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Économiste, sociologue et HEC à la retraite (maître de conférence à l’Université Dauphine et membre du Cabinet Syndex, expert-comptable spécialisé dans le conseil aux Comités d'entreprise et aux syndicats de salariés), il s’occupe, depuis une dizaine d’années, de promouvoir l’Indépendance de la Kanaky Nouvelle-Calédonie. Il s’est mis en outre à écrire autre chose que de savants traités...

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Billet de blog 13 novembre 2024

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Braun-Pivet et Gérard Larcher sur le Caillou : des banalités mais quelques percées…

…cependant très floues sur une avancée institutionnelle résumée surtout par l’expression « souverainetés partagées » lancée par Larcher. Mais on n’a pas entendu prononcer « État associé ». Sauf pour quelques rêveurs, dont le Palika, on est encore loin de l’indépendance-association. Mais qui sait…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Yaël Braun-Pivet (Présidente de l’Assemblée nationale) et Gérard Larcher (son homologue au Sénat) sont enfin venus, comme annoncé depuis longtemps, en Nouvelle-Calédonie pour une mission "de concertation et de dialogue" dite inédite. Et c’est vrai : c’est la première fois que deux poids lourds du Parlement français se mouillent en même temps dans les eaux du Caillou. Et ils ont choisi le week-end du 11 novembre : fin de la Petite guerre qui secoue la Calédonie depuis le 13 mai ? Que de dates-symboles !

Tout le monde avait salué cette visite promise et qui allait enfin se réaliser ; seule Sonia Backès, la très radicale loyaliste, présidente de la province Sud, était moins optimiste : « On va jouer le jeu comme on l’a fait à chaque mission, mais je ne place pas non plus tous mes espoirs dans cette visite en disant qu’il y aura un redémarrage des discussions comme par magie ».

Pendant ce temps, une autre petite guéguerre secoue le FLNKS[1] : le Front s’est fissuré et s’est même probablement fracassé en milieu d’année, comme dans un match, certes à fleuret moucheté (quoique…) : à ma gauche (et c’est, ici, une image politique) l’UC très radicale et ses copains dont Christian Téin le patron incontesté de la CCAT (mais très contesté par l’État : il est mis en examen et déporté en Métropole) devenu président de ce Front (ou futur ex-Front ?) ; à ma droite le Palika et les siens (idem : il semble beaucoup plus consensuel et profite des yeux de Chimène de la part des antiindépendantistes). On attend toujours, le mercredi 13 novembre, les conclusions de ces derniers qui viennent de tenir d’importantes réunions : vont-ils quitter ou ne pas quitter le FLNKS ? La procrastination en dit long.

La première rencontre politique[2] a lieu au Sénat coutumier du Caillou où les présidents des deux chambres reconnaissent oralement son rôle crucial, celui de porter la parole du peuple kanak auprès des institutions calédoniennes et de l’État. Larcher lance, lors de la coutume d’accueil. : « Je n’oublie pas que depuis Matignon jusqu'à Nouméa, qui vit la naissance du Sénat coutumier, votre rôle est important. Vous devez contribuer à ce que nous souhaitons : le dialogue pour la paix retrouvée, pour la sérénité et la conjugaison de deux rêves qu’il n’est pas impossible de faire conjuguer ». Le président du Sénat coutumier Éloi Gowé, répond : « … l’État doit rester "un partenaire neutre. […] Qui dit prolongation de l'Accord de Nouméa dit période de transition de cinq ou dix ans, avec au terme, le référendum d’autodétermination qui portera sur la question du lien entre la Nouvelle-Calédonie-Kanaky et la France" ». Larticle note : « C’est la première fois qu’un représentant de l’institution se prononce aussi clairement et concrètement pour une solution de sortie de crise depuis le début des exactions […] Aujourd’hui le Sénat coutumier souhaite devenir un acteur à part entière dans la construction du pays. Il espère donc avoir une place au côté des partenaires historiques lors des futures discussions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ».

Le même jour, les deux Présidents rencontrent Louis Mapou, le président du gouvernement local, Paul Néaoutyine, le président de la Province Nord, Sonia Backès, patronne de la Province sud et Jacques Lalié qui mène la Province des Îles. Silence radio sur le contenu des entretiens. La rencontre avec Néaoutyine[3] (qui se fait de plus en plus rare) est à marquer d’une pierre blanche ; mais ce dernier avait reçu tout aussi chaudement Buffet lors de sa récente visite.

