L'intervention à la barre pendant le procès des 39 parties civiles a montré l’état de sidération, d’incompréhension, de douleur face à la situation qui leur avait été faite. Surtout, l’absence si énorme des responsables de France Télécom, qui ont laissé les victimes et leurs proches face à un immense trou noir. L’absence de compassion est manifeste, et le banc des prévenu.e.s ne frémit pas. On a même surpris des rictus et des regards exagérément vides. Qu’on ne se trompe pas, il n’y a pas de jouissance à voir les victimes se liquéfier à la barre, au fil de leur histoire ordinaire, de leur récit maladroit. Simplement, elles sont dans le monde des perdants, des sans grades, des sans-dents… ce monde où les victimes ne deviennent vite que des bilans comptables.
Mais, 118 parties civiles avaient aussi été constituées par nos avocats au début du procès, pour demander une indemnisation de leur préjudice moral ou de leur préjudice de carrières, de santé. Certains étaient aussi des proches de victimes. La constitution de ces 118 parties civiles a été vivement critiquée par les avocats des prévenus, qui raillaient à grand renfort d’effets de manche et de sourires entendus l’apparition si tardive de ces victimes, dix années après les faits, la période de prévention retenue par les juges s’étendant de 2007 à 2010. Se sentaient-ils donc si forts, à jeter ainsi ce masque ridicule à la face des parties civiles ?
Quand on mesure la distance qu'il y a, entre le dépôt de plainte contre France Télécom et ses dirigeants en 2010 et la fin d'une énorme procédure d'instruction en 2019, que les avocats des prévenus ont freiné à maintes reprise avec des procédures dilatoires... Il aura fallu dix longues années pendant lesquelles, il était difficile pour les victimes de garder en tête la perspective d'une réparation devant la justice, sans même savoir si le procès aurait lieu !
Mais, pour le malheur des dirigeants de France Télécom, il faut dire que l’ensemble des organisations syndicales avaient exigé, dès le début du procès, l’ouverture d’une procédure d’indemnisation par l’entreprise France Télécom-Orange, qui concernerait l’ensemble des salarié.e.s présents pendant la période de prévention. Les 118 parties civiles déposées n’étaient que le début d’une longue série et, finalement, au fil des audiences, il est bien apparu aux juges que les 39 parties civiles du dossier d’instruction n’étaient qu’une infime partie des victimes et ils valideront logiquement la constitution des 118 parties civiles en fin de procès.
A l’issue du procès, l’entreprise France Télécom et les prévenus avaient été condamné.e.s solidairement à verser aux 157 parties civiles une somme dont le total dépassait les trois millions d’euros. La direction a décidé de verser immédiatement toutes les indemnités, tandis que les dirigeants inculpés faisaient encore une fois injures aux victimes en faisant appel et en refusant donc de mettre la main à leur propre portefeuille.
Mais, pendant les deux années suivantes (2020-2021) la direction d’Orange acceptaient la proposition syndicale d’indemnisation en créant une commission spéciale indépendante, à laquelle tous les salarié.e.s présents entre 2007 et 2010 pouvaient adresser un dossier de saisine pour indemnisation.
Cette commission a reçu plus de 1 800 dossiers, en faisant une information régulière au cours de réunions régulières entre la direction et les organisations syndicales. A l’heure actuelle, nous n’avons pas encore de bilan chiffré définitif, mais il est probable que les indemnisations se situeront autour de 20 millions d’euros, bien au dessus des 3 millions d’euros alloués à la fin du procès de première instance. Les dernières semaines qui nous séparent du procès devraient être mises à profit pour que la commission finalise l’ensemble des dossiers et que l’on arrive ainsi à un bilan précis et partagé entre la direction et les organisations syndicales.
Dans ces conditions, on voit mal comment l’appel des dirigeants de France Télécom pourrait remettre en cause le jugement de première instance, d’autant que les indemnisations ont eu lieu. Et quand on parle d’indemnisation, c’est que l’on considère qu’une réparation était nécessaire pour effacer ou atténuer autant que possible les conséquences d’une politique entrepreneuriale délétère.
Une dernière question se pose alors. Si, comme nous le supposons, le procès en appel confirme le procès en première instance, les prévenus devront mettre la main à leur portefeuille pour rembourser, solidairement, l’entreprise Orange qui avait comblé leur carence en 2019. Et, à ce moment là, nous demandons solennellement au Conseil d’Administration d’Orange de publier les montants des sommes remboursées par les prévenus.
Aucun privilège !