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La Cour d'assises publie les motivations de sa condamnation de C. Jubillar

Dans son arrêt rendu public, la cour d'assises du Tarn, qui a condamné Cédric Jubillar à 30 ans de réclusion criminelle, motive sa décision au motif qu'il aurait clamé son innocence sans en convaincre les jurés ni les magistrats. C'est insuffisant. Les pénalistes savent qu'il n'est pas possible d'apporter la preuve de son innocence et que le bénéfice du doute profite à l'accusé.

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La motivation de la cour d'assises du Tarn repose sur une hypothèse subjective qui semble très faible, insuffisante, voire contraire au droit pénal et à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés publiques.

Mettre en demeure un accusé de prouver son innocence est ce que le droit pénal appelle la preuve diabolique ; car il est impossible d'apporter la preuve d'un fait négatif, c'est-à-dire de n'avoir pas commis un crime en l'espèce.

C'est à l'accusation, au ministère public, d'apporter les preuves objectives et matérielles de la culpabilité et non à l'accusé d'être enjoint à l'impossibilité d'avoir à prouver son innocence. Le ministère public comme les forces de l'ordre ont une obligation d'impartialité. Ils ne peuvent donc pas invoquer seulement des hypothèses. Ils doivent démontrer la justesse des accusations et l'établir par des éléments matériels.

D'autre part, l'adage « le doute profite à l'accusé » signifie qu'un verdict de culpabilité ne peut être prononcé que si et seulement si la culpabilité est prouvée de manière certaine, sans aucun doute raisonnable.

Ce principe est une conséquence logique de la présomption d'innocence. Si le doute subsiste, même après l'examen de toutes les preuves, le juge doit acquitter le prévenu pour éviter de condamner une personne potentiellement innocente. C'est une prévention à l'arbitraire susceptible de frapper n'importe qui.

De ces deux principes découle logiquement l'obligation de motiver la décision sur des éléments objectifs et solides afin de ne pas faire grief au droit à la sûreté - c'est-à-dire à la privation arbitraire de liberté - et au droit à un procès équitable. Les magistrats se substituent - en l'espèce - à l'Etat dans son obligation positive à garantir l'efficacité de ces droits. Tout comme agent public - dont la notion s'étend aux élus - en a également l'obligation.

Longtemps dispensé de motiver ses arrêts, la législation pénale française était donc très insuffisante à propos des procès d'assises. Cela est à l'origine de la condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme. L'affaire Taxquet c. France 16 novembre 2010 a ainsi jugé que l'absence de motivation du verdict est contraire au droit à un procès équitable.

La loi du 6 juillet 2011, entrée en vigueur le 1er janvier 2012, a introduit l'obligation des cours d'assises à motiver leurs verdicts et consacré cette obligation dans l'article 365-1 du code de procédure pénale :

Le président ou l'un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l'arrêt.

En cas de condamnation, la motivation consiste dans l'énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l'accusé, ont convaincu la cour d'assises et qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury en application de l'article 356, préalablement aux votes sur les questions. La motivation consiste également dans l'énoncé des principaux éléments ayant convaincu la cour d'assises dans le choix de la peine, au vu des éléments exposés au cours de la délibération prévue à l'article 362. L'application des dispositions du troisième alinéa de l'article 706-53-13 est également motivée. La motivation des peines complémentaires obligatoires, de la peine de confiscation en valeur du produit ou de l'objet de l'infraction ou des obligations particulières du sursis probatoire n'est pas nécessaire.

La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément à l'article 364.

Lorsqu'en raison de la particulière complexité de l'affaire, liée au nombre des accusés ou des crimes qui leur sont reprochés, il n'est pas possible de rédiger immédiatement la feuille de motivation, celle-ci doit alors être rédigée, versée au dossier et déposée au greffe de la cour d'assises au plus tard dans un délai de trois jours à compter du prononcé de la décision.

Cet article 365-1 du code de procédure pénale impose donc une motivation écrite de la condamnation en listant les éléments à charge substantiels sur lesquels la cour d'assises justifie son intime conviction, et non pas par l'évocation de simples impressions.

Ce serait sinon permettre d'introduire dans le droit positif le délit de sale gueule, qui justifie en l'espèce une condamnation à 30 ans de réclusions criminelles. Cette peine sert-elle à couvrir une enquête bâclée et plusieurs années de détention provisoire que la procès n'a pas permis de justifier ? Ce que la motivation subjective de la cour d'assises semble finir de confirmer.

Heureusement que les avocats du condamné ont fait appel pour obliger les magistrats et le jury à motiver leur décision.

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