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Billet de blog 14 mars 2014

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Le Mur des cons

Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), a été mise en examen le 17 février en sa qualité présumée d'«éditrice» du "mur des cons" rassemblant des photos de personnalités publiques, professionnelles ou non, étant intervenues, à titre particulier ou au nom d'une organisation, dans le débat d'intérêt général sur la justice, s'exposant ainsi à la critique. Cette mise en examen donne au syndicat l'accès au dossier.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Françoise Martres, présidente du Syndicat de la magistrature (SM), a été mise en examen le 17 février en sa qualité présumée d'«éditrice» du "mur des cons" rassemblant des photos de personnalités publiques, professionnelles ou non, étant intervenues, à titre particulier ou au nom d'une organisation, dans le débat d'intérêt général sur la justice, s'exposant ainsi à la critique. Cette mise en examen donne au syndicat l'accès au dossier.

Il existe une jurisprudence constante et bien établie sur la liberté d'expression qui garantit le droit de chacun d'avoir un mur des cons chez soi.

" La liberté d'expression constitue l'un des fondements essentiels de pareille société, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de chacun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les "informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de "société démocratique". " (CEDH Handyside § 49 Requête n°5493/72)

" L'article 10 ne s'arrêt pas aux portes des casernes. Il vaut pour les militaires comme pour l'ensemble des autres personnes relevant de la juridiction des Etats cocontractants " (CEDH Grigoriadès c. Grèce §45 Requête n°24348/94)

" les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance " (CEDH Vellutini et Michel c. France § 38 Requête n°32820/09)

" la satire est une forme d’expression artistique et de commentaire social qui, de par l’exagération et la déformation de la réalité qui la caractérisent, vise naturellement à provoquer et à agiter. C’est pourquoi il faut examiner avec une attention particulière toute ingérence dans le droit d’un artiste – ou de toute autre personne – à s’exprimer par ce biais (...) sanctionner pénalement des comportements comme celui qu’a eu le requérant en l’espèce est susceptible d’avoir un effet dissuasif sur les interventions satiriques concernant des sujets de société qui peuvent elles aussi jouer un rôle très important dans le libre débat des questions d’intérêt général sans lequel il n’est pas de société démocratique " (CEDH Eon c. France §§ 59 à 61 Requête n°26118/10)

Concernant les magistrats et leur liberté d'expression, la Cour de Strasbourg est allée très loin : " la Cour considère que l’intérêt général à ce que soient divulguées les informations faisant état de pressions et d’agissements illicites au sein du parquet est si important dans une société démocratique qu’il l’emporte sur l’intérêt qu’il y a à maintenir la confiance du public dans le parquet général. Elle rappelle à cet égard qu’une libre discussion des problèmes d’intérêt public est essentielle en démocratie et qu’il faut se garder de décourager les citoyens de se prononcer sur de tels problèmes " (CEDH Guja c. Moldavie § 91 Requête n°14277/04)

L'Assemblée plénière de la Cour de cassation affirme que : " les Etats adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation " (Voir l'arrêt)

Le droit interne pertinent ne permet pas les poursuites. L'atteinte à la sécurité juridique est sanctionné par la Cour de Strasbourg.

Une évidence, la loi sur la presse ne s'applique pas à un mur d'un local privé.

La loi sur la presse s'appliquait à l'affichage public, mais les dispositions de la Loi sur la presse à propos de cet affichage public ont été abrogées. La légalité de la prévention est donc douteuse (art. 111-3 du code pénal, Crim N°89-80673)

L'extension de la qualité d'éditeur à une responsable syndicale pour un panneau d'affichage dans un lieu privé, quand les dispostions relatives à l'affichage public dans la loi sur la presse sont abrogées, paraît dès lors audacieux.

De plus, la prescription est acquise concernant le panneau d'affichage. Celui-ci existe depuis au moins 2012. Le délai de prescription est de trois mois en matière de presse. C'est une règle d'ordre public.

