La conférence débat à laquelle je participerai lundi prochain (29 juin) à Paris avec le Laboratoire de l'Égalité, a pour titre "Les hommes veulent-ils l'égalité" avec les femmes ? C'est aussi le titre de mon dernier livre qui tente d'y répondre.
De prime abord, les hommes n'ont aucun intérêt à remettre en question l'organisation hiérarchique vieille de 200 000 ans qui leur donne mille privilèges sur les femmes. Jusqu'à il y a peu, après avoir eu longtemps le statut d'objet de propriété des hommes, les femmes ont lentement acquis les mêmes droits qu'eux sur le papier. Mais la réalisation de ceux-ci attend encore partiellement sa réalisation dans les faits.
25% de différence salariale en moyenne, la violence conjugale qui tue une Française un jour sur trois, le viol, le harcèlement, les tâches ménagères réalisées à 75% par les femmes, sans parler des avantages matériels et symboliques en politique, dans la distribution des richesses et j'en passe. Or, on n'a jamais vu un groupe dominant remettre en question spontanément ses privilèges. Du coup, on voit bien que les hommes ne cèdent des parcelles de leur pouvoir que dans la résignation et dans une grande lenteur. Car ce que les femmes vont obtenir, des hommes doivent le perdre. Dans toute assemblée politique, les femmes occuperont des sièges que des hommes auront dû leur céder. Le temps de travail ménager diminuera pour les femmes quand augmentera celui des hommes. A masse salariale égale, les salaires masculins devront baisser pour voir augmenter d'autant ceux des femmes...
La discrimination positive dont les hommes ont bénéficié va devoir s'arrêter. Et ils ne sont pas prêts.
Pourtant, quelques hommes se sont très tôt engagés sur le chemin de l'égalité. Poullain de la Barre au 17e, Condorcet au 18e, Léon Richer au 19e et beaucoup d'autres à leur suite. En revanche, d'autres hommes s'organisent pour refuser cette égalité qui leur fera perdre des avantages: des groupes dits "masculinistes" ou "antiféministes" s'organisent, le plus souvent en se cachant derrière des associations "de pères". Ils défendent le droit du machisme à s'exprimer librement, grimpent sur les grues et le plus souvent leurs membres ont un casier judiciaire copieusement rempli suite à des violences intrafamiliales.
Du coup, quatre hypothèses s'offrent à celles et ceux qui veulent convaincre de la nécessaire égalité entre femmes et hommes.
Première hypothèse: les bienfaits pour les hommes. Penser aux bienfaits de la fin de la domination pour les dominants est un contre-sens. Aurait-on ainsi raisonné pour les Blancs en Afrique du Sud, en cherchant en quoi la fin de l'Apartheid leur ferait du bien? Chacun aurait trouvé cette hypothèse indécente. Cet argument est souvent utilisé pour l'égalité professionnelle qui devrait avant tout bénéficier aux entreprises (aux mains des hommes) plutôt que de rendre justice aux femmes. Cet argument utilitariste est surtout cynique et inefficace car fondé sur un mensonge.
La seconde hypothèse postule que les hommes souffriraient de l'inégalité. Même si elle peut faire sourire, cette thèse est très souvent défendue pour, soit-disant, convaincre des hommes dans les entreprises. Les hommes souffriraient de gagner plus, de ne pas faire les tâches ménagères, d'être valorisés par rapport aux femmes... Or, tous les sondages montrent que les hommes n'acceptent l'égalité avec les femmes que quand elle n'est pas trop coûteuse pour eux. Généralement, ils ne s'estiment pas en position dominante mais considèrent que d'autres hommes le sont (surtout les pauvres et les étrangers). "Toutes dominées sauf la mienne !"
La troisième hypothèse postule que l'égalité est la seule voie "juste". Cette position éthique a l'avantage de ne souffrir aucune discussion, de ne nécessiter aucune démonstration, ni aucune statistique. Mais elle a l'inconvénient de ne pas être très vendeuse. Affirmer à un homme qu'il serait juste qu'il fasse la moitié des tâches ménagères et qu'il baisse son salaire pour augmenter d'autant celui de sa collègue qui fait le même travail se révèle parfois peu efficace.Même si de plus en plus d'hommes adhèrent, en tout cas, à son principe.
Enfin, la quatrième hypothèse, plus optimiste à long terme, est celle de l'émergence. Cette idée part de l'idée que des changements sociétaux (économiques, politiques, structurels...) entrainent des modifications non prévues et non voulues de l'organisation sociale. La révolution des femmes n'apparaît pas par hasard au 20e siècle mais bien parce que ce cette époque, suite à des transformations de la relation de l'individu à la collectivité (siècle des Lumières, révolution, capitalisme, individualisme, nombre d'enfants par famille), induit la possibilité de penser l'égalité de personne à personne, en dehors de toute appartenance à une race, une classe, un sexe, une préférence sexuelle. L'émergence de l'égalité des sexes peut ainsi être perçue comme une lame de fond, structurelle, inéluctable, sans retour possible (malgré des ralentissements, des réactions, des freins). Tout individu peut décider de se laisser emporter par ces transformations plutôt que d'y résister.
Se saisissant des deux dernières hypothèses, un homme du 21e siècle a donc ainsi la possibilité de choisir, plutôt que d'être une pierre inerte et immobile, de se considérer comme une terre glaise dont il est le sculpteur permanent, décidant de la forme à se donner à soi-même, effaçant des traces anciennes d'une culture qui change et qu'il dépasse. Découvrant ses erreurs et modifiant ses schémas erronés avec le bonheur du sentiment de progression. Bref à être son propre maître sur une voie qui le fera grandir vers l'égalité. Il n'en tirera aucun bénéfice à court terme, mais il s'inscrira dans une trajectoire juste et tournée vers l'avenir.
Reste à voir comment il peut mettre en place une telle stratégie dans son parcours individuel...