Introduction et résumé du rapport
France Télécom a le passé d’une administration entreprenante et innovante qui a été capable de relever de grands challenges : « le téléphone pour tous », le minitel, l’Internet, le téléphone mobile, etc. Les salariés étaient fiers de leur mission de service public et attachés à leur statut de fonctionnaire.
Ce statut était protecteur pour les salariés de France Télécom. Il garantissait équité et transparence : du recrutement par concours externes, aux promotions par concours internes ou à l’ancienneté, en passant par les mutations qui obéissaient à des critères objectifs et connus de tous. Les rétributions étaient également soumises à des règles graduées officielles.
La déréglementation du marché des télécommunications et le changement de statut de France Télécom ont profondément changé les règles du jeu internes de l’entreprise et les salariés ont perdu beaucoup de leurs repères. Sur le plan juridique, la situation de France Télécom présente la particularité d’une mixité des registres privé et public du droit qui concourent à cette perte de repères et à des différences de traitement des salariés (deux systèmes de médecine du travail, deux systèmes de contentieux, etc.).
Ces transformations ont été fortement accentuées, suite à l’éclatement de la « bulle Internet », par la succession des plans de redressement et de réorganisations de France Télécom (TOP, NExt et ACT) au moment où l’entreprise était dans une stratégie de croissance externe d’envergure. A cette époque, France Télécom a connu un endettement record et a apparemment frôlé la faillite.
Ces plans se sont traduits par une mise sous tension de l’organisation et ont exposé les salariés à de multiples facteurs de risques psychosociaux. Une nouvelle organisation du travail s’est mise en place, les réorganisations et fermetures de sites se sont succédé à un rythme rapide et la réduction des effectifs a été drastique.
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Rapport principal
Introduction
COMITE DE PILOTAGE DU 21 MAI 2010
Déclaration Technologia : Compte-rendu de mission
Au début du mois de septembre 2009, le cabinet Technologia a été retenu comme deux autres cabinets par la Direction Générale de France Telecom afin de participer à un appel d’offres restreint destiné à la sélection de l’expert qui serait en charge de l’évaluation des risques psycho-sociaux.
Les experts de Technologia ont présenté le 18 septembre, devant les organisations syndicales, la Direction Générale des Ressources Humaines et le Service de Santé au Travail, leur première vision du problème, leur méthodologie et leurs outils, ainsi que leur proposition pour procéder à l’évaluation des risques psychosociaux à la suite de la crise suicidaire médiatisée à partir de juillet 2009 à Marseille.
Lors de cette présentation devant les représentants du personnel, les dirigeants et le médecin coordonnateur, nous avions alors expliqué que nous ne voulions surtout pas procéder à un audit pour un audit.
Au cours de ce grand oral du 18 septembre, 7 grands engagements ont été pris par les experts de Technologia avant que le choix collectif ne se tourne majoritairement vers nous :
- Agir très rapidement pour avancer dès que possible les premières préconisations étant donné l’urgence de la crise ;
- Agir en concertation et en coopération étroite avec le comité de pilotage (COPIL) et tous les acteurs internes de la prévention des risques psychosociaux (RPS), à savoir : les représentants du service de santé au travail, les dirigeants, et bien entendu les représentants mandatés par toutes les organisations syndicales (CGT, SUD, CFDT, CGC-UNSA, FO, CFTC ) ;
- Tenir compte du passé et des études conduites par d’autres cabinets d’experts en prévention des risques depuis deux ans ;
- Donner la parole à tous les salariés de France Télécom sous la forme d’un grand questionnaire ;
- Analyser la complexité des métiers, des situations de travail, des spécificités de France Télécom en France qui compte plus de 104 000 salariés ;
- Procéder à l’analyse des facteurs professionnels pouvant permettre d’interpréter les passages à l’acte afin d’en tirer tous les enseignements en matière de prévention ;
- Rendre compte avec objectivité, réalisme et professionnalisme des situations de travail constatées et s’inscrire pour cela dans une démarche de prévention primaire ; l’objectif étant de mettre à jour des pistes, des solutions, afin d’aider aussi les acteurs internes à aller à la racine des problèmes, à rechercher les causes profondes du mal être au travail afin de bâtir un plan opérationnel de prévention adapté au terrain.