Le deuxième jour est sans doute le plus important[4] : leurs discours au Congrès donnent des perspectives positives à une autonomie élargie, voire à ce qui pourrait se rapprocher d’une forme d’autonomie-indépendance ; mais ça reste bien flou : la chèvre loyaliste est le chou indépendantiste sont ménagés.

Yaël Braun-Pivet ne s’est pas trop engagée, elle sait parfaitement brosser les deux camps dans le sens du poil, rappelant avoir la « Nouvelle-Calédonie chevillée au corps » ; mais elle n’a pas rappelé le mantra de Macron, répété à l’envi : « La France serait moins belle sans la Calédonie ». Deux de ses autres paroles sont pourtant lourdes de sens en donnant un tout petit pas en avant. Elle tient d’abord à saluer la « recherche du consensus et de synthèse » notamment à travers le Plan S2R porté par le gouvernement, « rôle essentiel du gouvernement collégial » : sans aucun doute, elle soutient, comme Macron et son gouvernement actuel, ce plan néolibéral soufflé plus ou moins discrètement par l’Etat[5]. Un tout petit point donc pour les indépendantistes, car le gouvernement est présidé par Louis Mapou, mais un autre pour les loyalistes qui semblent faire aujourd’hui la pluie et le beau temps dans ce gouvernement « collégial ». Elle évoque ensuite l’ « identité plurielle [… du pays qui devra "considérer" les légitimités de chacun] : celle des Kanak qui portent des siècles de mémoires et de souffrances atroces et celle des autres communautés qui ont fait de cette terre leur foyer et qui participent depuis longtemps à son destin ». Elle refait le coup de Nainvilles-les-Roches[6] de 1983, plus de 40 ans après ! Match nul ou un petit point d’avance pour les Kanak ?

Le but de la mission de novembre 2024 (qui ressemble en effet à celle de Lemoine, toute proportion gardée) est en effet une mission de concertation et de dialogue pour « élaborer une méthode de discussion commune » et établir une « feuille de route pour les semaines à venir [dessinant les] contours d’une future souveraineté dans laquelle chacun trouve sa place ». Vous avez dit « future souveraineté » ? Là, il y a deux hics : il n’existe pas de souveraineté calédonienne, seulement une autonomie ; et le mot « future » évoque que la souveraineté pourrait bien arriver ! Déjà du flou…

Gérard Larcher va peut-être plus loin ; il se glisse d’abord dans le petit bain quand il estime que la Nouvelle-Calédonie a « toujours été un laboratoire des solutions inédites » ; rien qu’avec cela, il commence à se mouiller nettement plus que sa consœur. Il plonge ensuite presque dans le grand bain en recommandant aux Calédoniens de réfléchir à la notion de « souveraineté partagée », Diantre ! Il dit en effet : « Dans notre monde du Pacifique à l’Union européenne, il n’existe que des souverainetés partagées. C’est un choix qui n’est pas nécessairement binaire et qui peut passer par une construction imaginative et originale au sein de la République [je souligne, PC] si les Calédoniens le souhaitent et c’est mon souhait personnel ».

Plusieurs interprétations sont possibles. On comprend ce qu’il entend par là concernant l’Union européenne, moins pour le Pacifique, à moins qu’il ne pense aux États associés un peu bidon évoqués dans l’un de mes autres billets[7]. Quelles furent les réactions à ce petit pétard ?

Veylma Falaeo, présidente du Congrès de la Nouvelle-Calédonie (et membre du parti L’Éveil océanien) est la seule à avoir officiellement réagi à l’issue de ces discours qu’elle juge très positifs ; mais elle ne se mouille pas en ne rappelant pas que son parti n’est pas très loin de souhaiter une sorte d’indépendance-association[8]. Les deux parlementaires ayant ensuite rencontré, à tour de rôle, les groupes et les formations politiques du Congrès, les réactions sont arrivées. L’UC, ne se mouilla pas non plus se disant « satisfaite par la méthode d'écoute prônée par les deux présidents », pas plus que les loyalistes. Le groupe Calédonie Ensemble a rappelé (c’est le sillon qu’il creuse depuis la proposition du Plan quinquennal demandant beaucoup de sous à l’État (la moitié du PIB calédonien sur 5 ans ![9]) l’importance d’un « sauvetage économique et social ». Philippe Dunoyer, élu du groupe, précisant : « On a tenu à le dire aux deux présidents de chambre, il n’y aura pas un avenir institutionnel sans sauvetage économique et social, il n’y aura pas d’avenir économique et social sans l’identification d'une solution consensuelle politique ». Tout est dans tout et réciproquement…

Seul Jean-Pierre Djaïwé , le patron du groupe UNI (le parti Palika et ses copains) au Congrès a « salué le travail des deux parlementaires […] et souligne la proposition de souveraineté partagée qui rejoint ce que souhaite le Palika : une indépendance avec un partenariat avec la France ». C’est une interprétation très optimiste, mais personne dans la presse ne la souligné ; et l’on ne connaît pas une éventuelle réaction de Larcher.

