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Billet de blog 13 février 2025

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De l'origine du sentiment d'imposture dans l'opinion contre la République

Le modèle libéral est le modèle politique du capitalisme : la république libérale. Ce modèle n'a rien de démocratique car il s'oppose justement au modèle démocratique qui est tout autre, celui de la république démocratique. Il en va de même de parler d'Etat de droit comme si cela suffisait à dire qu'il est démocratique. Non, ...

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Non, un Etat de droit n'est pas nécessairement démocratique. République n'est pas non plus synonyme de démocratie. L'histoire européenne le montre, comme l'actualité internationale, notamment des prétendues démocraties occidentales à la dérive qui abdiquent de leurs droits fondamentaux. Ce qui n'absout pas pour autant ni n'excuse les régimes criminels et totalitaires. “ La démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes ” (W. Churchill)

C'est la république libérale dans laquelle s'inscrit le discours que porte Trump - mais aussi Macron, Netanyahou, et même Poutine, ... - puisque leur argument est de prétendre je fais ce qu'il me plaît. Et c'est bien ce qu'ils font. Il ont une interprétation ultime du principe de liberté sur lequel repose la république libérale et auquel aboutit la logique actuelle du rapport de forces, la loi du plus fort. Ce comportement est un abus de droit. Normalement, dans notre Etat de droit, cela devrait les priver de toute autorité légitime au regard des principes de notre droit public, mais personne ne le leur reproche dans les médias, malgré l'évidence manifeste. Ce qui explique que le droit est inopérant, puisque les médias cautionnent par leur mansuétude ou leur silence sa violation. Acceptant sans rechigner qu'un formalisme de circonstances vienne couvrir opportunément chaque fois les violations au fond du droit. Malgré les dénonciations académiques 1 et de savoir que le capitalisme s'est construit sur l'esclavage, la réification de l'humain, le mépris de la dignité.

Historiquement, le modèle libéral s'est associé au parti de l'ordre pour donner ce que nous connaissons : une république libérale autoritaire et de plus en plus ouvertement arbitraire. Car un Etat de droit n'est pas nécessairement démocratique. Le droit est un outil politique par lequel le législateur traduit le cadre idéologique de l'action publique. " La Loi du sang " de Johann Chapoutot explique comment le législateur allemand a adopté un corpus juridique nazi faisant de l'Allemagne un Etat de droit totalitaire (comme le fut le régime de Vichy). Olivier Jouanjan a également produit une étude sur l'ordre du discours juridique nazi qu'il a intitulé " Justifier l'injustifiable ". L'expression Etat de droit - sans autre précision - n'apporte donc aucune garantie de démocratie, de respect des droits humains ou de la dignité, norme fondamentale de l'ordre juridique de l'Union européenne. Il n'est pas fortuit que l'extrême-droite dénonce l'idéologie des droits de l'homme. Ce qu'ont fait aussi François Fillon et Nicolas Sarkozy, de façon autrement plus inquiétante ; puisque cette idéologie est le socle de l'organisation politique des Etats européens, lesquels ont l'obligation positive de garantir l'efficacité des droits humains. Ce qui est de moins en moins respecté, voir bafoué, en conséquence de l'impulsion donnée notamment par un président de la République et un premier ministre en France. Mais aussi au Royaume-Uni. S'il y a une internationale fascistoïde contre les droits de l'homme, sa source n'est pas à l'extrême-droite mais chez des ... républicains ou des conservateurs. Il est alors malhonnête de se focaliser sur le vote des ouvriers pour expliquer le regain de l'extrême droite quand l'initiative se trouve au sommet de l'Etat. Et semble y demeurer.

Parler de l'Etat de droit - sans en préciser la nature - ou de la démocratie libérale peut en cela expliquer que l'article de Romaric Gaudin déçoit ou ne répond pas à l'attente légitime de la plupart des commentateurs et des lecteurs ; lesquels semblent plutôt se revendiquer d'un Etat de droit démocratique et une République démocratique ; cette dernière étant l'opposé de la République libérale. La République démocratique repose sur le principe d'égalité. C'est sur ce principe que repose aussi la culture politique de l'opinion et donc celui d'une république démocratique ; alors que la pratique est celle d'une république libérale. Ce hiatus inspire un sentiment d'imposture. La pratique ne cessant de s'éloigner du mythe de la seconde rend la première de plus en plus inacceptable, provoquant une contestation populaire de plus en plus forte - gilets jaunes - la perte de légitimité de l'autorité, le rejet des élections, la perte de confiance dans les institutions.

Les notions et la subtilité qu'elles renferment - république démocratique/république libérale, Etat de droit totalitaire/Etat de droit démocratique, légistique, hiérarchie des normes, ... - ne sont pas enseignées en France comme elles le devraient, vu leur importance fondamentale, ou vraiment très peu 2 ; alors qu'elles sont la base du droit : théorie générale du droit, théorie générale de l'Etat, ... Ces matières essentielles au droit seront d'autant moins enseignées que la logique politique libérale à produire des diplômes répond en priorité aux besoins des entreprises (faire du profit). Cette approche pécuniaire et utilitaire de l'enseignement produit des managers violents et irrespectueux des droits humains, comme l'illustrent les nombreux scandales : l'affaire Nestlé, l'affaire Lactalis, l'affaire des ciments Lafarge, l'affaire France Télécom, ... La réforme libérale Pécresse des Universités et la réduction libérale des budgets de l'enseignement supérieur font que les facultés produisent de plus en plus juristes superficiels en droit fondamental capables de rédiger des contrats au mépris de la hiérarchie des normes et contraire aux droits fondamentaux, constitutionnels ou conventionnels. François Hollande a promu cette inversion normative à propos du contrat du travail. Cela participe directement à l'encombrement des tribunaux.

Une solution - tant que la presse ne critique pas sérieusement le détournement des pouvoirs publics - est donc de revoir l'enseignement du droit en France en commençant l'enseignement par l'apprentissage des théories générales et les principes fondamentaux sur lesquels repose un Etat de droit démocratique. Et que cet enseignement ne soit pas seulement réservé à un petit groupe de la population. Il est extraordinaire que personne dans ce pays ne s'étonne dans les médias qu'un pays qui se revendique pays des droits de l'homme ne s'attache pas plus à diffuser et garantir efficacement cette matière.

Continuer à ne parler en France que d'Etat de droit et de république - sans autre précision ni critique de fond sérieuse - explique que la république libérale - autoritaire et sa dérive fascistoïde comme l'illustrent la violation du résultat des législatives - persiste.

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1 -  « Le Conseil constitutionnel ne joue pas le rôle de contre-pouvoir » - La juriste Lauréline Fontaine vient de publier « La Constitution maltraitée », un ouvrage qui démonte les idées reçues positives à propos du Conseil constitutionnel. Au lieu d’être un recours pour la société, il accompagne un pouvoir politique avec lequel sa proximité est excessive. Interview sur Médiapart Fabien Escalona et Ellen Salvi 15 mars 2023. Voir ég. la difficulté des juristes internationaux à faire entendre leur argumentation contre le génocide de Gaza en Europe jusqu'à ce que la Cour internationale de Justice puis la Cour pénale internationale confirment la justesse des dénonciations des crimes.

2 - En France, voir Michel Troper, Olivier Beaud,

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