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Les constats
Nous confirmons dans nos rapports et dans notre synthèse, la profondeur de la crise qui se poursuit encore. Nos constats restent alarmants. Ils appellent le redoublement des efforts et la poursuite opiniâtre d’une stratégie en profonde rupture avec le passé. La gravité ne doit pas exclure la prise en compte des motifs qui peuvent conduire à reprendre espoir et à consolider des marches de progrès.
Les attentes des salariés sont très élevées à l’aune de leur engagement passé dans les grands projets qui ont fait la force de France Télécom. A l’aune aussi des difficultés rencontrées qui les ont meurtris. Cette attente que nous avons encore constatée dernièrement est le levain du renouveau.
La mobilisation historique des salariés s’est exprimée lors de la réponse au questionnaire préparé avec soin en collaboration avec l’ensemble des partenaires sociaux. 80.000 personnes y ont répondu.
A partir du moment où les salariés étaient si massivement nombreux au rendez- vous, la direction ne pouvait que les entendre.
Cette mobilisation a été exceptionnelle et vivace depuis le lancement du processus. Nous en avons été témoins. Le cabinet Technologia a recueilli depuis qu’il a gagné cet appel d’offres des milliers d’appels téléphoniques, des milliers de mails, des demandes nombreuses de rencontres parfois impromptues avec des techniciens, des cadres, mais aussi des cadres supérieurs.
De plus, il est à noter, que le nombre de verbatim recensés par Technologia a été « gigantesque » - plus de 27.000 verbatim reçus sur les questionnaires.
On le voit, dès le 14 décembre 2009, une dynamique forte vers le renouveau était engagée. Par ailleurs, le 8 janvier 2010, les premières décisions symboliques et en rupture avec le passé ont été annoncées par la direction de France Télécom.
La dynamique pour le renouveau n’est pas le résultat de la seule démarche engagée par les partenaires sociaux avec Technologia. Cette dynamique s’est trouvée aussi renforcée par la Direction et son initiative de lancement des Assises de la Refondation. Il est évident que le mouvement de libération de la parole des salariés était engagé...
Cette dynamique pour le renouveau a aussi été soutenue par l’action des partenaires sociaux qui ont d’ores et déjà signé 7 accords visant à initier une nouvelle donne sociale et l’amélioration du bien être au travail.
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Ce processus a inévitablement provoqué des réactions de défense. Il est normal que ce processus de confrontation à la réalité et de remise en cause des mécanismes structurels ait bousculé ceux qui ont conçu et porté le système. Il ne s’agit en aucun cas de remise en cause individuelle. Toutefois, il est bien normal qu’il existe de fortes résistances au changement.
Aujourd’hui, nous avons pu mener à terme ce travail d’analyse et nous le soumettons à la réflexion de tous ceux qui en interne sont motivés pour aider au renouveau de France Télécom.
Confronté à cette gravité, Technologia qui depuis vingt ans a construit sa démarche d’évaluation des risques en demeurant fidèle à ses principes, a cherché à rendre compte des pratiques de travail vécues et des situations de travail subies. C'est-à-dire en permettant l’émergence du réel.
De fait, de part notre position d’expert, agissant dans ces circonstances dramatiques, cette analyse met l’accent sur les facteurs de risques. Elle n’exclut pas les bonnes pratiques anciennes et actuelles et les éléments perceptibles du renouveau annoncé.
Cette approche a rencontré l’attente et l’intérêt de milliers de salariés. Nous remettons donc :
- Un rapport principal ou transverse qui permet d’appréhender les facteurs de risques auxquels sont soumis l’ensemble des personnels ;
- 4 rapports par métier qui appréhendent les facteurs de risques en fonction de la dynamique de ces métiers ;
- Rapport 1 : les techniciens réseaux,
- Rapport 2 : les fonctions supports,
- Rapport 3 : le marché et les activités clients particuliers,
- Rapport 4 : le marché et les activités clients entreprises.
