Un homme est mort dans l'exercice d'une liberté publique, victime d'un tir d'arme de guerre dans un pays en paix ayant l'obligation positive d'assurer l'effectivité des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Cécile Dufflot a donc parfaitement raison de se scandaliser d'une telle violence qui établit l'échec de l'Etat à permettre une contestation pacifique des procédures, au risque de conforter l'opinion sur l'existence d'un arbitraire politique et rompre la confiance des Français dans leurs institutions.
Le ministre de l'intérieur a l'obligation positive de garantir l'effectivité des libertés publiques et son action est encadrée, notamment, par le droit à la sureté.
L'emploi de munitions de guerre contre des civils exerçant une liberté publique devrait donc soulever des critiques à propos de la mort du manifestant, alors que rien ne justifie l'emploi de munitions de guerre dans un pays en paix contre des personnes désarmées. Où sommes-nous donc ?
Il est très dangereux de laisser se banaliser l'usage d'armes de guerre contre les populations.
Le gourvernement fait-il la guerre aux Français ? Identifie-t-il les Français comme des "ennemis" ?
Une grenade offensive est en effet une munition de guerre employée au combat. Cela souligne la disproportion et le caractère tout à fait inopportun de son usage.
La grenade est dite offensive parce qu'elle ne projette pas d'éclat et permet au soldat son usage à découvert au moment de l'assaut. A la différence de la grenade défensive, qui projette des éclats métalliques et qui n'est utilisée qu'à couvert (tranchées, mur, ...) contre des assaillants à découvert.
La nuance n'enlève rien au fait qu'une grenade offensive est mortelle lorsqu'elle est employée dans un lieu clos ou à proximité d'une personne. Sa charge en explosif est d'ailleurs beaucoup plus importante que celle d'une grenade défensive.
Il est donc aberrant que la police et la gendarmerie utilisent une arme de guerre contre des manifestants, en connaissance de cause, avec l'autorisation du ministre, et en temps de paix, alors que ces munitions sont clairement répertoriées comme mortelles jusque sur Wikipédia : " La première a pour objectif de saturer une zone en éclats métalliques, tandis que la seconde contient une charge explosive plus élevée, ce qui la rend plus destructrice dans les environnements confinés. "
L'Etat ne peut donc pas invoquer la bonne foi dans la mort ou les blessures graves qu'occasionnent de telles munitions.
L'emploi d'une telle munition par l'Etat contre la population constitue une menace délibérée contre la sécurité des personnes et fait grief aux libertés publiques. Ce danger réel n'est pas sans incidence sur le fonctionnement démocratique et le débat public. Il s'agit d'une entrave très grave de nature à dissuader la population à s'impliquer et se prononcer ouvertement et librement. Il n'y a rien de pire que contraindre l'opinion, à moins de vouloir créer l'insurrection.
Enfin, l'Etat ne saurait invoquer la présence de "casseurs" pour se justifier de la mort d'une personne. La riposte devant être proportionnelle à l'attaque, elle ne peut que s'exercer contre la personne qui est l'auteur de la violence. Il est invoqué nulle part que le manifestant ait été armé de grenades.
De plus, il ne peut pas être tiré prétexte de la présence de "casseurs" pour s'exonérer d'un drame pour deux raisons.
Une raison de droit : la mission de la police est justement de prévenir l'arrivée des "casseurs" pour assurer la paix publique nécessaire à permettre l'exercice des libertés publiques. Invoquer la présence de "casseurs" revient à reconnaître la défaillance et la faute du ministère de l'intérieur dans sa mission première d'ordre public, qui est de garantir l'effectivité des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Une raison de fait : la police ne peut pas invoquer la difficulté qu'elle aurait supposément à prévenir la venue de "casseurs" quand il est de notoriété publique qu'elle ne rechigne pas à faire grief au droit à la vie privée et sait poursuivre des personnes au mépris de leur intimité et que, d'autre part, elle est capable de prévenir l'arrivée des "casseurs" pour les matchs de foot du PSG.
Il est dès lors inconcevable d'admettre qu'elle ne sait pas le faire quand il s'agit de manifestants pacifiques et qu'elle tirerait opportunément prétexte de cette prétendue incapacité pour leur tirer dessus à l'arme de guerre en s'exonérer de toute responsabilité. Invoquer dans ces conditions l'excuse du casseur est dont irrecevable et insister sur ce point obligerait donc à s'interroger si le casseur n'est pas l'excuse à tirer sur les foules, pour les dissuader de manifester, contre l'injustice sociale, par exemple.
La disproportion évidente à tirer sur des civils avec des armes de guerre soulève donc la question de la responsabilité d'une telle situation.
Qui a autorisé l'usage d'armes de guerre contre des manifestants et qui en a ordonné la distribution aux forces de l'ordre ?
Mes condoléances à la famille de la victime,
________________
Sivens: Rémi Fraisse a été touché par un «explosif militaire» par Louise Fessard et Jade Lindgaard
Le même explosif utilisé dans les grenades des gendarmes a été retrouvé sur les vêtements de Rémi Fraisse, ce manifestant mort dimanche lors du rassemblement contre le barrage de Sivens dans le Tarn. « La mise en œuvre d’un explosif militaire de type grenade offensive semble acquise », estime le parquet d'Albi. Début octobre, une jeune militante avait déjà failli perdre la main après le jet par un gendarme d'une grenade dans une caravane. Depuis plusieurs semaines, Cécile Duflot et d'autres écolos alertaient sur la tension entretenue par les forces de l'ordre et les pouvoirs publics.
Le pouvoir, tel un mort par François Bonnet
Rémi Fraisse, 21 ans, est tué dans des affrontements avec la police. Pendant plus de deux jours, le pouvoir n'a rien à dire. Et quand il parle enfin, c'est par la voix de Manuel Valls pour soutenir des forces de l'ordre pourtant mises en cause. Ce pouvoir insensible avance tel un mort, drapé dans ces mots-incantations. Parti pris.
Mort de Rémi à Sivens : «Il ne s'agit pas d'une bavure», selon Cazeneuve (Le Parisien)