Allons droit au but ; mais en rappelant auparavant ce qu’est maintenant le FLNKS.
Un article du 9 août nous en dit plus[1] concernant sa composition actuelle. Il n’est plus ce qu’il était : la branche UNI-Palika-UPM en est de fait sortie ; sont entrés beaucoup de petits partis et syndicats indépendantistes, dits groupes de pression avec les membres historiques.
Le FLNKS[2] fut créé du 22 au 24 septembre 1984 (remplaçant le mouvement Front indépendantiste, le FI créé en 1979) ; sa charte a toujours été « l’indépendance kanak et socialiste », dite l’IKS, même si, à demi-mot, une indépendance-association fut de temps en temps acceptée. L’article du 9 août précise : « Ces sept groupes de pression sont composés des deux formations historiques : l’Union calédonienne [UC] présidée par Emmanuel Tjibaou, fils du premier président de la coalition indépendantiste Jean-Marie Tjibaou. Et le Rassemblement démocratique océanien [RDO], dirigé par Aloisio Sako. Formation composée majoritairement de Wallisiens et de Futuniens, qui a rejoint le front en février 1990. Quatre autres partis et un syndicat, depuis le Congrès de mars 2024. Le Mouvement océanien indépendantiste [MOI] , dissident du RDO a également intégré le parti, avec à sa tête Arnaud Chollet-Leakava. Autres membres du FLNKS : la Dynamik unitaire Sud [DUS], parti dissident du Palika dont Sylvain Pabouty et Jean-Marie Ayawa sont les représentants. Le Parti travailliste, avec Marie-Pierre Goyetche élue présidente l’an dernier. La Confédération nationale des travailleurs du Pacifique [CNTP] , constituée notamment des anciens militants de l’USTKE et représentée par Henri Juni. Et la Dynamique autochtone, anciennement Libération kanak socialiste, dont la cheffe de file est Omayra Naisseline. […] La Cellule de coordination des actions de terrain [CCAT] , liée à l’UC, en est devenue une composante évidente même si cette organisation n’est pas constituée en parti à proprement parler ».
La liste de Wikipédia est un peu différente : elle inclut la CCAT et aussi l’USTKE, courroie de transmission syndicale du parti travailliste.
Mais insistons sur une nouvelle presque passée inaperçue : les hésitations premières des membres du RDO quant à l’accord de Bougival. Un article du 27 juillet les évoquait discrètement[3] : « L’accord de Bougival a aussi animé les débats lors du comité directeur du Rassemblement démocratique océanien, ce samedi 26 juillet à Dumbéa. Il s’agissait de présenter le projet signé en région parisienne par le président Aloïsio Sako ». D’un côté soutien et confiance aux signataires : « Les militants lui ont réitéré leur "soutien" et leur "confiance", comme l’indique Laurie Humuni, secrétaire générale du RDO. "Les militants étaient un peu sceptiques, confie-t-elle à NC la 1ère. Le président Aloïsio Sako leur a expliqué le contexte, les opportunités et aussi les éléments sur lesquels des concessions ont été faites". Toujours selon Laurie Humuni, ce comité directeur a permis de clarifier "un sujet à controverse, surtout avec les différentes interprétations qu’il peut y avoir de la part des différentes délégations qui se sont rendues sur place" ». De l’autre, volonté réaffirmée d’union au sein du FLNKS : « Si les militants du RDO se sont montrés solidaires de la signature de leur président, reste à déterminer comment le parti va s’engager pour communiquer sur le projet d’accord dans les prochains mois. "La communication qui devra se faire, ça sera dans l’unité avec les membres du FLNKS", [Je souligne, PC] prévient Laurie Humuni ».