- Un rapport annexe avec des éléments statistiques demandés par les membres du COPIL ;
- Enfin un rapport qui reprend rapidement les principales préconisations. Nous avions souhaité organiser ces préconisations dans un grand projet qui aurait pu s’intituler «qualité du travail et simplification des process » « Q&S ».
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Les techniciens réseaux
Résumé général
Avec l’amorce de la privatisation de l’entreprise à la fin des années 1990 et au début des années 2000, c’est le sens même du travail pour de nombreux professionnels du réseau, et notamment les techniciens d’interventions, qui a considérablement changé. La culture de l’entreprise, de son origine jusqu’à l’apparition de la téléphonie mobile avec l’apparition de la marque Orange, était toute entière tournée vers l’abonné, la cible de la logique de service public prévalant jusqu’alors. Les fonctionnaires, recrutés sur concours au milieu des années 1970, ont alors le sentiment de rendre un service de qualité et d’intérêt général au nom de l’Etat. Surtout, ils vivent leur travail comme un moment important de l’histoire des télécommunications avec la construction du réseau qui permet un accès au téléphone pour tous, indépendamment de toute considération commerciale ou financière. C’est la logique d’un service au public qui prévaut.
La privatisation va imposer un nouveau régime d’action à l’entreprise. Orientée vers la compétitivité et la logique de l’actionnariat, la Direction de l’entreprise cherche à transformer les pratiques et les représentations des fonctionnaires afin d’accompagner les changements qui se déroulent. C’est toute la philosophie d’un monde, celui d’une entreprise publique au service du public, qui est en train de disparaître au profit d’une entreprise privée, dont le but premier est de dégager des résultats probants afin de gagner des parts de marché et « faire du chiffre ». Cette culture du résultat immédiat, à court terme, est contraire à la vision du monde des professionnels du réseau issus du monde de la fonction publique et en charge du développement et de la maintenance, pour qui le travail est avant tout collectif et au service de la collectivité.
Du coup, le sentiment d’appartenance s’estompe peu à peu et les professionnels du réseau vivent de moins en moins bien la nouvelle image de l’entreprise qui se révèle. Cette situation de désajustement au poste entraîne une distorsion de la réalité qui perturbe ces professionnels, dans la mesure où ils ont l’impression de ne plus reconnaître leur entreprise.
L’arrivée d’Orange a brouillé les marqueurs identitaires des professionnels du réseau, au sens où ils ne reconnaissent plus leur outil de travail tant celui-ci a évolué et s’est transformé. Pourtant, la « mentalité » du professionnel du réseau subsiste dans l’amour du travail bien fait, car ils tentent toujours avec la même persévérance de rendre un service de qualité quand toute la structure leur impose une culture du résultat, chiffre à l’appui. Ces transformations reposent la question de l’identité au travail des professionnels du réseau.
Au cours de leur mission sur les Professionnels du réseau, les experts du cabinet Technologia ont rencontré plusieurs centaines de salariés en complément de l’analyse statistique. Il ressort de ces entretiens une multitude de constats et de questionnements pour l’avenir. Bien entendu, le présent rapport n’épuise pas toute la richesse des situations rencontrées par les Professionnels du réseau et ne vise pas à l’exhaustivité. Pourtant, ce rapport est une contribution importante afin de mieux saisir les logiques du risque psychosocial qui sont à l’œuvre en ce moment au sein de cette population. Il donne à voir et à penser sur les conséquences que les différents projets menés par la Direction de l’entreprise ont eu sur les conditions de travail de ces salariés et notamment au plan : de l’identité professionnelle, de la détérioration des relations managériales, de l’environnement de travail immédiat, des plans de charge, de la perte d’autonomie, de l’éclatement des collectifs, de l’absence de reconnaissance des compétences, d’un manque de soutien par les ressources humaines, etc.
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Les fonctions support
Les familles de métiers analysées dans ce chapitre regroupent une grande variété d’emplois et de domaines d’activités : Finances, Marketing, Communication, Services Généraux, Supply chain.
