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Billet de blog 14 avril 2023

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Et si la réforme des retraites masquait un problème inavouable ?

Pourquoi imposer aussi violemment une réforme des retraites dont la nécessité est loin d’être démontrée ? Le coût social, politique et économique de la séquence semble exorbitant. Tout ça pour ça ? A moins qu’une autre raison inavouée permette d’expliquer le phénomène : le manque de main d’œuvre.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une des plus grandes inquiétudes actuelles des dirigeants des grandes entreprises réside dans leur capacité à recruter et retenir la main d’œuvre, richesse première de leur organisation. Or deux problèmes se posent dangereusement auxquels la réforme des retraites apporte peut-être un bout de solution.

Pour commencer, il faut considérer que de nombreux dirigeants ont les yeux fixés sur les chiffres de recrutement et de départ de leur groupe. Sans main d’œuvre (notamment des cadres), des départements entiers risquent de ne plus fonctionner. Certains confient en aparté aller chercher le savoir-faire manquant à l’étranger. Et dans une telle pénurie, la hausse des salaires va devenir un outil incontournable pour attirer les candidat.es puis les retenir.

D’autres chantiers sont aujourd’hui mis en œuvre par toutes les multinationales pour attirer les femmes, méprisées jusque-là, mais qui offrent tout à coup une gigantesque réserve, d’autant qu’elles représentent chaque année 60% des jeunes diplômé.es européen.es. Ce n’est pas un hasard si les plus grandes multinationales découvrent en ce moment les bienfaits de l’égalité de genre, de la diversité et de l’inclusion.

Comme le montrent ces graphiques, quel que soit le nombre de personnes recrutées chaque année par les entreprises, le taux de postes difficiles à pourvoir est très élevé. Dans la dernière case qui représente les entités recrutant dix personnes au moins par an, on voit que les entreprises au chiffre d’affaires médian (au centre du graphique) connaissent des difficultés de recrutement dans plus de 60% des cas.

Illustration 1

Source : données B.M.O, calculs France Stratégie

En un mot, c’est la panique et la guerre entre les entreprises et groupes internationaux pour attirer les candidat.es et les séduire. Récemment, un manager de haut niveau me racontait que son groupe passait des entretiens d’embauche auprès de candidats, et plus l’inverse.

La cause du phénomène est double : d’une part, le départ massif des baby-boomers à la retraite n’est pas compensé par la génération suivante nettement moins nombreuse. La courbe crée donc un déficit impossible à combattre. Le phénomène est très sensible en France.

Illustration 2

D’autre part, on a parlé, durant la crise du Covid, de la « Grande Démission » (« Great Resignation »), phénomène de démission massive dans les entreprises américaines dont on a attribué la cause exclusivement à la pandémie. Or, on voit aujourd’hui à quel point le phénomène n’est pas exclusivement américain mais surtout de quelle manière il avait débuté depuis dix ans, le problème sanitaire ne venant que l’accélérer momentanément.

D’après la DARES, en France, déjà fin 2015 donc bien avant la pandémie, 17 % des recrutements étaient jugés « difficiles a posteriori par les recruteurs, notamment en raison du manque de candidatures »[1].

La BBC a récemment publié les résultats d’une enquête[2] sur mille employé.es de Grande-Bretagne montrant qu’un tiers désiraient quitter leur travail à court terme. Anthony C Klotz, le professeur à l’University College London's School of Management qui a inventé le terme “Great Resignation”, assure que les courbes des démissions ne vont pas sensiblement diminuer à court terme et il en donne différentes raisons sans rapport avec la pandémie[3]

Comme le montrent ces résultats américains[4], les motifs sont en effets très divers à commencer par le niveau de salaire jugé trop peu élevé.

Illustration 3

D’autre part, les chiffres du bureau américain des statistiques du travail montrent de façon éclatante que la « Grande démission » n’a pas débuté avec le Covid et s’avère un phénomène durable et lisible dans tous les domaines d’activité, le phénomène ayant doublé en dix ans[5].

Illustration 4

En France, le problème s’additionne dangereusement à celui du déficit démographique. Début 2022, 520.000 personnes ont démissionné, dont 470.000 qui étaient en CDI. A cela s’ajoutent des problèmes identifiés comme le "Quiet Quitting" (des employé.es restent mais font le strict minimum sans aucun enthousiasme) ou "Opting out" (le refus d'une promotion, phénomène particulièrement observé chez les femmes.

Comme le résume Gabby Ianniello qui a largement médiatisé sa démission au point d'en faire un podcast :  « ce marché est parfait pour les salariés »[6].

Quel rapport avec la réforme des retraites ?

C’est l’INSEE qui répond à cette question dans un article « Report de l’âge de la retraite et taux d’emploi des séniors : le cas de la réforme des retraites de 2010 »[7]

On y découvre que la réforme des retraites de 2010 qui a augmenté de deux ans l’âge d’ouverture des droits a eu une conséquence directe : le taux d’activité à 60 ans a augmenté fortement : de 24 points pour les hommes et de 22 points pour les femmes. Alors qu’avant la réforme, le taux d’activité à 60 ans était de 32 % pour les hommes et de 43 % pour les femmes.

Autrement dit, repousser de deux ans l’âge de la retraite entraine mécaniquement une augmentation substantielle de la main d’œuvre sur le marché de l’emploi, permettant de soulager ce qui se dessine comme un des principaux cauchemars des dirigeants d’entreprise.

Mais avec une autre conséquence : « Le chômage s’est également accru : de 7 points pour les hommes et de 6 points pour les femmes ». Une bonne raison pour ne pas augmenter les salaires…

En France, les entreprises du CAC40 à elles seules ont distribué l’an dernier, quatre-vingt milliards d'euros à leurs actionnaires. Soit plus de six fois le montant maximum économisé par l’actuelle réforme des retraites, montant proche de celui que le même gouvernement a offert trois mois plus tôt aux entreprises moyennes et grandes (baisse de la Cotisation sur la Valeur Ajoutée des Entreprises ).

De quoi justifier l'entêtement d'un gouvernement très libéral.

[1] https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/le-recrutement-n-est-pas-toujours-un-long-fleuve-tranquille

[2]https://www.thehrdirector.com/business-news/employment/the-great-resignation-continues-with-almost-a-third-of-uk-workers-considering-a-career-change-in-2022/

[3] https://www.bbc.com/worklife/article/20220817-why-workers-just-wont-stop-quitting

[4]https://www.pewresearch.org/fact-tank/2022/03/09/majority-of-workers-who-quit-a-job-in-2021-cite-low-pay-no-opportunities-for-advancement-feeling-disrespected/

[5] https://www.bls.gov/opub/ted/2019/quits-by-industry-2008-to-2018.htm

[6] https://www.nytimes.com/2021/12/04/business/public-resignation-quitting.html

[7] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2546882 

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