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Ils rencontrèrent Léon Blum[1] juste avant l’ouverture du Congrès, habillé, lors de leur entrée, à la mode des années vingt et se faisant encore passer pour des journalistes, avec exactement la même moustache que Blum, pour ne pas choquer le service d’ordre et recommencer comme Astérix et Obélix… Devant Blum qui imposa, à leur demande, de les laisser seuls, ils reprirent brusquement leur accoutrement habituel, non sans l’avoir auparavant prévenu de tout ce que cela signifiait. Curieusement, Blum, branché, ne fut pas plus étonné que ça ; sans doute sa face poétique…
Interview de Blum avant le fameux Congrès
Me permettez-vous, commença Mickey, c’est l’une de nos habitudes, de tenter une brève biographie, surtout de vos activités politiques, mais pas que, jusqu’à ce Congrès historique où, j’en suis sûr (excusez cette entrée en matière… : pas besoin de nos pouvoirs extra-lucides pour le savoir !) votre ligne sera battue et que la SFIO, la vieille Section Française de l’Internationale Ouvrière va passer avec armes et bagages chez les cocos de la IIIéme Internationale. Un peu triste, Blum répondit : « Je n’ai pas vos pouvoir, sauf ceux que vous avez bien voulu me confier à l’instant et pour un court moment, mais c’est évident, vous avez raison ; ce qui ne va pas m’empêcher de me battre ; je sais maintenant tout ce qui va se passer et je l’utiliserai… ». « Vous savez bien, on vient de vous l’expliquer, que c’est impossible : vous aurez tout oublié après notre départ ! » intervint Charlot. « Saperlipopette alors, c’est vrai ; continuons néanmoins cette étrange conversation ».
Vous êtes né en 1872, date sinistre mais cependant éclairée par votre mise au monde... « Oh ! Ça va les coups de brosse à reluire ! En effet sinistre, je le savais avant de vous rencontrer, votre copain Charlot, alors Karl Marx, vous vira, Mickey, alors Mikhaïl Bakounine, de la Première Internationale ouvrière ; je ne me rappelle pas avoir dénoncé cette ignominie (j’aurais dû le faire, au moins avec discrétion dans mes critiques littéraires) et je vais le faire tout au début de ce congrès de Tours : une sorte de remake de 1872 où les cocos vont me virer en devenant encore majoritaires comme quand ils ont viré les anarchistes… ». « Il faut vous concentrer, Blum, répéta Charlot : vous ne pouvez pas, je le répète ! Pouvons-nous continuer ? ». Sur un signe de tête de Blum, apparemment vexé, ils reprirent.
« Vous êtes juif (vous en avez d’ailleurs bavé, et c’est loin d’être fini, maintenant vous le savez) et fier de l’être, mais bien français, lui dit Charlot Mordéchaï, comme moi, mais aussi fier d’être allemand : votre père était né avec le prénom Abraham mais préféra Auguste ; votre mère aussi était juive (vous l’êtes donc vraiment, pour ces fous de juifs orthodoxes qui ne vous reconnaitraient pas cette qualité – et/ou cette calamité – si votre mère avait été goy). Pas con, vous avez fait de brillantes études, reçu à 18 ans, cependant tout juste, pas loin du dernier, à Normal Sup de la rue d’Ulm ; vous avez eu le panache de ne rien faire et ainsi de vous faire virer au bout d’une année ! Pas d’ENA à l’époque, mais votre principal métier fut celui de Conseiller d’État qui semble vous avoir laisser plein de loisirs pour écrire et critiquer autre chose que des textes sérieux et entrer en politique par la belle porte de l’affaire Dreyfus.