De ce fait, les types de fonctions objets de nos observations sont de natures très diverses: experts (experts process, ingénieurs...), managers (responsables d’équipes, responsables d’unités, responsables MOA), chefs de projet, métiers techniques (programmeurs, architectes...), métiers de gestion (contrôleurs de gestion, acheteurs, gestionnaires..), ainsi que des postes d’assistanat.
Si la plupart des problématiques rencontrées au sein des familles de métiers support sont communes à celles des autres domaines d’activités de France Télécom, certaines d’entre elles prennent un caractère particulier du fait du positionnement singulier des fonctions support qui est celui de « fournisseur de client interne » et de l’intensité des relations à l’intérieur du groupe que la fonction implique.
La pluralité des services comme des métiers qui a été prise en compte dans ce rapport et ce que les données qualitatives et quantitatives révèlent n’a pas été sans poser problème aux experts. La plupart des situations croisent en effet les grandes problématiques de France Télécom, traitées dans le cadre du rapport transverse.
Néanmoins, ont été isolés et regroupés dans une même partie les métiers R&D et IMG, ou d’autres spécialités qui semblent présenter des points communs mis en évidence au travers de la problématique des salariés qualifiés d’« experts » (voir chapitre III).
La problématique des RH étant fortement mise en question par l’ensemble des acteurs de France Télécom, il nous a semblé nécessaire de nous pencher spécifiquement sur ce secteur d’activités et sur les différents métiers qu’il recouvre, afin (entre autres) d’analyser les conditions de travail et les ressentis des salariés. Peu de personnes rencontrées ont évoqué des conditions de travail difficiles ; cependant, ce sont bien celles-ci qui ont le plus d’impact sur les facteurs de ressenti négatif au travail, en particulier chez les DRH. On observe un phénomène similaire concernant les indicateurs de risque de « relations sociales dégradées » et de « désajustement professionnel » : si les salariés touchés ne semblent pas très nombreux, ce sont eux qui cumulent ces indicateurs de ressenti négatif, en particulier les non-cadres. A été ajouté au traitement des RH celui des fonctions liées au service de santé.
Par ailleurs, en tant que fonctions support aux opérations de France Télécom, les familles de métier rattachées à la Direction Financière, à la Direction Achats et à la Direction Immobilière ont joué un rôle moteur dans le pilotage des transformations du groupe. Les entretiens menés montrent que cette position pilote a pu constituer à la fois une position privilégiée et impacter le ressenti des salariés vis-à-vis de leurs collègues.
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Le marché et les activités clients particuliers
Résumé général
L’évaluation des risques psychosociaux sur les plateformes téléphoniques et dans les boutiques s’inscrit dans le contexte d’une expertise nationale menée au niveau groupe France Télécom par le cabinet Technologia. De nombreux changements intervenus dans le Groupe ces dernières années ont eu pour effet de mettre davantage le travail sous tension, notamment dans les populations faisant l’objet de ce présent rapport.
Le croisement des informations récoltées montre que globalement le mode d’organisation du travail et les conditions de travail sont clairement porteuses de facteurs de souffrance au travail, dont les effets délétères sur la santé des salariés se manifestent depuis plusieurs années pour nombre d’entre eux. La nature contraignante des activités, l’absence d’autonomie, les obstacles à un travail efficace, la perte du sens au travail, le sentiment d’un manque de reconnaissance tant sur le plan professionnel que sur le plan humain, sont les principales sources de la souffrance au travail : de la perte d’efficacité, en passant par la démotivation de certains et son corollaire le désinvestissement, pour aller jusqu’à des problèmes de santé pour d’autres.
Au niveau national, 55 % des salariés se disent plutôt insatisfaits de leur situation de travail prise dans sa globalité et les populations les plus concernées par des situations de travail tendu (forte charge psychologique associée à une faible autonomie et un faible soutien) sont celles qui exercent un métier lié au service clients et à la distribution, sujets de ce rapport.
