Notons que beaucoup plus d’un tiers des Européens ont pris l’avion depuis 2014, pour se tirer du Caillou (sorties du territoire) mais une bonne partie est revenue (entrées sur le territoire) : il s’agit du solde migratoire net, maintenant négatif. Par exemple et selon l’ISEE.nc, l’Institut de la Statistique et des Études Économiques de la Nouvelle-Calédonie (l’INSEE locale…) du recensement de 2014 à celui de 2019, 27 600 personnes avaient quitté l’archipel, soit un habitant sur dix (les trois-quarts des départs concernant des Métros ou Zoreils) 17 300 étaient arrivées.
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Mais un mouvement probablement équivalent ou pire s’est produit de 2019 à 2026… Le suspense aurait été insoutenable si le titre de ce billet ne l’avait pas dévoilé ! Pour ceux qui n’auraient pas compris le sous-titre de ce billet, le remplacement s’effectue en Calédonie en verlan (à l’envers, pour ceux qui auraient oublié ce langage...) : pas de submersion par immigration mais par fuite des Européens.
La « théorie »[1] du « Grand remplacement » fut introduite en France en 2010 par l’écrivain français Renaud Camus et surtout médiatisée par Éric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan du petit parti Debout la France ; Marine Le Pen la jugeant complotiste…
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Je reprends ici, en le complétant avec une estimation de 2026 (sans grande importance, juste pour le fun…) mon billet du 1er août 2025, titré Plus d’1/3 des Européens du "Caillou" l’ont quitté depuis 2014 ; ça fait du monde… et sous-titré … et surtout des Zoreils, pour "aller revoir leur Normandie" ? Et l’insurrection de Mai 2024, arrivée en fin de parcours n’a que joué le rôle d’accélérateur. J’annonçai d’ailleurs ce "coup de tonnerre" il y aura bientôt 3 ans, grâce évidemment à l’ISEE.nc qui vient simplement de le confirmer si on le lit bien ; mais avec encore la même discrétion de violette si on ne lit pas les "non-dits"…
Citons quelques longues phrases-clés de ce billet ainsi que quelques éléments éclairant celui d’aujourd’hui : « l’exode des Européens, 1/3 de la population de 2014 » ; l’analyse de l’ISEE n’indiquait « rien sur qui se fait la malle ! L’art du Pays du Non-Dit de Louis-José Barbançon » ; « Est noté néanmoins pour la période 2019-2025, un "solde naturel" positif (+ 11 000) […] Par ailleurs, la différence entre les départs du Caillou et la venue de nouveaux arrivants est au contraire négative (- 18 000) » ; « Le second article, où intervient le chef de mission du recensement calédonien, Jean-Philippe Grouthier (de l’INSEE, nationale) se contente d’observer "Que la population baisse, c’était à peu près certain". Toutefois, qui est parti n’est encore pas dit ; sauf que tout le monde le comprendra (au Pays du non-dit...) : "Je pense que s’il y a une petite surprise pour certains, c’est : ‘On aurait cru que la population avait plus diminué’. C’est l’effet ‘grossissant’ que peuvent avoir les réseaux sociaux, ou des discours tels que ‘tout le monde est parti’, ou ‘avec le Covid tout le monde est mort’. Il faut s’en méfier et la statistique est là pour remettre l’église au milieu du village" » ; « Aucun article du 29 juillet ne dit mot de qui est parti ! Mais on peut le deviner quand est évoquée la forte baisse de la population de Nouméa (- 10 % depuis 2014 !) » ; « Entre 2014 et 2019, 27 600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l’archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie … Inversement, 17 300 personnes qui ne vivaient pas sur le Caillou en 2014 sont arrivées depuis... Le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, soit 2 000 départs nets par an » ; « Le résultat est frappant ; on comprend mieux pourquoi l’ISEE ne s’y est pas hasardé : c’est politiquement très gênant compte tenu du blocage actuel des négociations sur l’avenir institutionnel… ».
C’est une redite, mais combien importante !
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Comme souvent dans nos analyses, le sujet sera surtout éclairé par quelques graphiques.