À l'inverse, seul (à notre connaissance) le loyaliste radical Gil Brial a montré un peu les dents contre Larcher, cependant avec délicatesse mais fermeté, dans une interview de la télé Caledonia au JT du 12 novembre – nous n’avons pas trouvé dans la presse d’autres évocations de cette réaction –  où il annonce (en gros) : « Il ne faut pas d’ambigüités, et les ambigüités, se font souvent au détriment des non-indépendantistes ; et pour nous, la souveraineté partagée ce n’est pas l’État associé ; et on ne veut pas de la lecture dite indépendantiste qui nous amènerait vers un État associé où ne serions plus français  » (ce que Larcher s’est pourtant bien gardé d’évoquer ; mais le petit doigt de Brial l’a peut être aidé…).

Le troisième jour nous semble moins riche en petites phrases. 

Dés 7h30, ils ont constaté les dégâts des émeutes, à Kenu in à Dumbéa où le centre commercial a été détruit, et discuté avec « le monde économique » comme  l’écrit un journaliste (bref : les dirigeants d’entreprises et leurs  représentants) ; changement de monde, ils ont  ensuite visité le centre pénitentiaire du Camp Est avant de déjeuner, encore un changement de monde, avec (six mois, jour pour jour, après le 13 mai) le comité « Parole, mémoires, vérité et réconciliation », fort sympathique regroupement de personnalités qui tentent ce qu’indique leur appellation (aucune parole ni vérité ni photo n’est sortie de ce déjeuner…) ; puis réunion (à la Maison des syndicats, à la Vallée du Tir) avec les syndicats de salariés et un petit discours très ferme (mais hors réunion) du secrétaire générale de l’USOENC (l’Union des syndicats ouvriers et employés de Nouvelle-Calédonie) Jean-Marc Burette ; enfin réunion avec les maires de Nouvelle-Calédonie. En fin d’après-midi, une nouvelle séance de travail est prévue au Congrès avant l’interview des deux éminents Parlementaires juste avant le JT sur la télé Calédonie la première.

On peut la suivre sur :

https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/programme-video/

Ça commence par l’économique, les destructions dues aux émeutes et, surtout, la « détresse », le mot fut utilisé à l’envi. Larcher évoque bien la « responsabilité de l’État » mais sans s’y appesantir insistant plutôt sur « la confiance ». Il n’a donc pas repris la litanie du parti Calédonie ensemble qui a toujours clairement insisté sur les manquements évidents d’efficacité des forces de l’ordre. 

L’une des trois journalistes qui menait le débat, Élizabeth Nouar de la radio RRB, Radio Rythme Bleu (nettement loyaliste radicale, répétons-le) a interrogé les deux parlementaires sur ce qu’ils pensaient du déferlement de violence et du racisme – anti-Blancs, bien sûr, mais elle n’a évidemment pas précisé. Pas de réaction immédiate ; cependant, plus tard, Larcher a rebondi en évoquant les caractères « ethniques ou raciaux » des émeutes. Nouar les a interrogés également sur la réconciliation qui lui paraît impossible et sur ceux qui n’ont pas condamné ces violences et même qui les auraient commanditées ; la question fut élégamment éludée.

Banalités sur les réponses de l’État en matière d’aide financière ; mais ils soutiennent les amendements proposés au Sénat par tous les élus calédoniens, et assurent que les assureurs devront payer (ils trainent un peu ou beaucoup) avec un joli lapsus de Braun-Pivet sur le versement des « primes »… plutôt que des indemnités. Sauver la filière nickel : encore une bonne question de Nouar… et réponse évasive de Larcher ; mais nos deux parlementaires arrivent en passant (l’avaient-ils oublié) à développer le thème Vive les forces de l’ordre. Quant au PS2R, autre question, la réponse est également évasive ; il y a une forte autonomie sur le Caillou, donc son gouvernement propose des réformes, surtout en matière de politique sociale, oubliant de mentionner que ces réformes sont néolibérales et soufflées, répétons-le par l’État.