Pour des raisons de lisibilité et dans le but de faciliter la compréhension des lecteurs, les problématiques sont exposées selon les principes suivants :
- Description des deux grandes catégories d’activités et de leurs conditions spatiales et temporelles d’exercice ;
- Regroupement des problématiques communes desdites activités, aussi bien celles concernant les conseillers, les soutiens métier que les managers de proximité ;
- Présentation séparée des problématiques spécifiques liées à ces activités;
- Mise en évidence du mal-être des managers de proximité inhérent à leur position d’intermédiaire, tiraillés entre leur loyauté à l’entreprise et le soutien de leurs collaborateurs ;
- Explication des liens existant entre les changements mis en place à marche forcée et la perte de sens au travail, ainsi que les effets dommageables qu’ils engendrent pour les salariés et l’entreprise.
Problématiques communes aux conseillers
Les téléconseillers et les vendeurs boutiques exercent une activité encadrée par de nombreux objectifs de productivité et de résultat. Les salariés rencontrés ont évoqué une pression permanente des objectifs au détriment de la qualité de service, allant même jusqu’à craindre une forte dégradation de l’image de France Télécom dans un univers fortement concurrentiel où l’offre produit représente de moins en moins un avantage. La politique du chiffre s’exprime dans la rémunération des salariés à travers la part variable vendeur (PVV), qui, d’un outil d’incitation devient parfois un outil de dévoiement des comportements commerciaux, générateurs de tensions. Toute l’organisation du travail, tant par les outils que par les pratiques managériales, est orientée vers l’atteinte des objectifs en exerçant un contrôle permanent sur les salariés. Dans ce contexte, les entraves à la bonne exécution du travail générées par les lourdeurs et la complexité du système d’information représentent un facteur de stress important des salariés. Ces dysfonctionnements sont de fait un obstacle supplémentaire à leur efficacité. En outre, la multiplicité des applications, l’abondance des offres commerciales et leur fréquent renouvellement, l’insuffisance de soutien et de formation au fil de l’eau nécessitent un sur-investissement des salariés dont les efforts ne sont pas toujours couronnés de succès, affectant ainsi la part variable de leur salaire.
Le travail de conseiller sur plateformes téléphoniques
Les facteurs majeurs de stress ont été identifiés dans la nature même de l’activité et de ses conditions d’exercice.
Un environnement de travail impersonnel (open spaces) et souvent bruyant, un rythme de travail imposé par un flux pressant d’appels, une absence totale d’autonomie, un contrôle permanent de l’activité, tant par les outils que par un management de proximité, le contrôle du langage, associés à des pratiques d’animation commerciales parfois infantilisantes sont autant de causes majeures du mal-être au travail.
Les conseillers en boutique
Caractérisée par une omniprésence physique des clients à laquelle il est impossible de se soustraire, l’activité commerciale en boutique exerce une réelle pression sur les conseillers et leurs managers ; pression d’autant amplifiée par le comportement agressif des clients mécontents de la durée de l’attente avant d’être reçus par un conseiller et/ou de la qualité de service de France Télécom. En outre, les conseillers boutique sont une cible privilégiée pour les clients car ils sont les uniques représentants France Télécom physiquement identifiables. A cela, s’ajoute la nécessité de s’adapter à des clients aux demandes multiples et de masquer totalement ses propres émotions.
Les problématiques transverses
Un management d’individualisation des rapports, valorisant prioritairement les résultats individuels au détriment des résultats collectifs, laisse peu de place au sentiment d’appartenance à un groupe homogène ; La reconnaissance du travail collectif est pourtant d’autant plus nécessaire qu’il y a juxtaposition des tâches. Chaque membre du groupe traite un sous-ensemble de la tâche globale à effectuer, répondre aux demandes des clients. La performance du groupe correspond à la somme des performances individuelles. Si certains membres ne participent pas ou peu à l’activité, cela affectera le résultat collectif, tant dans sa rapidité d’exécution que dans le résultat global final.
Ce déficit de reconnaissance collective participe au déclin du sentiment d’appartenance à un collectif de travail et interdit de tisser un véritable « filet » horizontal qui permettrait de résister à la pression verticale.