Le panneau d'affichage ne peut donc pas être le support matériel de l'infraction.

Les plaignants agissent donc à partir des publications qui en ont été faites. Il s'en déduit que l'action pénale doit s'exercer contre ces dernières, puisque l'action contre le panneau d'affichage est prescrite, nonobstant la question du défaut de base légale.

L'injure publique ne trouve donc pas son origine dans l'affichage, mais dans sa reproduction par voie de presse.

Cette reproduction s'est faite sans l'accord de son propriétaire ou de son auteur (qui reste à déterminer), donc de mauvaise foi, dans l'intention de nuire.

Il reviendra à la juge d'instruction de déterminer à l'égard de qui s'appliquait cette intention de nuire. Cette intention est à chercher dans le chef de celui qui a volé l'image. S'il n'y a pas d'intention de nuire, il n'y a pas d'infraction.

En effet, la publication d'une information volée dans un lieu privé entraîne la responsabilité de celui qui la publie, plutôt que de celui à qui on l'a volée au mépris du respect de l'article 9 du code civil, comme l'illustre la décision récente sur les écoutes d'un conseiller présidentiel sanctionnant le violeur de vie privée et ses recéleurs, condamnés et poursuivis, et non pas le(s) éventuel(s) auteur(s) présumé(s) des injures. La juge d'instruction pourrait s'étonner de trouver des plaignants dans une affaire, qui ne sont pas constitués dans l'autre. Cela soulève la question de la bonne foi.

Le problème juridique, au delà du défi posée au droit d'appréhender scientifiquement l'ineptie pour en attribuer équitablement le mérite qui en revient à chacun, paraît donc relever bien plus du respect de la vie privée que du droit de la presse.

Un élément participe à cette affirmation.

Les plaignants n'ont pas exercé leur droit de réponse ni de rectification.

Cela montre qu'eux-mêmes ne considèrent pas qu'un mur puisse être un organe de presse et, qu'en conséquence, ce n'est pas la loi sur la presse qui s'applique.

Ce n'est peut-être pas plus mal, leur évitant ainsi de s'exposer à l'exception de vérité, dont le Conseil constitutionnel a élargi l'offre de preuve. La procédure pénale affirme la liberté du mode de preuve et un syndicat de magistrats est bien placé pour le savoir. Comment réagiraient les plaignants s'il y avait un appel à témoins ? Le dossier prendrait des proportions monumentales, des milions de procès-verbaux d'audition, et tournerait à la farce en considération de l'ineptie, de son étendue, objet de la dispute. Il n'est pas frais ce poisson.

 La nature même du support, le panneau d'affichage, pose une question juridique.

Le "mur des cons" serait plutôt une oeuvre d'art selon Gilles Devers, sur son blog " Mur des cons : C'est une œuvre d'art ! : Actualités du droit " : "  Et oui, c’est un tableau vivant, une sorte de crèche de leurs affreux attitrés. L’ensemble occupe un mur, ce qui est le lieu naturel d’exposition d’une œuvre, et l’effet esthétique de cette foule de portraits est certain. C’est un hommage aux collages des grands maîtres qu’ont été Picasso et Braque, et ce qui séduit, c’est le côté collectif et mouvant de l’œuvre. Chaque jour, on peut retirer un portrait ou en ajouter un autre. Il est seulement demandé d’éviter les doublons. C’est de l’art vivant : donner à voir. "

Un tagueur n'a jamasi été poursuivi sur la base de la loi sur la presse. Pourquoi en serait-il différemment pour un collage qui s'identifie à un happening ?

L'appréciation de Gilles Devers soulève périphériquement la question des droits d'auteurs, de reproduction, qui ont été éludés.

Restent la question de fait et la méthode.

Qu'est-ce qu'un con ? Qui est le con de l'autre ? Le con dira-t-on. La rumeur. Le mur-"mur des cons".