Nouar la ramène encore, astucieusement, sur la « souveraineté partagée » évoquée par Larcher. On pouvait s’attendre à des éclaircissements, enfin, de Larcher ; pas vraiment : il botte en touche déclarant préférer l’approche pragmatique à l’approche idéologique, et est défendue par Braun-Pivet qui indique que « des noms peuvent parfois enfermer ». Larcher rappelle toutefois que cette souveraineté partagée était « dans la République ».

C’est fini, ils auraient bien continué, mais le JT devait prendre le relais… Remarquons que seule Élizabeth Nouar a posé les bonnes questions ! Mon impression est encore celle d’avoir assisté pendant trois jours, et pendant cette dernière demi-heure, à un autre coup d’épée dans l’eau : à voir cependant que va devenir la « solution innovante » proposée, une « réponse originale et pérenne ».  

Que retenir de cette visite dont tout le monde attendait beaucoup ? Surtout des banalités donc, du type il fait plus chaud que s’il faisait moins chaud, ou l’inverse ! Je suis sévère, certes, mais l’avenir du Caillou mérite mieux.  Il ne surnagera que les petits pas, surtout ceux de Larcher, vers une souveraineté partagée, mais, insistons, dans la République. Ça ne va pas plus loin que ce que réclame depuis longtemps le parti loyaliste centriste Calédonie ensemble. Le journal Le Figaro réagit le 14 novembre : « Six mois après les violentes émeutes, les représentants des deux Chambres du Parlement ont exhorté les forces politiques locales à conjuguer "les valeurs kanakes et républicaines", sans pour autant dégager de véritable perspective institutionnelle pour les prochains mois »? Je souscris à cette dernière phrase : les "percées" annoncées dans le titre de ce billet ne sont que piqûres de moustiques...

On attend les réactions politiques de la presse française ; la question de la souveraineté partagée fera sans doute le buzz ; elle le fait déjà sur RRB dans l’émission L’invité du matin du 14 novembre... 

La majeure partie des Kanak et quelques autres espèrent plus, et je les comprends : l’indépendance-association, plus exactement la pleine souveraineté avec partenariat privilégié avec la France.

Mais allez savoir… Petit à petit, ce petit oiseau encore dans l’œuf ou poussin dans son petit nid va-t-il se transformer en Cagou-Aigle volant de ses propres ailes ! Il est vrai que le Cagou huppé, emblématique du Caillou, tête de coq aux cheveux longs (des plumes, bien sûr, déployées quelquefois comme celles d’un paon, mais sur la tête, pas sur la queue) cependant sans la crête de notre emblème gaulois ; il ne vole pas mais aboie comme un chien. Il est de plus en plus rare et en danger d’extinction. Il ne sait se défendre que contre ses congénères, chaque famille de Cagou protégeant son propre territoire, mais pas contre les chiens, chats, cerfs et autres cochons importés avec la colonisation.

Illustration 1

Voir la vidéo sur :

https://www.facebook.com/watch/?v=591848355515550

Voir aussi La légende du Cagou, roi des oiseaux, sur Association Présence Kanak – Maxha

https://presencekanak.com/2020/05/12/le-cagou/

N’allez surtout pas chercher le moindre rapport de cette histoire de Cagou avec la politique sur le Caillou depuis 1853.

+++

Deux post-scriptum du 17 novembre.

Le premier concerne un article de Benoît Trépied, du 12 novembre, analysant la visite de Braun-Pivet et Larcher sur le site du journal L’Humanité : Kanaky-Nouvelle-Calédonie : six mois après les révoltes, le dialogue dégèle peu à peu, ; voir :

https://www.humanite.fr/monde/colonialisme/kanaky-nouvelle-caledonie-six-mois-apres-les-revoltes-le-dialogue-degele-peu-a-peu