En outre, pour les salariés aux parcours internes témoignant d’une grande mobilité professionnelle et ayant nécessité un fort investissement de leur part, le déficit de reconnaissance collective ne semble pas compensé par une reconnaissance individuelle suffisante.
Cela est amplifié par le sentiment de ne pas pouvoir mener à bien son travail qui met à mal l’image de soi (avoir une bonne estime de soi) mais aussi l’identité professionnelle (être fier de ce que l’on fait).
Les experts ont également mis en évidence le fait que les salariés présents avant le changement de statut juridique du groupe, qui avaient comme dénominateur commun d’avoir intégré deux fortes valeurs « respect du client » et « notion de service rendu au client », ne se retrouvent pas dans la « nouvelle » entreprise ; à leur yeux son but prioritaire n’est plus la satisfaction du client, vecteur de rentabilité, mais la rentabilité au détriment du service client.
Les salariés ont pour beaucoup renoncé à faire changer les règles de rentabilité édictées par l’entreprise : soit ils les contournent ou les ignorent afin de privilégier la satisfaction du client, soit ils les dévoient pour atteindre leurs propres objectifs de salaire.
Le stress des managers de proximité
Dans ce contexte, les managers sont davantage des «courroies de transmission » des décisions émanant de la direction, que de véritables leaders ayant suffisamment d’autonomie pour donner du sens à l’action. Il faut cependant nuancer le propos pour les responsables boutiques, qui se sentent un peu plus autonomes que les responsables d’équipe sur les plateaux téléphoniques.
La pression concomitante de la hiérarchie qui défend une politique du chiffre et de leurs collaborateurs qui souffrent de cette politique, met les managers de proximité particulièrement sous tension. Certains vont privilégier le soutien des salariés en les exonérant de certaines contraintes alors que d’autres vont transmettre la pression qu’ils subissent, se libérant ainsi en partie de la leur. Dans tous les cas, lorsque ces situations perdurent, elles engendrent un stress chronique particulièrement dommageable pour la santé.
Enfin, même s’ils sont minoritaires, certains managers, se sentant « encouragés » par un contexte de forte pression, montrent des comportements de type « harcèlement ».
L’ensemble de ces constats caractérise un processus bien réel de dégradation des conditions de travail des salariés rencontrés. La situation actuelle nécessite donc de prendre des décisions énergiques et urgentes pour les améliorer et ainsi éviter d’augmenter encore les conséquences négatives prévisibles sur la santé psychique des salariés.
Au regard de cette situation, les experts ont orienté leurs recommandations autour de 7 axes :
- diminuer la charge psychologique des salariés, notamment en diminuant significativement la pression des objectifs ;
- leur redonner de l’autonomie ;
- leur apporter davantage de soutien, notamment par la formation, et favoriser l’entraide ;
- favoriser le sentiment d’appartenance à un collectif de travail ;
- valoriser un comportement éthique ;
- améliorer les conditions de travail ;
- impliquer la Direction.
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Le marché et les activités clients entreprises
Résumé général
Lorsqu’en 1995 est créé au sein de France Télécom le « marché Entreprises », un signe fort est donné, tant en interne qu’à l’externe, de la volonté de France Télécom de se développer non seulement en servant les particuliers, mais aussi les entreprises dans une logique de marché et non plus seulement de « service public ». Avec le rachat d’Orange, la privatisation de France Télécom, puis l’utilisation de la marque Orange pour l’ensemble de l’offre client et la création de l’entité Orange Business Service pour les offres à destination du monde professionnel (entreprises et services publics), le mouvement vers une logique concurrentielle s’est progressivement concrétisé. D’un point de vue social, il a été accompagné par une série de réorganisations visant à adapter la structure du Groupe au marché et à réduire les effectifs sans licenciement.
Dans un premier temps, ces changements ont successivement visé à :
- adapter l’entreprise à la logique de marché ;
- réussir l’intégration d’entreprises acquises par la mise en œuvre d’une stratégie de croissance externe (x acquisitions en y années) ;
- réduire les coûts pour permettre le désendettement du groupe par une succession de plan de progrès (NEXT, MEF...), mais aussi par une mutualisation des moyens.
