Cristian Cuevas.

Au sein des militants de la Liste du peuple, deux courants se sont formés par rapport à la participation, ou non, aux prochaines élections présidentielles du 21 novembre 2021. Et au sein des ceux qui étaient pour participer aux élections, à son tour, deux groupes se sont formés quant au soutien, ou non, à Cristian Cuevas en tant que candidat à la présidence. Cristian Cuevas est un ancien membre du PS et ensuite du PC, et ancien fondateur de Convergencia Social (Convergence Social, l’actuel formation politique de Grabriel Boric, candidat à la présidente pour le pacte « Apruebo Dignidad », approuve dignité en français). Les militants en faveur de la candidature de Cuevas, à qui il est apparu comme l'une des figures correspondant au profil du mouvement du 18 octobre 2019, en raison de son histoire liée au syndicalisme dans la Central Única de Trabajadores (CUT) et de son militantisme LGBTIQ+, l’ont contacté ( principalement Leonardo Ponce et Ángel Spotorno). Outre Ponce et Spotorno, 6 autres personnes faisaient partie du comité exécutif qui s'est réunie pour discuter de la possible candidature de C. Cuevas : Rafael Montecinos, Mauricio Menéndez, Evelyn Godoy, Marlen Soto, Claudia Pérez, Luz Alca.

Le jeudi 5 août 2021, un vote à la LDP, en assemblée, a permis de valider la candidature de C. Cuevas par 47 voix pour et 30 abstentions. Le quorum de ce vote a été considéré non représentatif de l’ensemble pouvant participer. Et les 30 abstentions ont  peut-être exprimé une objection qui ne dit pas son nom. Par la suite, le comité exécutif de la LDP a annulé cette nomination. En effet, la majorité des constituants de la CC de la LDP n'étaient pas favorables à une candidature aux élections présidentielles, quelle qu’elle soit. Parmi eux, par exemple, Francisco Caamaño, qui a été élu avec le plus de voix aux élections de la CC, a déclaré que "depuis que la Liste populaire a pris la décision d'entamer un parcours électoral pour les postes parlementaires et présidentiels, j'ai cessé d'y participer". L'annulation du vote du 05/08/2021 en faveur de la présentation de C. Cuevas comme candidat à la présidence du Chili, a été poussée par les opposants à la nomination de Cuevas, parmi lesquels les porte-parole de la LDP : Rafael Montecinos et Verónica Guzmán. Dès que l'idée de présenter C. Cuevas comme candidat dans la LDP est apparue, R. Montecinos et V. Guzmán ont en effet soupçonné que Cuevas, ne passant pas au second tour des présidentielles, appellerait à voter  pour Jadue du PCCh, au second tour.  Car à ce moment-là, Jadue était donné gagnant aux primaires du pacte Apruebo Dignidad, contre G. Boric. Donc, c'était avant de savoir que Jadue allait perdre le 18/07/2021 à la primaire présidentielle du pacte Apruebo Dignidad face à Gabriel Boric du Frente Amplio (FA, Front Large), et que Jadue ne pourrait pas se présenter aux élections présidentielles.

Rafael Montecino, selon El Desconcierto du 13/08/2021, a considéré « qu'ils ont subi une "machine politiquepar un groupe de personnes qui étaient proches des partis politiques parlementaires et [qui avaient] l'intention de mener la liste à générer des alliances avec les partis d’Apruebo Dignidad, tels que le Partido Humaniste [PH]  et le Partido Igualdad [PI], pour obtenir des parrainages et [permettre ainsi d’] enregistrer la candidature [de C. Cuevas et d’autres candidats aux parlementaires et régionales, élections qui auront lieu à la même date]. Ils ont même parlé d'un "Pacte de la liste du peuple" ».

Et pour contrer cette manœuvre d‘établir une alliance avec le PH et le PI qu’ils soupçonnaient et qui transgressait le principe d’indépendance de la LDP vis-à-vis de toute autre organisation, ces "porte-paroles",  Rafael Montecino et Verónica Guzman, ont lancé "un appel à la tenue de primaires [mettant ainsi en concurrence C. Cuevas] par parrainage légal et à s'informer sur les différentes candidatures [d’]indépendants, tant pour les [élections] présidentielles que pour le[s élections au]  Parlement et les CORES [conseils régionaux]". De plus, C. Cuevas a considéré que dans la mesure où il n'avait jamais été consulté sur le principe d’une primaire, il ne pouvait poursuivre sa candidature avec la LDP au sein de ces primaires et a déclaré "ce qu'ils ont fait avec moi n'est pas acceptable".

Suite à ce processus de primaires et de participations aux élections, tous les membres du bloc LDP de la CC quittent la LDP, abandonnent ce nom et forment le bloc "Pueblo Constituyente" (PuC) au sein de la CC.

Des « primaires » dans la LDP et le fiasco du candidat gagnant, Diego Ancalao.

