Sonia Rolley, dans Le Monde, explique qu'Apple se fournit indirectement en RDC et au Rwanda en minerais nécessaires à la fabrication de ses produits : smartphones, tablettes, ordinateurs, etc.
Soit dit en passant, la start-up nation repose sur ce genre de matériel et donc ces minerais (et les conditions indignes et misérables dans lesquelles ils sont extraits). La transition énergétique aussi.
Ces plaintes trouvent leur origine dans le fait que la RDC regorge de ressources, qui lui appartiennent de droit, et dont leurs spoliations sont à l'origine de violations graves des droits de l’homme, depuis des dizaines d'années. Business first ! Must go on ?
La rébellion congolaise du M23, soutenue par l’armée rwandaise, occupe la zone minière de Rubaya, au Nord-Kivu, et les minerais seraient exportés à partir de Kigali, capitale du Rwanda. Les rebelles tireraient, selon la cheffe de la mission de l'ONU en RDC, plus de 300 000 euros mensuels de taxes - de l'extorsion de fonds ? - sur la production.
C'est malheureusement connu des chancelleries et documenté abondamment. Ces crimes et la mise en esclavage des populations pour voler les « minerais de sang » sont régulièrement dénoncés sans effet par des ONG.
Ces bandits sanguinaires ne sont pas pour autant qualifiés de terroristes par l'administration américaine ou européenne.
Le fruit de leurs exactions ne fait étonnamment l'objet d'aucun embargo de la part de ces pays démocratiques qui prétendent pourtant promouvoir les droits humains ; permettant ainsi à leurs entreprises d'en tirer des profits colossaux, de faire du PIB et distribuer des dividendes importants à leurs investisseurs.
La question de l'incohérence juridique du comportement de ces pays se pose pourtant depuis des années.
En 2019, une ONG avait déjà déposé plainte devant un tribunal de Washington contre Apple, Microsoft, Alphabet Inc. – la maison mère de Google – Tesla et Dell.
L'ONG les avait accusés de tirer des profit du cobalt, pour la fabrication de leurs batteries électriques, extrait de mines qui exploitent des enfants, dont certains sont tués ou mutilés.
La Cour d’appel du district de Columbia a rejeté la plainte comme infondée.
Si les USA persistent à refuser encore aujourd'hui de ratifier la Convention internationale des droits de l'enfant, le département américain du travail a reconnu que l'origine criminelle du cobalt congolais et l'a inscrit sur la liste des biens potentiellement produits par le travail forcé ou le travail des enfants.
Cette reconnaissance officielle de l'origine douteuse - voir criminelle - des minerais est susceptible d'engager la responsabilité internationale des Etats-Unis s'ils n'agissent pas efficacement. Mais également d'autres pays, puisqu'une obligation positive de garantir l'efficacité des droits humains pèse sur les Etats ayant ratifié les traités protecteurs des droits de l'homme.
A ceci s'ajoute la question d'une responsabilité personnelle éventuelle des individus, favorisant la commission ou tirant profit des crimes, en considération du droit pénal international.
C'est un enjeu des dépôts de plainte pour recel.
Ces plaintes posent également une question subsidiaire à propos de l'actionnaire et des intermédiaires financiers. L'investisseur peut-il être considéré comme receleur ou le financier comme complice ?
La notoriété publique des scandales relatifs aux " minerais de sang " ne permet pas d'invoquer la bonne foi. C'est en pleine connaissance de cause que l'investisseur et son intermédiaire financier investissent dans une industrie qui s'approvisionne d'une façon notoirement et officiellement douteuse. Il serait donc normal que cet aspect de la question du recel et de la complicité soit évoqué lors des débats.
Les plaintes déposées à Paris et à Bruxelles dénoncent d'ailleurs clairement les crimes et les fraudes commises pour l’exploitation des minerais dits « 3T » (tin-étain, tantale, tungstène), indispensables à la fabrication d’appareils électroniques :
« Alors que l’extraction de ces minerais a lieu en RDC, c’est depuis le Rwanda voisin qu’ils sont illégalement exportés et livrés, au prix de la commission de nombreux crimes »
et
« Le groupe Apple n’échappe pas à la contamination de sa propre chaîne d’approvisionnement dans la mesure où des minerais illicites, exportés tant depuis la RDC que du Rwanda, transitent par des sociétés figurant dans la liste officielle des fournisseurs d’Apple ».
Il est dès lors impossible aux participants d'une assemblée générale, aux experts-comptables, commissaires aux comptes, intermédiaires financiers, juristes, membres du conseil d'administration, ... d'ignorer qu'ils se fourvoient.
Il paraît erroné que ces personnes puissent penser que les obligations internationales ne pèsent exclusivement que sur les Etats en matière de droits humains.
C'est d'autant moins permis qu'il paraît possible d'envisager au contraire que le principe de la hiérarchie des normes impose au droit du contrat de se conformer aux obligations issues des traités ; notamment en matière de respect des droits humains et de la dignité, leur matrice, laquelle s'affirme de plus en plus comme la norme fondamentale du droit, tant national qu'international. Pour autant que les principes et les valeurs constitutionnelles aient encore un sens.
Comment prétendre sinon promouvoir, sans se contredire, un monde global - mondialisé - autonome de valeurs que la communauté internationale proclame et consacre comme universelles ?
L'incohérence, à vouloir réfuter cette évidence qui s'impose logiquement, démontre, a contrario, que les acteurs privés sont donc bien soumis aux mêmes obligations, que les acteurs publics, de respecter le droit international. A commencer par respecter l'obligation de bonne foi, qui est un impératif du droit des traités comme du droit des contrats.
Après l'Afrique du Sud, la RDC montre que le continent africain s'approprie le combat des droits humains. Ce continent prend l'initiative et souligne comment le Sud global s'émancipe de l'occident, en palliant l'abdication de ce dernier de ses propres valeurs. Une émancipation et une affirmation qui ne se limite pas seulement aux droits humains.
Sonia Rolley précise, dans son article publié dans Le Monde, que d’autres sociétés pourraient être poursuivies par des plaintes déposées dans d’autres pays.
Start-up Nation ? And what else ?