Dans le domaine spécifique qui est envisagé dans ce rapport, celui du marché Entreprises, nous avons pu constater que l’ensemble de ces bouleversements avait généré :
- une dégradation des conditions de travail avec en particulier des phénomènes de surcharge ou de sous-utilisation, mais aussi des processus de travail souvent lourds et des systèmes d’information présentant de nombreux dysfonctionnements ;
- des collectifs de travail fragilisés, liés à la fragmentation de l’organisation et à l’apparition d’équipes virtuelles de plus en plus nombreuses ;
- la perte de sens au travail associée à un sentiment d’« absurdité du système » recouvrant de nombreux problèmes, depuis des situations de désajustement professionnel identifiées dans l’analyse des questionnaires, jusqu’au « pilotage par des indicateurs de moyens présentant parfois peu de rapport avec la réalité du business », en passant par « une politique de qualité ressentie comme moindre qu’auparavant » ;
- des situations de travail critiques résultant d’une inadéquation entre charge et capacité, d’une perte d’autonomie et d’un soutien insuffisant de la hiérarchie, mais aussi parfois des collègues.
Les caractéristiques spécifiques à OBS ont amplifié ces déséquilibres en renforçant des lignes de fractures observées dans le reste de l’entreprise :
- Jeunes/anciens : l’arrivée de nouveaux collaborateurs, soit par la voie des acquisitions, soit par les recrutements directs, a créé des déséquilibres importants, en particulier sur les conditions de rémunération, mais a aussi remis en cause le « pacte social » qui reposait sur des valeurs fortes de « service client » et de loyauté vis-à- vis de l’entreprise.
- Fonctionnaire/contractuel : le phénomène ci-dessus a parfois créé un fossé entre les deux statuts, avec le sentiment pour les fonctionnaires d’une remise en cause unilatérale de leur contrat.
- Paris/Province : plusieurs facteurs ont contribué à fragiliser sensiblement les salariés en province :
- la réduction du nombre de sites visant à réduire les effectifs a non seulement altéré la confiance dans la Direction, mais a aussi créé des « déserts » qui placent les salariés en province devant un dilemme nouveau, « ma maison ou mon métier », ce qui a favorisé un contexte généralisé d’incertitude et d’inquiétude quant à l’avenir ;
- le renforcement des lignes de produits et corrélativement l’affaiblissement des directions territoriales, qui a renforcé un sentiment d’absence de soutien de la hiérarchie déjà mis en évidence par le questionnaire.
Faute d’accompagnement, et « sous la contrainte de l’urgence financière », le contrat social liant les salariés à l’entreprise a donc été profondément altéré, entraînant des situations de travail critiques, en particulier dans :
- les services commerciaux, les vendeurs « nomades » et «sédentaires» et les assistantes commerciales, pour lesquels le programme MEF a impliqué des changements de mode de fonctionnement très importants, source bien souvent d’une profonde désorientation ;
- l’administration des ventes que la conjonction de l’extrême taylorisation du processus, la fragmentation de l’organisation et l’inefficacité des systèmes d’information ont transformée en « village gaulois » ;
- les téléopérateurs, pour lesquels les conditions de travail en plateaux, le mode de management «infantilisant» et l’absence de soutien confirment qu’ils sont en situation de travail tendu ;
- les gestionnaires de projets que l’absence de reconnaissance et de soutien fragilise ;
- les salariés déclassés ou sans affectation, résultat de changements organisationnels souvent brutaux, qui sont exposés en toute première ligne à des risques psycho-sociaux graves.
Mais ce qui avait été « accepté », au nom des impératifs de survie, devient intolérable dès lors que les grands équilibres économiques paraissent rétablis.
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Les préconisations du cabinet Technologia
Introduction
Une situation à risque à moyen terme
La santé au travail est un élément rarement pris en compte dans la mesure de la performance des entreprises. Or si elle résulte de leurs modes d’organisation, elle conditionne aussi en grande partie leur réussite à moyen et long terme.