La procédure qui s'annonce fera date. Le droit français ignore le con.

La juge d'instruction s'assurera d'abord que les parties civiles ont bien un intérêt à agir. Elles doivent amener la preuve qu'elles ne sont pas cons, selon l'adage "actori incumbit probatio".

La juge d'instruction s'inquiètera ensuite de savoir comment le droit peut bien appréhender la notion de con. Le vocabulaire juridique l'ignore. C'est étonnant vu son succès.

La chose n'est pas facile. Il s'agit en effet d'être très précis, comme l'exige le droit pénal, d'interprétation stricte. La juge ne peut pas procéder par extension, analogie ou induction. Un con n'est pas un imbécile, ni un idiot, enore moins un abruti...

La juge n'adoptera donc pas une interprétation large ("En matière pénale, tout est de droit étroit"), le droit le lui interdit, et c'est fort heureux. Cela lui évitera de s'épuiser sur le dossier, tant la notion de con paraît vaste, voire poreuse.

Quelques pistes se dégagent.

La notion de con est hiérarchisée (du roi des cons au dernier des cons), elle connaît une approche morphopsychologique (jeune, vieux, gros, grand, pti'con), elle peut-être universaliste (espèce de cons), corporatiste (une bande de cons) ou seulement organique (tête de con, con comme une b...)...

La notion de con peut aussi être apologétique (voir poésie), idéaliste (idem) ou réaliste (quel con !). Elle peut être aussi fonctionnelle (un métier de con, un service à la con, un directeur à la con), géographique (un pays à la con ou de cons), historique (quelle époque à la con, une histoire à la con), objective (un vrai con), honorifique (une médaille à la con)...

Nous voyons que la notion con est très étendue. Elle a même inspiré le pouvoir et les sciences. Un président a ainsi initié une approche sociologique (le pauv'con, le riche con) et les mathématiques ont effleuré la notion (le con intégral). Enfin, des auteurs ont trouvé de la poésie ou du charme au mot con (exemples) et ils ont fait la démonstration qu'on peut en parler sans le dire. Ce qui frustrera les cons et les fâchera un peu plus encore avec la poésie.

Passé ce cap difficile de la définition des limites de la notion, la juge d'instruction devra apprécier l'élément moral, le caractère délibéré du con : "Il n'a pas oublié d'être con" ou "Ce n'est pas con". La question de l'immunité pénale de l'article 122-1 du code pénal se pose pour les cons qui s'ignorent.

Une enquête de personnalité, les témoignages, les enquêtes de voisinage aideront la juge d'instruction à établir son intime conviction et à écarter les plaintes abusives ; comme celles, par exemple, des personne à moitié con, seulement. L'abus de qualité vraie est également à envisager : "il est vraiment trop (ou très) con".

L'affirmation d'une notion juridique, si tant est que la Doctrine en propose une, nécessite d'attendre que la Cour de cassation se prononce sur le fond, et le con. Con apparaît très abondamment dans la jurisprudence (comme dans la décision 10-82938) mais ce n'est, pour l'instant, que sous la forme du préfixe. La consécration juridique devra un peu attendre.

Il n'est pas dit d'ailleurs que la juge d'instruction parvienne à voir la fin du dossier de son vivant tant la nature téléologique de la notion a déjà fait la preuve d'une grande richesse et d'une capacité à évoluer rapidement, imposant une effort continu et de la vigilance " Une connerie est si vite arrivée ". A coup sur que cette juge d'instruction, dans un moment de fatigue, puisse se surprendre de dire un jour que c'est un dossier à la con.

La mobilisation médiatique portant la rebellion des plaignants a fait écho jusqu'au de l'Horloge où il ne serait d'ailleurs pas étonnant que des conseillers de la Cour aient déjà commencer à défricher le sujet et anticipé sur les enjeux du débat, conscients de l'angoisse dans laquelle vivent des personnes qui s'interrogent de savoir si elles le sont ou pas. Le mur des cons peut avoir agi comme une catharsis. Révéler un questionnement profond chez ceux qui avaient un doute, mais n'osaient pas se l'avouer.