L’article commence fort : « Les pyromanes sont restés en France et les pompiers ont débarqué ». Est évoquée bien sûr la sortie de Larcher : « Ce mardi, Gérard Larcher a parlé devant le Congrès d’une "souveraineté partagée". Une première. C’est d’ailleurs le projet porté par l’ensemble du FLNKS, malgré quelques divergences ». C’est en fait plus compliqué… Est évoquée aussi la question du caractère de la révolte du 13 mai : « Certains dénoncent des émeutiers, d’autres parlent d’insurgés en lutte, ce qui évidemment n’a pas la même signification politique. […] L’étincelle est donc politique, mais si le feu a pris avec une ampleur qui a sidéré tout le monde, c’est parce qu’il s’est aussi nourri d’inégalités sociales massives et de discriminations raciales persistantes qui s’inscrivent, pour les Kanak, dans la continuité d’une longue histoire coloniale de marginalisation et d’aliénation ». Remarque très pertinente ! Et Trépied ajoute, évoquant la thèse du complot des loyalistes radicaux, sans parler de la prétendue déstabilisation de l’Azerbaïdjan : « Je ne sais pas ce qui s’est passé concrètement, mais il me semble que l’embrasement de Nouméa peut tout à fait être expliqué sociologiquement sans avoir recours à l’hypothèse du complot politique – comme les violences urbaines de 2005 ou de 2023 en France, toutes proportions gardées ».

Trépied me semble cependant bien optimiste, même un doux rêveur, quand il écrit : « Par contre, beaucoup de caldoches de "brousse" et en particulier en province Nord, anciennement loyalistes, se sont rapprochés des indépendantistes kanak avec qui ils construisent et vivent jour après jour le fameux "destin commun". Contrairement aux Nouméens, eux ont compris que la présence kanak est incontournable dans ce pays, que la revendication d’indépendance des Kanak ne disparaîtra jamais, et qu’ils ont donc tout intérêt à trouver avec eux un compromis et une forme de souveraineté acceptable pour tous ». Ce n’est pas complètement faux, mais il ne faut pas croire à une généralisation de cette tendance qui me semble aujourd’hui très marginale.

De même, sa conclusion me semble bien optimiste quant à un changement radical de politique de la part de l’État ; il n’est pas impossible, probable mais pas certain ! Il écrit en effet : « Après une telle irruption politique de la jeunesse kanak depuis mai 2024, je ne vois pas comment un nouvel accord pourrait être décroché sans prévoir pour de bon une forme d’indépendance. [Je souligne, PC] Après 1988 [Accords de Matignon-Oudinot, PC] et 1998 [Accord de Nouméa], difficile d’imaginer un autre compromis acceptable, côté kanak, sans un recouvrement assuré de souveraineté à terme. Mais, à ce stade, rien n’indique que les leaders loyalistes de Nouméa auront en la matière la clairvoyance dont font preuve, par exemple, de nombreux caldoches du Nord à ce sujet. [Voir plus haut, PC] Au contraire, ils semblent être dans une inquiétante logique jusqu’au-boutiste, qui n’est pas sans rappeler l’attitude des Français d’Algérie dans les années 1950-1960, ou celle des afrikaners partisans de l’apartheid en Afrique du Sud. Il y a pourtant une voie de compromis qui émerge depuis un certain nombre d’années, et qui permettrait que la Nouvelle-Calédonie ne devienne pas une nouvelle petite Algérie française : c’est l’indépendance en partenariat. Il faudrait pouvoir enfin en discuter posément et concrètement. Cela dit, on constate désormais un changement de méthode et de ton notable au sommet de l’État, qu’il s’agisse du Premier ministre Michel Barnier, du ministre des Outremer François-Noël Buffet, ou des présidents des Assemblées actuellement en mission sur place, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet. C’est plutôt encourageant pour la suite ».

Encourageant certes, mais pas gagné ; et après avoir évoqué la possibilité d’une fin tragique comme en Algérie...

Le second post-scriptum confirme que ce n’est pas gagné. On attendait avec impatience ce que le congrès du Palika du week-end du 11 novembre allait décider. C’est fait ; voir :

https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/politique/apres-l-upm-le-palika-prend-egalement-ses-distances-avec-le-flnks

On apprend enfin, le vendredi 15 novembre, qu’« Après l’UPM, le Palika prend également ses distances avec le FLNKS ». Il en sort ou il n’en sort pas ? : « Il prend ses distances » ; il se met « en retrait du fonctionnement actuel du FLNKS » (mais, donc, peut-être pas d’un "fonctionnement futur"). Et il insiste sur sa stratégie d’indépendance avec partenariat, critiquant en creux, sans le dire, celle de l’Union calédonienne et de ses alliés qui préfèrent de plus en plus la pleine souveraineté tout court.