La mise en perspective est utile : ne gardons pas le nez dans le guidon ! Surtout pour ce qui concerne la répartition de la population par ethnie en se polarisant sur les rapports entre Kanak et Européens : si les deux populations principales s’accroissaient parallèlement de 1956 à 1976, quand l’économie était en boom, celle des Européens stagnait ensuite pendant la quasi guerre civile jusqu’en 1989, rebondissant cependant un peu jusqu’en 2014 et décrochait nettement en 2019. Pendant ce temps, la population kanak suivait son petit bonhomme de chemin… Celle des autres ethnies (Wallisiens-Futuniens et autres Océaniens et Asiatiques augmentait plus modérément, quand celle des métis (environ 11 % de la population déclarés – c’est probablement beaucoup plus) et de ceux qui refusent de déclarer leur ethnie d’appartenance (se déclarant Calédonien ou refusant de répondre) explosait à partir de 1996 !
Ce qui suit est fondé sur les évaluations de l’ISEE.
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Ainsi, en déduire des pourcentages (souvent donnés, sans doute pour ne pas effrayer, par exemple et répétés à l’envi : 41 % de Kanak et 24 % d’européens, dernières données officielles de 2019) n’a ni queue ni tête ! Je propose donc depuis de lustres, et la présente aussi ci-dessous, une solution un peu ou beaucoup pifométrique… Les Kanak étaient ainsi, avec cette analyse, proche de 50 % en 2014 (49 %...) et seraient nettement plus en 2025 et 2026.
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Les variations de population par ethnie entre chaque recensement sont plus parlantes, évidemment singulièrement en pourcentage ; rappelons que l’évolution de la population est due à deux facteurs : l’accroissement naturel ; le solde migratoire net (entrées moins sorties). Et là, miracle, que l’on raisonne en données hors « refuseniks » ou après répartition de ces derniers, les résultats sont proches.
Rappelons que, selon l’ISEE (voir la copie de l’un de ses tableaux, billet précédent) le solde migratoire net était de plus de 28 000 de 2014 à 2025 (plus d’un calédonien sur 10 envolé) dont plus de 10 000 de 2014 à 2019, mais avec, voir plus haut, 27 600 sorties, près de trois fois plus que le solde migratoire net, et 18 000 de solde migratoire net de 2019 à 2025, sans préciser les entrées et sorties !
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Bref, il y a bien autour d’un tiers de Européens qui ont quitté le navire de 2014 à 2026 ; je n’ose pas (comme la secrétaire Sophie Binet de la CGT, parler d’un certain type de rongeurs…).
Je propose depuis des lustres une approche, et la présente aussi ci-dessous, un peu ou beaucoup pifométrique… Les Kanak étaient ainsi, avec cette analyse, proche de 50 % en 2014 (49 %...) et seraient un peu plus en 2025 et 2026.
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Conclusion
L’importation massive de « Blancs » (et moins blancs des autres colonies françaises…) souhaitée par Pierre Mesmer, alors Premier ministre en 1972 (voir l’article de Xavier Ternisien dans le quotidien Le Monde du 20 avril 2008 : Nouvelle-Calédonie : le rêve de Pierre Messmer) fut donc un échec, car le grand boom du nickel des années soixante qui avait dopé l’immigration européenne allait disparaitre.
On l’a déjà noté moult fois : piqûre de rappel.
https://histoirecoloniale.net/nouvelle-caledonie-le-reve-de/
« En 1970, Roger Laroque, maire de Nouméa, déclare : "Il faut faire du Blanc". En juillet 1972, dans une lettre adressée à son secrétaire d’État aux DOM-TOM, le Premier ministre, Pierre Messmer, écrit : "La présence française en Calédonie ne peut être menacée sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique. À court et à moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’Outre-mer, [...] devrait permettre d’éviter ce danger, en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés". Ce scénario n’est-il pas en voie de réalisation dans un pays que l’on pensait engagé dans un processus de décolonisation ? ».
Xavier Ternisien n’avait pas tort : à l’époque, un nouveau boom économique apparaissait, mais bref : jusqu’en 2011[2]) !