1 – C’est donc un Non franc et massif à l’accord de Bougival
Le dimanche 10 août, NC 1ère confirmait [4] en fin de matinée et début d’après-midi (horaires de Nouméa) les rumeurs, sinon les certitudes déjà annoncées : « Selon les informations de NC la 1ère, le projet d’accord de Bougival a été rejeté en bloc. […] … la décision de refuser le texte négocié un mois plus tôt a été prise à l’unanimité. [Je souligne, PC[5]] Avec ce rejet, c’est l’ensemble du processus prévu par le document qui tomberait : calendrier, comité de rédaction ainsi que les mandats des signataires et des équipes techniques ». Mais aucune déclaration officielle ne sera transmise à la presse avant le mardi 12 août ; le FLNKS a en outre décliné l’invitation de NC la 1ère en tant qu’invité politique du dimanche au JT.
Manuel Valls a réagi très rapidement, le soir même (toujours horaire de Nouméa) en confirmant de fait la rupture unanime du FLNKS. Un article[6] indique : « Rejet en bloc du projet d’accord de Bougival ? La voie que semble emprunter le FLNKS suite à son congrès de La Conception conduit le ministre des Outre-mer à s’exprimer, ce dimanche soir. Et à annoncer sa venue "la semaine du 18 août" pour "rassembler" "écouter" et "réunir tous ceux qui refusent l’affrontement stérile" ».
Et Valls de réitérer que l’accord est un bon accord ; il n’est pas inutile de lire tout le communiqué[7] … (avec ses commentaires de tous bords).
La presse de Métropole rapporte les mêmes nouvelles ce dimanche, le JT de NC 1ère aussi.
2 – Cette rupture n’est ainsi pas une surprise : elle était annoncée comme une quasi-certitude depuis quelques jours
Ces annonces ne nous étonnent pas ; voir nos deux billets[8] du 19 et du 20 juillet.
Déjà, le 8 août, le quotidien Le Monde actait que le résultat du congrès du FLNKS ne faisait aucun doute[9] : « En Nouvelle-Calédonie, les indépendantistes du FLNKS s’apprêtent à tourner la page de l’accord de Bougival. […] Le congrès, qui doit se tenir samedi 9 août, devra surtout dire quelles suites donner aux discussions sur l’avenir du territoire »[10]. L’article d’Europe 1 du 9 août se posait encore la question, mais semblait avoir la réponse[11] : « L’accord de Bougival sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie est comme suspendu au bon vouloir des membres du Front de libération nationale kanak et socialiste. Et les signaux ne sont pas rassurants pour le gouvernement. Toutes les composantes du FLNKS ont déjà pris position contre le compromis trouvé le 12 juillet ». En fin de matinée du 9 août ; on savait déjà que le président du FLNKS, Christian Téin proposait au congrès de rejeter l’accord ; même la presse française (ici Ouest France) l’annonçait[12] : « "On est venu couper Bougival !" clame d’une voix forte, pendant le geste traditionnel de bonjour, un militant descendu du centre de la Grande Terre de la Nouvelle-Calédonie. Par "couper", il faut comprendre "effacer". Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a ouvert samedi un congrès extraordinaire en un lieu très symbolique, à la tribu de la Conception, au Mont-Dore, en banlieue de la "capitale" Nouméa. En cet endroit, le 1er décembre 1984, Jean-Marie Tjibaou, figure historique kanak, levait pour la première fois le drapeau de la coalition indépendantiste, avec une déclaration restée dans les mémoires : "Kanaky est en train de naître" ». Idem, par exemple, pour le Dauphiné libéré au même moment[13] ; idem pour Charente Libre[14].