Vous vous êtes fait tirer l’oreille par votre ami Lucien Herr[2] car vous étiez au début peu enthousiaste pour défendre Dreyfus ; mais il réussit à vous convaincre et vous êtes alors rentré en socialisme comme on entre en religion ». Blum fit remarquer qu’il n’aimait guère cette fin de phrase…
Mickey remplaça alors Charlot, essoufflé : « Vous avez participé aux côtés de Jaurès à la fondation du journal L’Humanité en 1904, mais en y tenant la rubrique littéraire ; en 1905, vous adhérez à la SFIO, au moment de sa création. Dernier point, votre vie amoureuse fut, pendant votre jeunesse, bien garnie et peu sexuellement correcte pour l’époque : une double vie avec une maitresse pendant de longues années alors que vous étiez marié ! ». Mickey se garda de préciser que Léon remit le couvert juste avant la Deuxième Guerre mondiale en trompant aussi sa deuxième femme et en se mariant en troisièmes noces en 1943, déporté à Buchenwald (mais en dehors du camp où la vie était moins joyeuse…) avec sa maitresse ; Blum qui venait de l’apprendre, lisant sans doute dans les pensées de Mickey, grâce à la magie de Zweisteine, blêmit mais ne dit mot. « Et vous avez eu le culot, reprit Mickey, de le théoriser dans votre jeunesse avant de le vivre presque officiellement : votre petit livre Du mariage (1905 ou 1907, juste quand Lénine s’échinait à écrire de la politique sans Éros…) fit scandale car très éloigné des conventions bourgeoises ; se prononcer pour la liberté amoureuse avant le mariage ! Vous vous rendez compte ! Même vos amis politiques comme Jean Jaurès tiquèrent, sans parler de l’extrême-droite qui taxa ce livre de "pornographie au Conseil d’État" ».
Mickey repassa la parole à Charlot : « Myope comme une taupe, on vous a réformé et vous n’êtes pas mort à ladite Grande guerre. Vous entrez alors, mais par la petite porte de la politicaillerie, en devenant chef de cabinet du socialiste Marcel Sembat dans le cadre du gouvernement d’Union sacrée. Enfin, en 1919, vous quittez le Conseil d’État pour le barreau de Paris pour vous lancez vraiment en politique, en emportant une élection législative. Et nous voilà maintenant en 1920 ».
« La politicaillerie mise à part, votre résumé n’est pas idiot, acquiesça Blum, et je persiste et signe quant à ma libération sexuelle ! ».
Blum et les libertaires
Mickey lança alors la discussion sur une question qui le démangeait depuis le début de l’entretien : « Je me demande si vous n’êtes pas, au fond, plus un libertaire qu’un socialiste réformiste ; d’ailleurs mon copain Charlot, retrouvant son autre vie quand il était Marx, vous développerait en long en large et en travers, que ce n’est pas plus étonnant que ça ». « Ta gueule ! » hurla Charlot. Blum passant du blême au vert répondit, quoiqu’un peu gêné : « Sexuellement peut-être, mais politiquement, pas du tout ! Où es-tu allé chercher ça ! ». Peut-être que certains auteurs se sont trompés, continua Mickey, mais j’ai lu quelque part que vous auriez écrit quelques lignes panégyriques au sujet du livre de cet anarchiste ultra individualiste Max Stirner, auteur de L’Unique et sa propriété de 1844, où vous écriviez (ou auriez écrit, car les sources ne sont pas citées) que cet ouvrage était « Le plus hardi, le plus descriptif, le plus libre que la pensée humaine a pu imaginer »[3]. En outre, insista Mickey avec gourmandise, votre ami Lucien Herr vous aurait cafté sur le même thème en écrivant, en vous citant : « Ce fut Herr qui cristallisa toutes les tendances diffuses qui étaient en moi, et c’est à lui que je dois d’avoir opéré une "réorientation profonde" de ma conception individualiste et anarchique du Socialisme ». C’est du moins, ajouta Mickey, ce que prétendait aussi Louis Lévy, en 1931, dans Comment ils sont devenus socialistes[4]. « C’est vrai ou c’est pas vrai, tout ça ? » finit par déclarer Mickey. Blum le coupa sèchement : « Vous n’avez pas tort ; mais mes tendances libertaires individualistes que j’appréciais chez Stirner n’étaient qu’un rejet, comme lui, du communisme étatique et d’un amour de la démocratie que vous qualifiez de bourgeoise ! ».