Le principe de cette primaire consistait en que chaque candidat qui se présentait dans la LDP, devait obtenir des signatures de soutiens inscrites directement dans le Service Electoral chilien (Servel). Et celui qui obtenait les plus de signatures serait le candidat de la LDP. Diego Ancalao, un indépendant mapuche, qui avait déjà commencé à faire campagne de son côté depuis des mois, a été le vainqueur de cette primaire. Mais trois jours seulement avant la date limite d'inscription des candidats à la présidence, le Servel a annulé la candidature de Diego Ancalao. Le Servel a détecté près de 23 mille signatures validées par un office notarial qui n'est plus en fonction depuis 2018. Selon le SERVEL, 12 316 personnes ont effectué cette procédure par voie électronique sur le site web de SERVEL, en règle. Tandis que 23 161 autres signatures ont été apportées physiquement. Parmi celles-ci, 23 135 apparaissent actées avec la signature et le tampon du notaire Patricio Zaldívar Mackenna, qui s'est retiré de l'activité en 2018 et est décédé en février 2021, donc bien avant la présentation des signatures. Bien sûr, D. Ancalao a tenu son équipe de campagne pour responsable de la fraude. Une fraude que d'autres avaient également utilisée auparavant, non pas dans des processus électoraux, mais dans des actes financiers, comme l'a fait la banque BCI avec un tirage de lettres hypothécaires supervisé par le même notaire, aujourd'hui décédé. C’est dire les fraudes existent à tout niveau au Chili.

L’annulation par le SERVEL de l’inscription de la candidature de D. Ancalao, a généré un scandale mortel pour la LDP, qui, comme mentionné ci-dessus, a conduit à la démission des élus de la CC inscrit sur la liste LDP, et à la constitution au sein de la CC du bloc « Pueblo Constituyente » (PuC, Peuple Constituant). Les principaux leaders de la LDP qui étaient restés dans la LDP ont fini par la quitter définitivement.

Pour mémoire, il faut rappeler qu’avant les primaires de la LDP, les membres du comité exécutif de la LDP, Leonardo Ponce et Ángel Spotorno, qui étaient pour Cuevas, avaient déjà été expulsés par le secteur du Comité exécutif qui n’approuvait pas la candidature de C. Cuevas, probablement, entre autres, à cause de leur communiqué du 11/08/2021 signé "Somos la Lista del Pueblo en Resistencia" (Nous sommes la liste du peuple en résistance) où ils signalent que la liste doit être refondée car les règles du jeu ont été changées, en se référant a que le résultat du vote validant la candidature de C. Cuevas, avait été invalidé par le secteur de Montecino et Guzman. Jusqu'à présent, toujours selon "El Desconcierto", ils n'ont pas voulu, mesquinement, remettre les mots de passe des comptes des réseaux sociaux de la LDP, même après avoir été expulsés.

Le mouvement a évité de se faire récupérer et institutionnaliser.

  • Ce qui a été déterminant dans cette crise a été que la LDP s’était constituée avec un seul objectif : prendre des places dans le CC et y participer. Elle ne s’est pas créée pour se transformer en un appareil politique de plus. Pas pour aller se présenter dans les élections de Président, parlementaires ni dans les Conseils Régionaux, institutions de la Constitution Pinochet-Lagos. Pouvoirs constitués qui sont déjà en contradiction et en conflit avec le pouvoir constituant représenté par la CC. C’est cette origine fondatrice qui a été violentée par ceux qui ont voulu lui dénaturer de façon précipitée son objectif initial. Le refus majoritaire à suivre cette voie d’institutionnalisation dans le cadre du pouvoir constitué, avant même que la nouvelle constitution voie le jour, l’a emporté au prix de sa dissolution.
  • D’autre part, les composants de la première ligne du mouvement du 18-O, dont la LDP fait partie, a mis en évidence que cette couche sociale n’est pas assez mure ni homogène pour se structurer politiquement. Il s’agit de couches les plus précarisées de la société chilienne. De ceux qui n’ont rien à perdre, puisqu’ils n’ont rien. Ni des CDI, ni des logements dignes, ni une éducation de qualité pour ses enfants. Pas d’accès aux soins de santé en temps et en heure, dans des services compétents. Qui n’auront pas de pensions dignes. Par contre ils sont endettés par des petites sommes qui leur permettent de payer des frais de santé, par exemple. Le lourd passé de domination et de dépolitisation imposé par cette « démocratie oligarchique » qui les a marginalisés, écartés de la chose publique, a évidemment pesé. Mais la lutte des classes ne s’arrêtant pas, les prochains mouvements sociaux partiront forcement de cette expérience concrète qui les a fait avancer des milliers de fois plus dans leur compréhension de leurs situation effective de dominés, que toute formation politique théorique par des opérateurs politiques, des « politologues » ou autres. Leur émancipation ne pourra se faire que par eux même, et personne d’autre.

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