Ce dernier article mettait déjà doublement les points sur les i : danger de regain de tension ; chantage réitéré de Valls (si pas d'accord, pas de sous ! mais dit autrement) : 1 / « Un accord déjà enterré ? Le FLNKS devrait logiquement entériner samedi, à l’issue de son congrès extraordinaire, les positions de ses différentes composantes. Il serait alors difficile d’imaginer un avenir à l’accord de Bougival, sauf à prendre le risque d’un regain de tensions. L’an passé, des émeutes avaient éclaté en raison du maintien par l’État d’une réforme du corps électoral du scrutin provincial, accusée par les indépendantistes de marginaliser la population autochtone kanak ». 2/ : « Pour le ministre des Outre-mer, ouvert à des ajustements, le rejet du FLNKS n’enterrerait pas forcément le texte, approuvé par la frange indépendantiste modérée […] L’accord est le seul moyen pour conforter la reconstruction du territoire et l’arrivée de nouveaux investissements ». Ce qu’a repris en fait Valls le 10 août…
Enfin, Europe 1 (du groupe Bolloré) recevait Sonia Backès le soir du 9 août[15] (fuseau horaire de Nouméa : vers midi en France) ; on passe sur les imprécisions (pour être poli) du journaliste qui considère le FLNKS comme une « frange très minoritaire des indépendantistes »… Backès rappelait en revanche que le FLNKS était encore la moitié du FLNKS d’origine ; sur l’insistance du journaliste sur la toute petite frange des indépendantistes, elle le corrigeait donc, affirmant cependant que la majorité des indépendantistes étaient pour l’accord de Bougival. C’est vrai que l’UNI-Palika (sortie de fait du Front, même avant mai 2024) soutient cet accord, avec aussi l’hypothèse du RDO hésitant. C’est pour cela que Backès note : « C’est plus partagé qu’on ne le pensait ».
La presse calédonienne couvrait évidemment la journée du 9 août avec la nouvelle de l’ouverture de ce 45e congrès, par exemple NC 1ère (en début d’après-midi, mis à jour en milieu d’après-midi)[16]. Le discours d’ouverture de Téin en visioconférence y était indiqué : « Cette journée marque une étape décisive, qui demande une forte détermination, afin d’aborder la phase finale vers l’indépendance (…) Notre assemblée devra confirmer le rejet clair et sans ambiguïté du projet d’accord signé à Bougival, par notre délégation qui n’avait aucun mandat pour le faire ».
…
Rien de bien nouveau lundi soir (heure française).
Un petit article le 11 août au soir (horaire de Nouméa) sur le thème les élus du Caillou se sucrent[17], qui arrive à point en rapportant un rapport inédit de la Chambre territoriale des comptes : « Un petit nombre d’entre eux concentre la majorité des dépenses, sans que l’intérêt général soit nécessairement démontré ». Le FLNKS confirme en outre qu’il officialisera sa position le mardi 12 août[18], ce qui est confirmé par le JT[19] du lundi 11 août de NC 1ère. Le JT de ce lundi de la télé Caledonia (rappelons qu’il n’y a pas de JT le week-end) rappelle tout cela[20]. Les râleries, justifiées selon moi, de l’un des seuls syndicats locaux de salariés, la Fédé[21] (avec FO) qui s’oppose au plan d’austérité du gouvernement local.
Attendons donc mardi et la suite…
Notons les hésitations de Valls qui ne sait toujours pas sur quel pied danser : Bougival ou le chaos d’un côté ; un accord reste possible de l’autre...
Le FLNKS est plus clair. Il est certes prêt à discuter, mais pas pour amender l’accord de Bougival ; si Christian Téin a en effet prôné la « poursuite du dialogue », c’est « uniquement sur les modalités d’accession à la pleine souveraineté », [Le gras est de mon fait, PC] « en format bilatéral » avec l’État et seulement « jusqu’au 24 septembre », (décision, d’ailleurs, du précédent congrès du FLNKS de janvier 2025). Conclusion du président du Front : « Nous devons capitaliser sur nos atouts et les valoriser au mieux afin d’accéder à la pleine souveraineté au plus tard avant les élections présidentielles de 2027 ».
NB. L’article de Wikipédia concernant l’accord de Bougival (pourtant revu le 11 août 2025) est à actualiser ; j’ai proposé de se référer à ce billet. Ils en feront ce qu'ils voudront.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_Bougival
...