Charlot remercia Blum pour son honnêteté intellectuelle, il précisa que rien ne sortirait évidemment dans l’Histoire de ces honnêtes aveux, sauf, peut-être, dans une uchronie très loufoque. « Si ce n’est que de la littérature, faites-donc ce que vous voulez ; m’autorisez-vous à jeter l’œil d’un ancien critique littéraire sur cet éventuel écrit ? ». Pas de souci, une petite pose technique et on revient, lui dirent nos deux larrons s’excusant de partir en courant. « Il n’écrit pas mal, celui que vous appelez votre zozo, rigola Blum à leur retour, mais il semble avoir l’art d’hésiter encore entre vous deux ; et ne va-t-il pas finir comme moi ? ».
Charlot et Mickey proposèrent à Blum de le retrouver à la fin du congrès et lui demandèrent l’autorisation de le « débrancher ». Il acquiesça évidemment et se retrouva au début de la conversation qui ne traita que de quelques points politiques avec les deux journalistes. En prenant congé, ils lui annoncèrent une surprise ; « Laquelle ? », dit Blum ». « Vous le saurez bientôt ! » ; et ils firent un saut de puce pour retrouver Clara…
Interview de Clara Zetkin au Congrès de Tours
Ils la cherchèrent, toujours déguisés en journalistes des Années folles, cependant vainement car sans utiliser leur pouvoir. Ils la retrouvèrent, en se « branchant » : elle faisant semblant de prier, seule dans l’église Saint-Julien, tout prêt de la salle du Manège où se tenait le congrès. Ils remirent leurs oripeaux habituels et la branchèrent aussi ; « Je vous attendais, mes chers amis, et quel plaisir de te revoir, Mickey ! ». Elle avait mal vieilli, se dit Mickey qui n’en ratait pas une ; « C’est vrai, tu as raison, sourit Clara, je suis maintenant une vielle peau de 63 ans : finit la gaudriole, et je ne suis pas venu pour ça, tu le sais bien. Je suis arrivée, envoyée par le Komintern, à ce congrès, par miracle et surtout grâce aux camarades français dont mon chauffeur ; je sais maintenant, grâce à vous, que je vais pouvoir retourner à Berlin en toute sécurité, ce qui va me permettre d’être moins angoissée lors de mon discours à ce Congrès de Tours, dans peu de temps. Je vois d’ici la une de l’Huma du 29 décembre "À la barbe de la police, Clara Zetkin arrive à Tours". Vous connaissez mon discours, mais c’est mieux en live, allez-y, j’arrive tout de suite. J’espère vous revoir un jour, par exemple (je viens de l’apprendre, toujours grâce à vos satanés pouvoirs, quand je ferai un discours en 1932 devant des tas de nazis au Reichstag allemand comme présidente, étant la plus âgée ; je sais aussi que je fuirai cet enfer mais que je vais mourir peu après, tant mieux. Mais en attendant, les Allemands vont encore m’entendre. Je vous laisse, je suis déjà en retard ; grosses bises, mais disparaissez ! ».
Son entrée théâtrale au congrès fut superbe, de même que son discours[5].
Second entretien de nos deux larrons avec Blum
Ils partirent, par un nouveau saut de puce, retrouver Blum à la fin du congrès après son discours, en le branchant de nouveau ; il leur dit[6] : « Pas mal la surprise, c’est votre Zetkin qui a remporté avec brio le morceau, mais de toute façon, c’était fichu, et même si je n’ai pas conquis ce congrès, ma densité, ma cohérence, ma puissance de conviction, l’ont dominé : je suis fier de cette cuisante défaite annoncée ! ». « Vos chevilles ne vous gênent pas dans vos chaussures » sourit Charlot. « Non, je sais, encore grâce à vous, que je vais rebondir, certes pas pour très longtemps ; venez me revoir en 1936 ! ». « Pas question, rétorqua Mickey, ton Front populaire, par ailleurs fort sympathique pour contrer en France la montée du fascisme qui réussit en Allemagne, ne nous intéresse pas dans nos recherches de l’influence de la pensée anarchiste sur le mouvement social ; autant nous sommes venus te voir pour tirer au clair cette petite lueur libertaire de ta jeunesse, ton alliance (d’ailleurs éphémère, et tu le sais) avec à droite les radicaux-socialistes et à gauche avec les cocos, n’a plus rien à voir avec ça ; et tu n’as pas pu soutenir la République espagnole contre Franco, sauf en catimini ». « Tu as raison, admit Blum, dommage que je vais tout oublier de notre conversation, sinon j’aurais bien trouvé un moyen de... Mais c’est bien sûr impossible ! ».