« Il est une terre de France où le chômage n’existe pas, où la croissance est de 6 % par an. Les journaux y débordent de petites annonces d’emplois. Les impôts sont bas, les traitements des fonctionnaires quasiment multipliés par deux, les tracasseries administratives inexistantes. Le soleil y brille toute l’année, la mer est bleu turquoise, la nature luxuriante. Ce paradis est à 20 000 km et vingt heures d’avion de Paris. C’est la Nouvelle-Calédonie. […] On imagine le bouleversement démographique que provoque ce flot constant de nouveaux arrivants dans un pays de 250 000 habitants ».
La suite de l’article est lyrique mais correspond à cette réalité que j’avais commencée à vivre au début des années 2010 ; l’article continue donc : « À Nouméa, cet afflux de Français de métropole fait flamber les prix de l’immobilier. En bord de mer, l’Anse Vata et la baie des Citrons se donnent des allures de petit Nice. Des retraités bronzés font du vélo, des militaires courent leur jogging, les jeunes au look de surfeurs traînent leur ennui à l’ombre des cocotiers. Pas un Kanak à l’horizon. La richesse s’affiche sur la route qui longe la plage : 4 × 4, pick-up "double cabine" et, le nec plus ultra, Porsche Cayenne, dont il se vend un exemplaire par mois à Nouméa ».
Les Kanak osent maintenant, soit en famille le week-end, soit même en manifs politiques, se montrer dans ces deux lieux-symboles de Nouméa la Blanche que sont l’Anse Vata et la baie des Citrons.
Et Ternisien (qui ne connaissait pas cette expression qui allait sortir la même année) évoque ainsi ce grand remplacement des Kanak par l’immigration des Européens ! « Le problème est aussi politique. Le dernier recensement disponible prenant en compte les données ethniques, celui de 1996, donnait 44 % de Kanaks dans la population. Aujourd’hui, cette part est sans doute plus faible. Les Mélanésiens craignent de subir le sort des Aborigènes en Australie. Le premier boom du nickel, dans les années 1970, [Plutôt à la fin des années soixante jusqu’au début des années soixante-dix ; ensuite c’est la crise mondiale qui a rudement touché le Caillou, PC] avait provoqué l’afflux de milliers de métropolitains et de Wallisiens, contribuant à affaiblir l’influence des Kanaks ».
Erreur ! Les courbes s’inversaient donc, on vient de le montrer, dès 1983 ; mais il est vrai que le recensement de 1996 mentionnait une érosion relative de la population kanak (voir par exemple notre dernier graphique). Elle fut éphémère.
Il terminait son article par : « Pour Mathias Chauchat, cette immigration n’est ni plus ni moins qu’une "colonisation de peuplement" » ; Chauchat (que nos lecteurs habituels connaissent bien) étant un universitaire zoreil, professeur de droit public et fort impliqué avec les indépendantistes.
Les temps ont changé juste après : le vrai grand remplacement actuel.
Au fait, après deux mois sur le Caillou, je vais partir revoir ma Picardie. C’est donc le dernier billet de l’année ici, et peut-être le dernier sur cette Kanaky Nouvelle-Calédonie dont je défends l’indépendance-association depuis une quinzaine d’années, mais dont la majorité des mouvements politiques me fout de plus en plus les boules…
Je ne l’ai pas fait exprès, sauf peut-être inconsciemment, ce dernier billet parle « des gens » (comme disait Mélenchon ; mais il a depuis abandonné ce mantra) et non directement de politique ; mais il est évidemment au cœur même de l’avenir institutionnel du Caillou !
Je vous donne mon dernier exemple, au moins de l’année, en revenant pour finir au mélange du politique et de l’économique : LNC nous rapportait, le 13 décembre, l’une des dernières sorties de l’inénarrable Metzdorf. Complètement hors sujet !
Le tribunal administratif a condamné, le 11 décembre, l’État à rembourser (partiellement) un assureur, le jugeant responsable de ses carences en termes de maintien de l’ordre et de n’avoir pas mis en place « un niveau raisonnable de sécurité » et ne pas avoir tiré les conséquences « des alertes et des demandes formulées par le haut-commissaire de la République de la République et de la multiplicité des signaux significatifs et convergents témoignant de la forte probabilité d’une insurrection à venir ».
