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Billet de blog 15 mars 2022

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Le procès de France Télécom - Orange en appel !

Le 20 décembre 2019, la Présidente du Tribunal, Cécile Louis Loyant, annonçait la condamnation de France Télécom et de 7 de ses dirigeant·e·s, pour harcèlement moral, avec des peines de prison ferme et des amendes maximum. Un jugement exemplaire et sans doute avec une charge historique qui invite à en défendre le texte.

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Comme les faits jugés remontaient à plus de dix ans, elle ordonne l’indemnisation des victimes à l’issue du procès. Le représentant de la direction d’Orange annonce immédiatement que l’entreprise indemnisera bien les victimes, qu’elle ouvre une période d’indemnisation avec une procédure de réparation à l’issue du procès et qu’elle ne fera pas appel de ce jugement. Ce sont donc les seuls dirigeants de l’époque, qui feront appel du jugement, avec des débats qui reprendront donc du 11 mai au 1er juillet 2022.

L’enjeu essentiel de ce procès d’appel va donc se concentrer sur l’appréciation juridique de la notion de harcèlement institutionnel que la direction de France Télécom avait mis en place pour faire, « quoiqu’il en coûte » (pour reprendre une expression à la mode), 22 000 départs « par la porte ou par la fenêtre ».

La Présidente du Tribunal avait souhaité définir ce harcèlement moral institutionnel au travail comme « un phénomène collectif », avec pour ligne de fond, le développement « d’une fragmentation du collectif par l’instauration d’un climat de compétition délétère, par la prolifération de comportements individualistes, par l’exacerbation de la performance ». Les victimes ont bien sûr été la cible de pressions, de brimades, d’isolement qui tracent ainsi des chemins de douleur et de solitude, qui ont conduit à des gestes extrêmes mais aussi à des enfermements dans la sidération et la maladie.

A noter, pour les puristes de la chose juridique, que la juge s'était appuyée sur un avis d'avril 2001 du CESE (Conseil économique, social et environnemental) qui préconisait, déjà à cette époque, d'élargir la notion de harcèlement, qui restait individuelle, à une notion de harcèlement managérial collectif. Les méthodes patronales importés d'outre-atlantique s'étaient déjà imposées dans les entreprises européennes.

Les prévenus avaient basé leur défense sur leur irresponsabilité face aux victimes, alors que la guerre économique faisait rage dans le secteur des télécommunications et que l’ancien service public de France Télécom devait s’insérer, de gré ou de force, dans une spirale vertigineuse et dévoreuse d’emplois. Didier Lombard avait déclaré à propos du témoignage d’une partie civile : « je ne connais pas cette personne, je ne connais pas son environnement de travail ».  Ainsi, chaque victime était renvoyée à ses propres failles personnelles, ses propres errances et faiblesses, dans la dure loi du monde des affaires.

Le témoignage des parties civiles a pourtant montré combien les situations individuelles des victimes étaient la conséquence directe de la stratégie managériale globale mise en place par la direction, une stratégie qui se déclinait dans toute la chaine hiérarchique, au fil des plans de restructuration et des nouvelles règles de « gestion des ressources humaines ». 

Nous avions aussi cité des témoins qui ont montré, comme le psychiatre Christophe Dejours, inventeur de la « psycho-dynamique du travail » ou la sociologue Danièle Linhart, directrice de recherches émérite au CNRS, combien les évolutions du monde néolibéral du travail ont développé des méthodes nouvelles de gestion des salarié.e.s, générant souffrance pathogène et crise des collectifs de travail.

Mais, ce phénomène nouveau de souffrance au travail a été poussé à un tel niveau de systématisation par les dirigeants de France Télécom, qu’ils ont conduit une politique managériale pour soumettre l’ensemble des salarié.e.s à une déstabilisation durable et pathogène, pour supprimer massivement des emplois et organiser ainsi une rupture définitive avec son histoire de service public.

Réorganisations incessantes, casse des collectifs de travail, mobilités forcées, tant géographiques que professionnelles, entraves aux délégués du personnel, mise au pas des services d’assistants sociaux et du service de médecine du travail… la crise sociale était patente et les signaux d’alerte existaient : les risques psycho-sociaux étaient cités dans plus de 60% des rapports des CHSCT, un droit d’alerte du Comité National HSCT avait été fait en 2007, les médecins du travail avaient multipliés les alarmes et certains avaient même démissionné. Mais tous ces signaux forts ont été sciemment ignorés, voir contestés et balayés d’un revers de main.

En bref, s’il est clair que la mondialisation de l’économie et l’exacerbation de la concurrence génèrent des politique de management sources de précarisation et de souffrance des salarié.e.s, il est tout aussi clair que les dirigeants de France Télécom ont mis en place une stratégie délibérée qui a dépassé les bornes de la loi pour devenir un harcèlement moral systémique qui a débouché sur un « gigantesque accident du travail » selon la formule de notre avocat Jean-Paul Teissonnière.

Y a-t-il un risque de recul, avec un jugement d’appel qui détricote le jugement de décembre 2019 ? Nous ne le pensons pas, mais il faudrait être bien naïf pour ne pas penser que ce procès de la violence patronale ne soit pas contesté par un patronat français agressif et revanchard, alors que les profits explosent et que les revenus et les conditions de travail et les droits des salarié.e.s se dégradent dans la France macronienne.

Mais, si l’entreprise Orange n’a pas contesté le jugement de 2019 et a commencé immédiatement à verser les procédures d’indemnisations, que reste-t-il de dignité aux dirigeants qui seront à nouveaux sur le banc des prévenus ? Les rois sont nus, ils sont déjà dans les oubliettes de la nomenklatura des affaires. Pourquoi veulent-ils s’entêter ?

Dans les derniers jours du procès, Didier Lombard est venu me voir (!) et, en me serrant la main (?) m’a déclaré : « J’étais d’accord avec ce que vous avez dit au début du procès, nous avons été trahis par l’état ». Quelle indécence !

Une pièce du dossier d’instruction montre que la direction de France Télécom avait sollicité le soutien du gouvernement Sarkozy, un soutien accordé pour des licenciements massifs qui se feraient « sans bruit ». Et j’ai souvenir qu’un haut fonctionnaire m’avait rapporté combien il avait été choqué de voir le trio infernal des Lombard, Barberot et Wenes, arriver goguenard, dans le bureau du ministre du Travail de l’époque, Xavier Darcos. Au plus fort de la crise, les dirigeants de France Télécom, qui s’étaient enrichis en profitant des dividendes d’Orange, pensaient qu’il n’était pas déplacé de blaguer avec un ministre du travail déconcerté par la crise de cette entreprise.

Dans les heures qui ont suivi, une conférence de presse a été improvisée et Didier Lombard a prononcé cette phrase incroyable : « il faut en finir avec cette mode des suicides ».

Aucun remord... ?

Aucun pardon, ils devront payer !

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