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Billet de blog 2 juillet 2023

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Violence institutionnelle : la morale sert à exclure le droit du débat public

L'information s'arcboute à la condamnation des violences. Une évidence réductrice qui ne vise qu'une forme de violence, sans condamner la violence sociale et politique qui la provoque. L'injonction médiatique " condamnez-vous ces violences ? " escamote le carnaval législatif des réformes - contraires aux droits fondamentaux - des mêmes qui en appellent paradoxalement au respect du droit.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Réduire le débat à condamner des violences en exclut une réflexion sur les causes des réactions collectives violentes.

Il est inopportun - impertinent - que la réponse politique se limite à  une posture morale qui détourne l’attention de la violence institutionnelle et sociale qu’ont promue et favorisée crescendo les quatre derniers quinquennats.

Ceux-là mêmes qui dénoncent aujourd’hui la violence n’ont pas cessé de la justifier et de l’imposer par des réformes contraires aux droits humains et à la dignité, en procédant par inversion normative, au mépris des droits fondamentaux et des règles de légistique.

Le politique a perdu ainsi toute crédibilité à appeler maintenant au respect du droit, après avoir piétiné aussi manifestement ses principes et ses valeurs pendant trente ans.

Il suffit de considérer le carnaval législatif récent sur la réforme des retraites et le mépris affiché pour les représentants sociaux et la majorité  de l’opinion.

Qui peut raisonnablement penser, dans un tel climat d'injustice - que des considérations ajuridiques, mêmes mensongères, justifient (real politik, ruissellement, gouvernance, budget, ...) - que la condamnation de la violence - au profit de politiques qui servent l'optimisation des profits au préjudice du bien-être général -  a une chance de convaincre qui que ce soit de plus qu'eux ?

Ces politiques ont déséquilibré la société et il est impossible de se limiter à une posture morale - condamner la violence - pour remédier aux conséquences prévisibles des déséquilibres, que les pouvoirs successifs et leurs majorités n’ont pas cessé d’aggraver, depuis 2005 et même 1990, voir avant. Ce mal-être des populations est connu et documenté depuis des dizaines d’années. La France a un des taux de suicides les plus élevés d'Europe.

Le malaise ne s'exprime pas que dans l'expression d'un mécontentement mais aussi par la fuite. Le solde migratoire en France tend à s'inverser. Ce signe du malaise est moins spectaculaire que l'exaspération de celles et ceux qui s'en sentent prisonniers. Mais il est tout aussi important, même s'il est plus discret, pour prendre la mesure du mal-être. Celles et ceux qui le peuvent s'en vont. En 2012, la principale motivation était la mauvaise ambiance qui règne dans le pays, une mentalité qui les dissuadent de revenir.

La violence est évidemment condamnable mais il faut condamner toutes les violences ; à commencer par celles organisées politiquement et subies par le plus grand nombre au quotidien, au travail et dans les difficultés à faire respecter efficacement ses droits fondamentaux. Ce que les autorités publiques ne garantissent pas : 743 accidents mortels enregistrés en 2019, 122 femmes ont été tuées sous les coups de leur conjoint ou ex-conjoint en 2021,

L’actualité commande donc à recontextualiser cette nouvelle explosion de mécontentement dans une phénomène systémique global de gestion politique arbitraire, reposant sur le rapport de forces, la contrainte et la répression.

Où en serait le pouvoir actuel sans ce patriarcat ? Qu’aurait-il pu imposer comme régression sociale et recul des libertés publiques sans cette violence institutionnelle et institutionnalisée, au mépris du droit, depuis des années, et que personne, parmi ceux qui s’offusquent,  ne condamne ?

Observer l'actualité dans la perspective des dérives de l'indifférence libérale des dernières dizaines d'années et de ses réformes montre qu'elles ont desservi le but d'une société démocratique et de son organisation institutionnelle : garantir le bien-être général.

Au contraire de poursuivre ce but, l'action publique s'est réduite à satisfaire les deux déciles supérieurs de la population, en matière de revenu, au préjudice des 80% restant. La solution ne réside donc pas dans l'explosion du nombre d'interpellations et de condamnations en comparutions immédiates.

Ce sont l'adhésion et l'acceptation qui font la démocratie, pas la contrainte. 20% seulement de l'opinion peut-être favorable à l'action publique actuelle contre 80% de mécontents.

L'imperméabilité culturelle majoritaire du politique à l'affirmation et à l'attente d'un Etat de droit démocratique - par archaïsme ou incapacité ? - explique l'atomisation du lien social, la perte de confiance de l'opinion et son manque d'adhésion à l'organisation démocratique des pouvoirs publics. Cette perte de confiance et d'adhésion s'exprime dans l'abstention. Les électeurs ne sentent plus concernés par la politique car celle-ci semble faire n'importe quoi par rapport aux principes qu'elle invoque.

D'autre part, le confusionisme du discours à mélanger les notions et tordre les procédures le rend inacceptable. Il n'y a pas que la lettre de la loi, il y a son esprit à respecter. Invoquer la première pour violer le second disqualifie et rend inaudible celui ou celle qui le fait. L'ordre n'est pas synonyme de justice. L'histoire apporte des exemples de désordres pour (r)établir la justice.

Comme il existe des détournements d'avions, il existe des détournements du pouvoir ; mais une démocratie ne se détourne pas comme un avion. Le pays ne bouge pas et sa population n'est pas enfermée dans une cabine. A moins de faire du pays une prison. Mais est-ce alors encore un pays quand le sentiment d'appartenance nationale se réduit à des chaînes, des entraves, de la menace ? Pourquoi n'entend-on pas aussi le matin sur la radio : " Condamnez-vous ce détournement de démocratie ? ".

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