Plus étonnant est le soutien apporté au PS2R, le Plan de Sauvegarde, de Reconstruction et de Refondation, plan néolibéral du gouvernement collégial soutenu par son président Louis Mapou (du Palika…) Plan que j’ai vertement critiqué dans un précédent billet. L’article du journal LNC écrit en effet, rapportant le porte-parole du Palika : « Un programme de réformes qui pourrait aboutir à "un partage des compétences régaliennes" et à la définition d’un "nouveau contrat social proposé aux Calédoniens" […] En posant les bases d’un nouveau modèle de société, le plan S2R est perçu, dans les rangs du Palika, comme le moyen parfait de préparer l’accession à la pleine souveraineté en partenariat ». Une Kanaky néolibérale, en faisant sauter le S de FLNKS ?  où les Kanak prendrainet simplment le volant de la bagnole (seuls mes lecteurs assidus comprendront la vanne...).

Je continue à ne rien comprendre au virage que le Palika prend depuis un moment. La ligne « révolutionnaire marxiste-léniniste » de Paul Néaoutyine (qui ne s’exprime plus guère) est-elle jetée aux oubliettes par une nouvelle garde plus réformiste ? Ou s’agit-il simplement d’un opportunisme général du Palika encore unifié pour soutenir le pauvre Mapou ? Ou les deux en même temps

Notes

[1] Les habitués de ces billets n’ont plus besoin de la traduction de ces sigles et acronymes ; les autres pourront faire un coup de surf sur Internet.

[2] Voir :

https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/larcher-et-braun-pivet-en-nouvelle-caledonie-le-senat-coutumier-aura-t-il-une-place-dans-les-discussions-sur-l-avenir-1535716.html

[3] Voir (Larcher en a la larme à l’œil) :

https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/province-nord/kone/braun-pivet-et-larcher-en-caledonie-operation-seduction-en-province-nord-1535932.html

[4] Voir par exemple :

https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/yael-braun-pivet-et-gerard-larcher-en-nouvelle-caledonie-l-attachement-indefectible-au-destin-commun-affichee-au-congres-1535920.html

[5] Voir nos précédents billets où ce Plan est habillé pour l’hiver…

[6] C’est presque mot pour mot la déclaration finale de cette table ronde !

En juin 1982, les centristes de la Fédération pour une nouvelle société calédonienne (FNSC) où le chef de file est Jean-Pierre Taïeb Aïfa, conseillé par le très jeune Louis-José Barbançon) s’allient au Front indépendantiste (le pas encore FLNKS qui ne sera fondé qu’en 1984) et renversent, après y avoir participé, le gouvernement de Dick Ukeiwé, très soutenu par l’antiindépendantiste fort radical Jacques Lafleur du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR). C’est le premier gouvernement Tjibaou (légal, celui-ci, et non le suivant semi-clandestin commencé fin 1984 où sera levé pour la première fois le « Drapeau Kanaky »).

La période est déjà très tendue ; dans ce contexte, en mai 1983, après l’élection de François Mitterrand qui fit miroiter une éventuelle indépendance, le secrétaire d’État à l’Outre-mer Georges Lemoine alors en visite en Nouvelle-Calédonie, propose de tenir une table ronde pour faire « le bilan des espérances et des propositions de chacun […] pour aboutir à un nouveau statut de large autonomie interne ». Elle a lieu début juillet, au château de Nainville-Les-Roches, près de Paris. Dans la déclaration finale (non signée par Lafleur qui était cependant présent à la table ronde) est reconnu le fait colonial et la légitimité kanak, mais aussi celle des autres ethnies désignées comme autres « victimes de l’histoire, issues de la colonisation pénale, de la colonisation minière ».

[7] Voir, Buffet sur le « Caillou » : la solution de l’"État associé" sera-t-elle évoquée ? sous-titré, Faute de véritable indépendance-association, on en parle beaucoup, mais à demi-mot. Il n’y a pas qu’ « Indépendance, point » versus « Calédonie française » ; l’"État associé" serait la solution mi-figue mi-raisin (entre « pleine souveraineté avec partenariat » et « autonomie étendue »). Ou traduction en vocabulaire politiquement plus correct : protectorat de l’époque coloniale ? Tout est là… :

https://blogs.mediapart.fr/patrick-castex/blog/161024/buffet-sur-le-caillou-la-solution-de-l-etat-associe-sera-t-elle-evoquee

[8] Voir nos précédents billets.

[9] Idem.

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