Pour le bien-être et l’efficacité au travail
La situation a laquelle France Télécom est confrontée en termes de risques psychosociaux a été présentée dans les différents rapports remis par Technologia. Elle est liée à :
- un ensemble de décisions basées sur des principes de management qui ont justifié la mise en place d’une organisation taylorienne et de processus induisant une logique de méfiance et de contrôle ;
- des problématiques multiples (complexité des applications informatiques, virtualisation des équipes, pression sur des indicateurs de moyens, etc.).
La restauration de conditions de travail prenant en compte la santé physique et psychique des salariés devra se faire selon trois axes :
- rétablir au plus haut niveau des valeurs d’éthique et de responsabilité permettant de rebâtir un modèle de leadership basé sur la confiance, l’autonomie, la responsabilité, l’écoute et la reconnaissance de chacun ;
- repenser l’organisation à partir de ces principes pour :
- reconstruire un collectif de travail à même de jouer son rôle de soutien,
- restaurer dans leur rôles respectifs les acteurs de la régulation (management, ressources humaines, Services de santé au travail, IRP),
- redonner du sens au travail en rendant visibilité et pouvoir aux équipes ;
- redéfinir et communiquer sur une vision mobilisatrice centrée sur la satisfaction des clients et des collaborateurs, et la simplification dans tous les domaines (organisation, processus, modes de gestion, etc.).
Trois facteurs clés de succès nous paraissent devoir conditionner la mise en œuvre de ce plan de progrès :
- l’implication de la Direction au plus haut niveau à la fois dans la nouvelle vision de l’entreprise, la communication auprès de l’ensemble des salariés et la prise en compte des remontées du terrain. Dans un contexte de changement aussi radical que celui que l’entreprise doit conduire, l’exemplarité de la Direction est plus que jamais modélisante. Elle doit en particulier aller expliciter sa stratégie sur le terrain ;
- une démarche aussi participative que possible ;
- une visibilité donnée aux salariés et à leurs représentants sur la construction, les étapes de réalisation, le planning et le niveau d’avancement du plan de rétablissement de la santé au travail.
Afin d’avoir une vision globale des préconisations, nous les avons regroupées dans ce document tout en faisant aussi figurer les préconisations métier à la fin de chaque rapport métier.
Les préconisations transversales sont classées selon une logique temporelle. Nous avons distingué :
- les actions qui peuvent être mises en œuvre rapidement et auront un impact important à court terme ;
- des actions plus « structurantes» , plus longues à mettre en œuvre et qui auront un impact à moyen terme.
Les préconisations sont donc réparties dans 5 chapitres :
- le premier chapitre est consacré aux préconisations transversales en prenant en compte la distinction court et moyen terme. Ces propositions reprennent majoritairement les propositions faites dans le cadre du rapport d’étape. Les propositions reprises dans le cadre des différents accords font l’objet d’une analyse de convergence1 et sont surlignées en gris ;
- les quatre autres chapitres présentent les préconisations par métier.
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Annexes statistiques Questions ouvertes, Tris à plat et Tris croisés
Méthode d’analyse
Nous avons retenu les mille mots et mille segments de trois mots les plus couramment utilisées par les répondants. Ont été sélectionnés, parmi ces deux mille mots et segments de mots, ceux qui portaient le plus de sens en relation avec la description du travail à France Télécom.
Nous avons finalement regroupé ce sous-ensemble de mots et de segments de mots en cinq thèmes distincts :
- Vision de l’entreprise ;
- Conséquences de l’évolution de l’entreprise. Ce thème particulièrement fourni est lui-même subdivisé en six sous-thèmes : Climat social, Organisation du travail, Conditions de travail, Santé, Mobilité, Carrière ;
- Management ;
- Ressources humaines ;
- Evocation des suicides.
Toutes les statistiques, qui suivent, sont calculées sur le champ des répondants au questionnaire France Télécom, soit 79 758 individus.
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Annexes statistiques Population à risque
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