Et la discussion reprit. Je leur ai dit, à tous ces congressistes qui ont voté pour les cocos, que leur idée, affirma Blum en récitant par cœur ses dires, reposait « sur des idées erronées en elles-mêmes, contraires aux principes essentiels et invariables du socialisme marxiste. Il repose, d’autre part, sur une espèce de vaste erreur de fait qui a consisté à généraliser pour l’ensemble du socialisme international, un certain nombre de notions tirées d’une expérience particulière et locale, l’expérience de la révolution russe elle-même... ». Certes, intervint Charlot, mais pour vous il s’agit encore de votre interprétation réformiste du marxisme ; Mickey ajoutant que Stirner, tout libertaire qu’il était, était cependant un révolutionnaire, ou du moins se prétendait l’être.
Blum ne releva pas et continua encore en se citant : « Le débat, affirma-t-il, n’est pas entre la conception réformiste et la conception révolutionnaire mais entre deux conceptions révolutionnaires qui, en effet, sont radicalement et essentiellement différentes l’une de l’autre. […] je ne connais qu’un socialisme, le socialisme révolutionnaire, puisque le socialisme est un mouvement d’idée et d’action qui mène à une transformation totale du régime de la propriété et que la révolution c’est, par définition, cette transformation même ». C’est du pur révisionnisme de la pensée de Marx que je continue à défendre, avec Mickey, lui fit remarquer Charlot : celui d’Eduard Bernstein qui peut se résumer par son article de 1898 (de la série Problèmes du socialisme) alors qu’il était exilé à Londres et assez copain avec Engels, où il écrivit « Le but final du socialisme n’est rien, le mouvement est tout ». Blum répondit qu’il avait raison, mais qu’il préférait en effet l’interprétation, selon lui toujours marxiste, de Bernstein. Blum s’énerva, rappelant qu’il avait bien précisé au congrès : « La prise de l’autorité centrale qui, actuellement, s’appelle l’État, par n’importe quels moyens, sans que ni les moyens légaux, ni les moyens illégaux soient exclus...[…] Cette conception révolutionnaire a toujours eu à se défendre contre deux déviations contraires... ». Vous ne m’envoyez à la figure, précisa Blum, que ce que vous considérez comme une déviation de droite, ce que je nie, avec Bernstein, vous oubliez celle qui se dit de gauche, « celle qui consiste à penser que la conquête des pouvoirs publics est par elle-même une fin, alors qu’elle n’est qu’un moyen, qu’elle est le but alors qu’elle n’est que la condition, qu’elle est la pièce alors qu’elle n’est que le prologue [...]. Erreur anarchiste dans son origine qui est à la racine de la doctrine communiste ». Blum ne dit pas que ledit communisme du Picard Gracchus Babeuf et de sa Conjuration des Égaux (après la réaction thermidorienne) était en fait plus déjà de l’anarchisme, mais il le pensa sans doute très fort. Mickey hurla : « Non, rien à voir avec l’anarchisme, ce que tu racontes ! C’est la seule erreur des communistes à la Marx ancienne formule ». Charlot acquiesça et Blum maintint sa position…