Ajout du mardi 12 août
On apprend, grâce à L’Opinion (avec AFP) que ce n’est pas ce mardi 12 août que le FLNKS dévoilera son secret de Polichinelle de refus unanime de l’accord de Bougival (sauf retournement, peu probable) mais le lendemain mercredi 13, lors d’une conférence de presse tenue en matinée (horaire de Nouméa).
Notes
[2] Voir son histoire sur Wikipédia
https://fr.wikipedia.org/wiki/FrontWde_lib%C3%A9ration_nationale_kanak_et_socialiste
[5] Le RDO aurait donc suivi l’unanimité du FLNKS et laissé de côté ses hésitations (voir plus haut).
« "Tout porte à croire qu’il aurait été décidé un rejet de l’accord de Bougival", pose le ministre des Outre-mer, même s’il dit attendre "les expressions et les textes officiels, ainsi que la composition de la nouvelle délégation en charge de la discussion avec le gouvernement. […] Je regretterais que, dans sa nouvelle configuration - après le retrait des partis historiques Palika et UPM - le mouvement ait choisi de tourner le dos à l’accord de Bougival, signé par ses représentants en toute connaissance de cause" ».
[7] https://www.facebook.com/manuelvalls/posts/1329101721915355?ref=embed_post
Quelques petites phrases me paraissent importantes, qui rappellent ce que Vals avait déjà dit et semblent encore, à la fois, une petite ouverture envers le FLNKS, au sujet de l’accord de Bougival et une menace. Ouverture : « Aujourd’hui, il doit être éclairé, approfondi, précisé, complété. C’est l’objet du comité de rédaction que j’ai proposé. C’est dans ce cadre que pourra être clarifié l’esprit de l’accord, en particulier sur l’identité, la place et le rôle fondateur du peuple kanak dans l’histoire et l’avenir du territoire. […] Je ne me résigne pas. Ma porte restera ouverte. Le dialogue, c’est la seule issue ». Menace : « Mais je le dis une nouvelle fois sans détour : refuser l’accord, c’est faire le choix du pourrissement et de la confrontation. Et ce sera l’échec pour tous. Sans compromis, pas de reconstruction durable, pas de véritable reprise économique, et les fractures sociales et sanitaires ne feront que s’aggraver ».
[8] Le premier titré "L’État de la Nouvelle-Calédonie" ? Pas "l’indépendance" : un "protectorat" français, et sous-titré Plein de grains de sable possibles dans un verre ½ plein ou ½ vide ; à mon humble avis, plutôt au ¾ vide. Pourquoi ? C’est, pour presque tous, la bonne surprise de l’Accord de Bougival du 12 juillet, "un tournant historique". Pour d’autres, mais très minoritaires, c’est une "bascule tactique, un recul imposé, une trahison silencieuse". Et, danger, une loi peut toujours défaire une loi précédente…
https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/190725/l-etat-de-la-nouvelle-caledonie-pas-l-independance-un-protectorat-francais
Le second du lendemain, "Coup de tonnerre" en juillet du FLNKS ou simple "couac" ? "Bougival, c’est fini " ! Son sous-titre est plus explicite mais hésitant : L’UNI-Palika, maintenant en dehors du "Front", n’est pas d’accord du tout avec ce dernier ! Et curieux dialogue entre Valls et Tjibaou, mais par médias interposés, le premier semblant feindre de ne pas répondre au second… Je suis passé de l’indécision au début à la conclusion du titre modifié 10 jours plus tard, toujours néanmoins convaincu que le verre est au ¾ vide au détriment de l’indépendance
[10] « La Nouvelle-Calédonie retient son souffle, à la veille d’un congrès extraordinaire du Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) qui pourrait replonger l’archipel dans l’incertitude et dont l’issue ne fait guère de doute. Samedi 9 août, c’est à la tribu de La Conception, qui l’a vu naître il y a quarante et un ans, que le FLNKS a donné rendez-vous à ses membres pour statuer sur l’accord de Bougival, signé le 12 juillet ».