Dieudonné a permis à la Cour européenne des droits de l'Homme de consacrer le respect de la dignité humaine comme norme fondamentale de l'ordre public français et européen ; comme le consacre l'article premier de la Charte européenne des droits fondamentaux depuis des années. Les réfugiés de Calais, entre autres, ont dans cette décision la confirmation de l'anormalité de leur situation.
Ce n'est qu'une décision d'irrecevabilité.
La solution est cependant intéressante, d'une part, pour affirmer que la liberté n'est pas absolue et que son exercice s'apprécie en conformité avec l'esprit de la Convention et, d'autre part, pour faire une synthèse de la hiérarchie des normes, dans une perspective historique trop oubliée.
Le fait qu'il s'agisse de la liberté d'expression n'est pas anodin pour le droit européen et le droit français dans le sens où la Cour affirme que :
« Son rôle de surveillance commande à la Cour de prêter une extrême attention aux principes propres à une "société démocratique". La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels de pareille société, l’une des conditions primordiales de son progrès et de l’épanouissement de chacun.» (Affaire Handyside c. Royaume -Uni § 49) et que « la liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de « société démocratique »(ibidem §§ 52 et s).
Il s'en déduit que toutes les autres libertés (celles d'entreprendre ou du commerce par exemples) sont soumises encore plus sévèrement à une analyse de la conformité de leur exercice au respect de la dignité humaine, la justice ou la paix ; sans oublier que la Constitution française pose l'obligation à tous les partis politiques de respecter et défendre les droits de l'Homme.
L'Assemblée plénière de la Cour de cassation juge que “ les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation”. (Arrêt N°10.30313) et le Conseil d'Etat a rappelé au politique son pouvoir en matière économique au moment du scandale Volkswagen.
L'article 6 du traité de l'Union européenne impose un même respect des droits fondamentaux et les intègrent dans le droit de l'Union qui s'impose aux Etats membres.
La Cour de Strasbourg confirme le Conseil d'Etat, lequel a consacré le respect de la dignité humaine comme norme fondamentale de l'ordre public français. Ce respect de la dignité implique l'effectivité du droit à un travail décent et une rémunération suffisante, des conditions de logement identiques, un accès efficace aux soins, à l'instruction, à la culture, à l'eau potable, aux communications ...
D'autre part, en rappelant que «l'expression d'une idéologie qui va à l'encontre des valeurs de la Convention, à savoir la justice et la paix», les juges de la Cour de Strasbourg renvoient directement à la substance même du droit international qui prohibe l'usage de la guerre (article 2 § 4 de la Charte des Nations Unies) et qui repose sur l'incrimination des actes contre la paix (Déclaration de Moscou et article 4 de l'accord de Londres de Londres du 8 août 1945).
Le Préambule de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales vise la Déclaration universelle des droits de l'Homme, lui conférant ainsi une valeur juridique puisque la Cour internationale de Justice juge qu'un " préambule constitue la base morale et politique des décisions juridiques énoncées ensuite " (Sud-ouest africain 18 juillet 1966) et que les principes qu'il contient sont destinés avoir le caractère d'une obligation (Ressortissants des USA au Maroc, 27 août 1952).
La Doctrine avait déjà relevé l'importance de la dignité humaine comme plus petit commun dénominateur des relations internationales ; en la qualifiant de "matrice de tous les droits de l'Homme " et dont la prise de conscience de la dimension dramatique à laquelle peut conduire son mépris fut une des motivations à l'origine des Nations-Unies et du droit international moderne.
Reste à la France à respecter ses engagements internationaux, en commençant à le faire chez elle. A Calais ou à la Grande Synthe, par exemples.
Les déclarations unilatérales d'un responsable politique l'engagent. C'est sur ce principe que la France a été condamnée dans l'affaire des Essais nucléaires par la Cour internationale de justice.
Il est paradoxal d'entendre un chef du gouvernement rappeler des principes juridiques contraignants à Rivesaltes en même temps qu'ils sont négligés à Calais, ou par le législateur (Lois Urvoas, Macron, Rebsamen, ...). Un premier ministre ne peut pas à la fois négliger les principes qu'il invoque et s'inquiéter du succès politique de ceux qui les méprisent.
Le paradoxe de Rivesaltes illustre l'effet qu'il y a de substituter la communication au débat et à l'action politiques.
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Dalloz actulaités du 13/11
Administratif
Mauvaise semaine pour Dieudonné dans les prétoires
Le 9 novembre 2015, le Conseil d’État a jugé légale la circulaire Valls expliquant aux préfets et aux maires la marche à suivre à l’égard des spectacles de Dieudonné. Le lendemain, la Cour européenne des droits de l’homme jugeait la requête de ce dernier irrecevable contre sa condamnation pour injure publique.
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