La Cour sait donc qu'elle devra apporter une définition juridique du "con". Il n'est pas douteux qu'elle se soit peut-être déjà interrogée sur le sujet par le passé, tant l'histoire est riche en ce domaine. Personne n'avait cependant osé franchir le Rubicond judiciaire et poser clairement la question ; ce qui manque cruellement, comme l'actualité en témoigne abondamment. Si la connerie se vendait, il n'y aurait plus de crise ni de dette.

La juge d'instruction va aussi avoir fort affaire pour trouver l'expert qualifié afin d'apporter à la justice l'affirmation scientifique du bien fondé des poursuites.

Il ne serait pas surprenant que la science doive développer pour cela une nouvelle matière en parallèle à la nouvelle branche du droit qui se profile.

Au-delà du droit, dont ils contribuent à étendre le champ d'investigation, les plaignants lancent donc aussi un défi à la science française. Elle pourra exporter le fruit de ses recherches et son expertise ainsi acquise. L'actualité mondiale montre l'importance du besoin. Voilà un relai de croissance qui devrait rassurer les prévisionnistes de Bercy.

La procédure sur le mur des cons illustre donc la parfaite adéquation des questions qu'elle soulève avec la marche du Monde. L'enjeu de la procédure dépasse donc largement les limites du territoire national. Espérons qu'elle se vende bien. Mais cela n'est plus du droit.

Pendant que les dossiers de divorce, ruinant les familles et encombrant les juridicitions, s'entassent - alors qu'une petite réforme du Code civil pourrait simplifier tout cela - l'empire judiciaire français, de Bray Dunes au Pôle sud et de Toloke à l'île Hunter en passant par Bruère Allichamp, retient son souffle.

Il attend la définition juridique du vrai con, le con authentique, irréfragable : le "con judiciaire", comme le contrat, consacré par le juge, opposable aux tiers par le nouveau droit d'être con, dégagé par une jurisprudence hardie dont les parties porteront peut-être le débat jusqu'à Strasbourg ou Genève, devant le Comité des droits de l'Homme.

Enfin, ultime précision, en s'attaquant au "mur des cons", les plaignants ne poursuivent que la conséquence d'un phénomène, pas sa cause.

Il aurait été bien plus préférable que tous ceux qui s'émeuvent du "mur des cons" appliquent leur énergie à combattre "les murs à la con" qui fleurissent sur la Terre et dans la tête des gens et qui font, eux, de vraies victimes.

Médecin : Désolé. Je ne peux pas le prendre.
Directeur de la prison : Oh non ! Ne me dites pas ça !
Médecin : Je l'ai bien examiné. Il n'est pas fou. C'est un petit mental, qui a l'incapacité totale à s'extraire du présent
Directeur de la prison : Parlez clairement docteur !
Médecin : D'accord ! En clair, il est incroyablement con.
Le directeur de la prison : Docteur, il faut me débarasser de lui. Je suis sûr qu'il serait mieux à l'asile.
Médecin : C'est un asile de fous, pas un asile de cons. Faudrait construire des asiles de cons, mais vous imaginez un peu la taille des bâtiments !

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« Mur des cons» : la présidente du Syndicat de la magistrature mise en examen

Le Monde |14.03.2014 à 10h25• Mis à jour le14.03.2014 à 12h42

La présidente du syndicat de la magistrature mise en examen : ce que le "mur des cons" révélé par Atlantico pourrait finalement changer au sein de la magistrature française

La mise en examen le 17 février de Mme Françoise Martres pour "injure publique" pourrait marquer le début d'une remise en cause bien nécessaire de la politisation des magistrats français.

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