Voilà qui est dit… Et le Medef local en rajoutait quand sa présidente Mimsy Daly notait : « Ce jugement va leur servir de base pour obtenir une réparation, [soulignant] la reconnaissance symbolique de la carence de l’État, que les entreprises attendaient. Cet arrêt du tribunal administratif crée une base très solide pour des recours en indemnisation sur la base de l’assurance mais également sur la partie non assurée, voire même sur la dépréciation des actifs durant la crise ».
L'État dispose cependant de trois mois pour faire appel de cette décision…
« Selon Nicolas Metzdorf : "entre la radicalisation des indépendantistes et la carence de l’État, les seuls qui sont exempts de tout reproche sont les non-indépendantistes". […] Un jugement, que le député Nicolas Metzdorf, sans le remettre en cause, tient "immédiatement" à nuancer, exhortant la population "à ne pas se tromper de responsables" dans la crise insurrectionnelle. […] "Si la Nouvelle-Calédonie est détruite aujourd’hui, ce n’est pas à cause de l’État, mais à cause de la CCAT et de trente années de radicalisation indépendantiste. L’État n’est pas l’incendiaire. Les seuls responsables du chaos, ceux qui ont pillé et brûlé, sont les émeutiers qui ont lobotomisé une partie de la jeunesse" ».
Mais Metzdorf, très malin, profite « de ce jugement du tribunal administratif, qui atteste des failles de l’État en matière de sécurité, pour interpeller Bercy, afin que l’Hexagone arrête de verser des aides au Caillou sous la forme d’emprunt, au vu de sa responsabilité avérée par la justice. Une demande qui se fait de plus en plus pressante dans les rangs des responsables politiques calédoniens, à commencer par le gouvernement d’Alcide Ponga ».
Si l’État était aussi malin, il pourrait arguer, grâce à Metzdorf, que les principaux responsables sont ceux de la CCAT, pas l’État ! À malin, peut-être malin et demi…
Notes
[1] « … fondée davantage sur des impressions que sur des données démographiques réelles, biaisée par une défiance de nature xénophobe et raciste, écrit Wikipédia, qui affirme qu’il existerait en France un processus de substitution de la population française et européenne par une population non européenne, originaire en premier lieu d’Afrique subsaharienne et du Maghreb. Ce processus conduirait à un changement de civilisation soutenu, voire organisé, par une élite politique, intellectuelle et médiatique qualifiée de "remplaciste", qui maintiendrait à ce sujet une conspiration du silence et serait motivée pour ce faire par idéologie ou par intérêt économique ».
Renaud Camus fut presque gaucho en 1968 et fut une figure de la cause homosexuelle dans les années 1970 et membre du Parti socialiste dans les années 1970-1980, proche du souverainiste de gauche Jean-Pierre Chevènement du Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (CERES) : il est maintenant penseur d’extrême-droite mais aussi militant au parti Souveraineté, identité et libertés (SIEL) un parti politique souverainiste ayant fricoté avec le FN.
Toute cette érudition provient donc de Wikipédia qui note dans son article le concernant : « C’est dans L’Abécédaire de l’innocence que Renaud Camus mentionne, en 2010, la thèse complotiste d’extrême-droite du grand remplacement, avant de la détailler dans Le Changement de peuple, paru en 2013 ».
[2] Voir notre billet tout récent du 11 décembre 2025 titré Finances publiques du "Caillou" et ses "Prélèvements obligatoires", les "PO", en 2024 et sous-titré La dernière analyse de la CTC, la Chambre territoriale des comptes locale, mérite mieux que les commentaires souvent apocalyptiques donnés par la presse locale. La crise actuelle (qui rampe depuis au moins 2012, après un boom qui cachait tout) n’est pas que la conséquence de l’insurrection de 2024, elle est "structurelle" : l’absence de redistribution suffisante pour lutter contre les inégalités !