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Billet de blog 4 septembre 2023

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Marine Le Pen portée par la « falaise de verre » ?

Une enquête fait apparaître que l'accession au pouvoir de femmes en période de crise se double. Et si Marine Le Pen profitait de cette tendance paradoxale ? Quel serait le processus et quelles en seraient les conséquences ?

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Illustration 1

En 2005 paraissait une étude sous la plume de deux chercheurs britanniques Michelle Ryan et Alexander Haslam qui mettaient en évidence le concept de "falaise de verre" (glass cliff ). Il s'agit du phénomène observé dans les entreprises où l'accession au pouvoir de dirigeantes en période de crise se double. La situation des organisations fait alors encourir un risque accru d'échec à la femme qui en prend la direction. Le phénomène s'observe également en politique où des femmes sont poussées en avant au moment où la catastrophe s'annonce.

On estime qu'en période de crise d'une entreprise américaine, il y a jusqu'à 50% de probabilité supplémentaire qu'une femme soit nommée à de hautes responsabilités. Quelques exemples sont notoires. En 2009, Carol Bartz est portée à la tête de Yahoo au bord du gouffre. Mary Barra est devenue la patronne de General Motors en plein marasme de l'entreprise. Etc

Une étude suisse montre que, dans ces contextes, une femme portée au pouvoir symbolise le changement à la tête d’une entreprise. "Ce qui permettrait à celle-ci de redorer son image, de montrer à ses concurrents, à ses clients ou au public qu’elle est consciente des problèmes et qu’elle prend des mesures", selon la chercheuse Clara Kulich. C’est donc la différence qui importe, avant le genre. "Certaines entreprises ou certains partis politiques font aussi appel à des hommes issus de minorités dans ce contexte", ajoute-t-elle.

En politique, on observe le même phénomène. Au Canada, le parti conservateur a poussé en avant et pour la première fois une candidate pour aller aux élections qui s'annonçaient comme une terrible sanction (leurs députés sont passés de 156 à 2). En Grande-Bretagne, Theresa May a été portée à la direction de l'exécutif au moment même où il fallait assumer les conséquences désastreuses du référendum de Brexit dont le résultat venait d'être annoncé. Liz Truss remplacera Boris Johnson au pire moment pour la majorité de droite secouée par des scandales éthiques. Elle ne tiendra que 40 jours au pouvoir. En Belgique, Sophie Wilmès devient la première femme première ministre en plein chaos du Corona virus. En France, au moment où le candidat de droite est exclu de la compétition de l'élection municipale parisienne suite à un scandale sexuel, c'est une femme, Agnès Buzin, qui est poussée en avant pour concourir dans une situation calamiteuse. Etc.

Cette idée que le "changement" de genre à la tête d'une organisation au bord du gouffre puisse apporter une solution miracle est évidemment un leurre. Beaucoup de ces femmes échouent face à une mission impossible, d'autant qu'on ne leur laisse souvent pas le temps de mettre en place des solutions. Voire, elles assument simplement un échec dont le processus est mis en place avant leur arrivée.

Or la France (et pas seulement la France) ressemble a une entreprise au bord du gouffre.

- La catastrophe climatique fait apparaître ses conséquences plus violemment chaque année. Les habitants de Mayotte en sont à boire l'eau des climatiseurs ce qui ne manquera pas d'arriver en métropole dans les années à venir, les coupures d'eau s'imposant à la population après des semestres sans pluie. Les hôpitaux seront incapables d'accueillir la foule des victimes chaque année plus nombreuses des canicules, d'autant que la population vieillit en moyenne chaque année. La fournaise s'abattant sur les villes ne pourra être réduite à court terme.

- La pyramide des âges fait déjà apparaître un manque de main d'oeuvre suite au départ à la retraite des baby boomers. D'autres pays comme l'Espagne sont dans une situation désespérée sur le sujet. Des grandes entreprises françaises sont aux abois pour recruter des personnes diplômées. La situation est pire encore dans l'éducation nationale. On va donc manquer dangereusement de médecins, infirmières, enseignants, conducteurs de trains, fonctionnaires... et de tous ceux et celles qui permettent de faire tourner l'économie et la société.

- La pauvreté s'est aggravée ces dernières années et surtout le gouffre entre les plus riches et les plus pauvres. Dix pour cent de la population française nécessite une aide alimentaire (essentiellement associative) pour survivre, tout en sautant des repas. Les "Restos du coeur" sont au bord de la faillite. Cette misère que les exécutifs successifs ont refusé de réduire se retrouve massivement dans des poches géographiques où les techniques de survie se sont transformées en micro mafias avec les conséquences violentes que l'on observe dans les quartiers Nord de Marseille où la vie des habitants est aujourd'hui infernale. Dans le même temps, les entreprises du CAC40 à elles seules réalisent 140 milliards de bénéfices, faisant exploser la rétribution des actionnaires.

- La répression des mouvement sociaux fait voir à quel point l'exécutif s'est enfermé dans une politique où intérêts minoritaire et attentes majoritaires ne peuvent plus se résoudre que dans la violence. Et ce n'est probablement qu'un début.

La France se trouve dont dans une situation décrite comme celles qui exigent un changement radical. Mais au lieu d'une modification notoire de projet politique, et faute de crédibilité du personnel politique en général (voire du système représentatif), il est fort probable que l'attente de changement ne se fixe sur une femme atypique, comme le montre le phénomène de "falaise de verre", pour faire le dernier pas qui nous sépare de la chute.

Paradoxalement, il s'agirait d'une personnalité dont le programme ne présente aucune solution aux problèmes sus-mentionnés. Voire qui va les aggraver. Le Rassemblement national est, en effet, à la limite du "climato-scepticisme", il a voté contre le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF) à de multiples reprises, contre la taxe super-profits au Parlement européen, contre la hausse du SMIC, contre le blocage des prix de produits de première nécessité, contre le gel des loyers...

En revanche, son programme économique est en phase avec le grand patronat le plus conservateur et des intérêts minoritaires. En mars 2023, Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef a estimé : "le RN est un risque nécessaire, sinon l’alternative, c’est de ne rien faire, c’est ce qu’on a quand même beaucoup fait en France pendant très longtemps, ce qui amène une montagne de dettes".  Vincent Bolloré, (8e fortune française) soutient ouvertement l'extrême droite dans tous les médias dont il est propriétaire ainsi qu'à travers la figure d'Eric Zemmour.

Un État n'étant pas une entreprise et ne pouvant disparaître dans une faillite, il est fort probable que des hommes reprendront leur place une fois la catastrophe bue jusqu'à la lie. A moins que la violence de la situation n'ait fait, entre temps, voler les institutions en morceaux. Ce qui est loin d'être improbable.

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