Blum eut en outre le culot, concernant la Dictature du Prolétariat d’affirmer au congrès : « Nous en sommes partisans. Là aussi, nul désaccord de principe. Nous en sommes si bien partisans que la notion et la théorie de la dictature du prolétariat ont été insérées par nous dans un programme qui était un programme électoral. Nous n’avons donc peur ni du mot, ni de la chose […] Pour ma part, je ne pense pas, bien que Marx l’ait écrit [...] que la dictature du prolétariat soit tenue de conserver une forme démocratique [...]. Il n’y a aucune possibilité de déterminer d’avance quelle forme aura la dictature du prolétariat... ». « Là, tu es gonflé ! » remarqua aimablement mais fermement Charlot. « Pas du tout, répliqua Blum, où est donc le désaccord ? J’ai affirmé au congrès : "Il n’est pas non plus dans le fait que la dictature du prolétariat soit exercée par un parti. En fait, en Russie, la dictature n’est pas exercée par les Soviets, mais par le Parti communiste lui-même. Nous avons toujours pensé en France que demain, après la prise du pouvoir, la dictature du prolétariat serait exercée par les groupes du Parti socialiste lui-même devenant, en vertu d’une fiction à laquelle nous acquiesçons tous, le représentant du prolétariat tout entier. La différence tient [...] à nos divergences sur l’organisation et sur la conception révolutionnaire. Dictature exercée par le parti, oui, mais par un parti organisé comme le nôtre et non pas comme le vôtre. Dictature exercée par un parti reposant sur la volonté et sur la liberté populaires, sur la volonté des masses, par conséquent dictature impersonnelle du prolétariat. Mais non pas une dictature exercée par un parti centralisé où toute l’autorité remonte d’étage en étage et finit par se concentrer entre les mains du Comité patent ou occulte. Dictature d’un parti, oui, dictature d’une classe, oui, dictature de quelques individus, connus ou inconnus, cela, non" ». « Tu crois vraiment ce que tu as dit à ce congrès, pas moi », pesta Charlot ; « Et tu en as rajouté une couche, retrouvant tes accents anarchistes de ta jeunesse ! renchérit Mickey, quand tu as affirmé que cette dictature impersonnelle devait être aussi "temporaire, provisoire", alors que pour Moscou elle était "un système de gouvernement stable" et quand, apostrophant la majorité, tu t’écrias : "Vous concevez le terrorisme, non pas seulement comme le recours de dernière heure, non pas comme l’extrême mesure de salut public que vous imposerez aux résistances bourgeoises, non pas comme une nécessité vitale pour la Révolution, mais comme un moyen de gouvernement... " ».
Voilà que Blum retrouvait presque des accents conseillistes à la Rosa Luxemburg…
La conversation finale fut donc très rude, mais Mickey et Charlot embrassèrent Blum, ajoutant « Sans rancune ! Bon vent quand même pour ton Front populaire ; fais pour le mieux ! » ; « Moi de même, et bon vent pour vos nouvelles aventures ! Me laisserez-vous terminer par mon adresse finale, à la fin du congrès ? ». « C’est vrai, nous avons oublié, tous les trois, de la mentionner : c’est pourtant une pièce d’anthologie ! vas-y camarade ou compagnon ».
Blum la récita, les yeux embués : « Nous sommes convaincus, jusqu’au fond de nous-mêmes, que, pendant que vous irez courir l’aventure, il faut que quelqu’un reste garder la vieille maison. […] Dans cette heure qui, pour nous tous, est une heure d’anxiété tragique, n’ajoutons pas encore cela à notre douleur et à nos craintes. Sachons nous abstenir des mots qui blessent, qui déchirent, des actes qui lèsent, de tout ce qui serait déchirement fratricide. Je vous dis cela parce que c’est sans doute la dernière fois que je m’adresse à beaucoup d’entre vous et parce qu’il faut pourtant que cela soit dit. Les uns et les autres, même séparés, restons des socialistes ; malgré tout, restons des frères qu’aura séparés une querelle cruelle, mais une querelle de famille, et qu’un foyer commun pourra encore réunir ».
Nos deux larrons ne firent aucun commentaire et disparurent.
