https://criminocorpus.revues.org/271
Elle représente un point d’aboutissement de toutes les réformes mises en œuvre par la IIIe République et contient, y compris la régionalisation de 1991, les prémisses de l’organisation actuelle de la police française.
Mais c’est curieusement un texte tabou dont on chercherait en vain la lettre, même dans les « histoires de la police » qui ne manquent pourtant pas d’y faire une allusion généralement appréciative.
Pourquoi une telle absence ?
2 Les circonstances -l’occupation allemande et la vacance de la démocratie- qui entourent sa naissance et permettent des réformes que le parlement avait jusqu’alors refusées, ne manquent pas de jeter une lueur suspecte sur son contenu.
3 La « loi Darlan » souffre par ailleurs de la nature du régime qui la promulgue et de l’usage que la collaboration d’Etat a fait de la nouvelle organisation policière qu’elle mettait en place. Le rôle joué par la police sous Vichy dans la lutte contre les « terroristes » ou dans les persécutions raciales ne sont pas des souvenirs et des vérités bonnes ou agréables à rappeler.
Sa genèse est également embarrassante.
4 Non pas -comme l’écrit un auteur mal renseigné 3- parce que « cette loi du 23 avril 1941 a[urait] été préparée en collaboration avec la Gestapo », mais au contraire parce qu’elle reprend presque intégralement les propositions d’un projet du syndicat des commissaires 4 présenté tout au long des années vingt et trente 5, auquel, jusqu’à plus ample informé, il paraît au moins douteux que la Gestapo ait collaboré.
5 Cette convergence entre un projet corporatif et les intérêts d’un régime discrédité confère à ce texte un caractère d’autant plus « sensible » 6 que cette double volonté -professionnelle et politique- allait totalement dans le sens des intérêts d’un occupant qui par la convention d’armistice se déchargeait sur l’Etat Français, son administration et sa police du soin d’assurer l’application de ses ordonnances, de la protection de ses troupes et, partant,d’un certain nombre de tâches répressives 7. Or cette collusion, éclairée par les négociations Bousquet—Heydrich de mai 1942 puis ce qu’il est convenu d’appeler les « accords Bousquet-Oberg » de l’été 42 8, fut, entre autres, matérialisée par les rafles de juifs confiées à la seule police française en zone occupée à partir des 16 et 17 juillet, puis en zone libre, à partir des 26-28 août 1942. Des faits qu’on n’aime guère évoquer dans une corporation qui éprouva quelque bienveillance -au moins jusqu’en 1943- à l’égard d’un régime qui l’assimilait à « un corps d’élite » et lui donnait enfin les avantages matériels, la considération, le prestige, l’unification des carrières, des statuts, des salaires, une centralisation, une formation... auxquels il aspirait et qu’il réclamait en vain depuis des décennies.
Notes :
- 1 Cet article est la version revue et corrigée en février 2008 d’un texte originellement publié dans (...)
- 2 Loi que l’on serait fondé d’appeler « loi Darlan » du nom du ministre de l’Intérieur qui la co-sign (...)
- 3 M. Rajsfus, La police de Vichy. Les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo 1940-1944(...)
- 4 On trouve déjà, en 1911 (AN, F7 13 043), un projet d’étatisation des polices municipales des villes (...)
- 5 Marcel Sicot, Servitudes et grandeurs policières (40 ans à la Sûreté), Paris, 1959, p. 239-40.
- 6 Qui n’échappe pas à ses promoteurs policiers : « A qui la faute si le gouvernement de fait fit sien (...)
- 7 « Si nous avons pu avoir en France, une police moins nombreuse [qu’en Belgique et en Hollande] c’es (...)
- 8 Etudiés par S. Klarsfeld in Vichy-Auschwitz. Le rôle de Vichy dans la solution finale de la questio (...)