Notes
[1] Les biographies en livres de Léon Blum sont nombreuses ; je n’en ai lu qu’une seule, par hasard, lors de sa sortie, peut-être la plus récente : celle de Frédéric Salat-Baroux, Blum le Magnifique : Du Juif "Belle Époque" au leader socialiste (Éditions de l’Observatoire, Paris, 2021). Ex-secrétaire général de l’Élysée sous Jacques Chirac, il a épousé en secondes noces sa fille Claude en 2011 ; les trois auraient soutenu François Hollande pour l’élection présidentielle de 2012.
On peut évidemment regarder l’article de Wikipédia qui retrace toute la vie de Blum ; sauf erreur, pas un mot de ses penchants anars cachés… Voir :
https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_Blum
Un détail cependant, dans cet article, sur son orientation politique au moment de la création de la SFIO : « Cependant, dès l'été 1905, il quitte L’Humanité, devenu le journal du parti, et ne milite plus guère. Ses activités littéraires reprennent le pas sur ses activités politiques. L’historien Serge Berstein avance que ce retrait est peut-être lié à la déception de voir que la SFIO s’organise autour du marxisme dogmatique et révolutionnaire de Jules Guesde, plutôt qu’autour du socialisme réformiste de Jaurès ».
Blum bénéficie en outre d’un très long et très passionnant article du Maitron sur toute sa vie et ses idées politiques et où sa jeunesse anarchiste est rapidement évoquée :
https://maitron.fr/blum-leon-andre/
Y est indiqué en effet : « Léon Blum, se détachant de l’anarchisme avec lequel il flirta dans sa jeunesse, avait donné son adhésion au socialisme dès 1898, en s’inscrivant au groupe de l’Unité socialiste. Il n’y était pas poussé par d’impérieuses contraintes sociales mais par cet amour de la vérité et de la justice qu’il puisa dans le milieu familial et parce que le socialisme s’incarnait pour lui dans deux hommes prestigieux, Lucien Herr qu’il avait connu, sans intimité, lors de son passage rue d’Ulm, et Jean Jaurès auquel il vouait une admiration qui ne se démentira jamais. Il renoua amitié avec Lucien Herr après leurs retrouvailles en 1893 et, c’est ce dernier, déclarera plus tard Léon Blum "qui a cristallisé toutes les tendances diffuses en moi et opéré le revirement de mon esprit individualiste et anarchiste vers le socialisme" ». Y est indiqué également sa relative discrétion à la SFIO après sa création, mais sans évoquer, comme Wikipédia, sa tendance plus réformiste à la Jaurès.
Ici, dans ce Voyage de nos deux larrons, on s’en tiendra au Blum du Congrès de Tours.
[2] Une petite note pour Herr est la moindre des choses. Il fut adhérent du Parti ouvrier socialiste révolutionnaire (c’est lui qui aurait « converti » Jean Jaurès au socialisme). En 1898, lors de l’affaire Dreyfus, Lucien Herr répliqua à Maurice Barrès et à ses fameuses « racines ». Il lança une pétition en faveur du capitaine Dreyfus et fut l’un des fondateurs de la Ligue des droits de l’homme. Cofondateur en 1904 du quotidien L’Humanité (c’est lui qui, dit-on, en trouva le titre). Il contribua, enfin, au Congrès de Tours, à la rédaction du discours de Léon Blum. Ce dernier, en présence de Mickey et Charlot, n’eut rien à redire de cette note…
[3] Je radote : j’ai déjà évoqué cette question dans mon billet de blog du 3 novembre 2023 ; voir :
https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/031123/cocos-et-anars-jouent-eros-plutot-que-thanatos-uchronie-et-histoire-saison-3
Le Maitron, voir plus haut dans sa biographie de Blum, écrit donc par ailleurs, mais sans s’appesantir : « Léon Blum, se détachant de l’anarchisme avec lequel il flirta dans sa jeunesse, avait donné son adhésion au socialisme dès 1898… ». Et ce n’est pas fini…
[4] On a ainsi la source de ce que citait Maitron (voir plus haut).
[5] Les curieux pourront le retrouver par exemple sur :
https://archives.touraine.fr/page/il-y-a-100-ans-clara-zetkin-intervenait-au-congres-de-tours
[6] Tout ce que Blum raconte de sérieux le fut au congrès, à la virgule près.