Au championnat des contre-vérités[1], ce nouveau député macroniste du Caillou, élu en 2022, serait hors concours. C’est un farouche anti-indépendantiste, un ex-jeune loup du parti centriste local de Philippe Gomès (Calédonie ensemble, CE) parti peu après de ce parti pour voler de ses propres ailes[2].
Peut mieux faire en économie…
Metzdorf est ingénieur agronome, donc un peu économiste quand-même ; en tant que député il doit être un peu au courant de l’évolution démographique[3]. Comment peut-il alors affirmer que le PIB par habitant diminue de 2 % par an depuis cinq ans (de 2018 à 2023) ! N’a-t-il pas eu connaissance des évaluations du PIB pour 2022 par l’ISEE (l’INSEE local, sans le N de national) ? Le PIB par habitant n’a baissé en valeur qu’en 2020 : il aura augmenté en moyenne (voir graphique suivant) sur cinq ans[4] de près de 2,8 % par an ! Peut-être confond-il avec le taux de croissance annuel réel du PIB en volume, certes fluctuant chaque année autour de - 2 % de 2019 à 2021, mais seulement sur cette période ? Car, avec le rebond de 2022 et le plus faible rebond estimé pour 2023, on obtient sur cinq ans une croissance zéro, soit, si l’on admet la chute de la population annoncée par Metzdorf (- 10 % sur cinq ans) pas loin de + 2 % par an !

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Dans le grand bain de la démographie…
Et où Metzdorf a-t-il été cherché, en plus, cette légende de baisse de la population du Caillou de 10 % en cinq ans, soit plus de 27 milliers (244 milliers en 2023 contre 270 en 2018) ! Peut-être en lisant mal la synthèse de l’ISEE[5] concernant la comparaison des deux recensements de 2014 et 2019 où la migration brute totale (sorties du Territoire) est en effet en cinq ans de plus de 27 000 habitants ? Une très grande majorité d’Européens qui ne sont pas nés sur le Caillou[6], peu ou pas de Wallisiens et Futuniens, quelques Asiatiques et autres résidents.
À moins qu’il ne confonde ces 10 % de fuite avec autre chose ; mais n’allons pas trop vite !
L’ISEE continue d’évaluer la migration externe nette actuelle à partir du modèle tiré de la période 2014-2019 pour les sorties, les entrées étant connues par les arrivées à l’aéroport international de La Tontouta. Ce qui interroge, car rien ne dit que les flux de départ continuent sur le même rythme après 2019 (hypothèse de l’ISEE qui ne semble choquer personne ; même pas certains loyalistes qui pensent que l’Eldorado va recommencer, surtout après les trois référendums).
Cette analyse précise de l’ISEE apparaît dans le tableau suivant ; nous avons en outre estimé, dans ce tableau, l’année 2024 avec la même méthode (à comparer avec le prochain recensement de cette année). Selon l’ISEE, il y aurait toujours autour de 2,8 à 3,2 milliers de départs nets annuels (l’ISEE projetant l’aggravation perçu de 2014 à 2019) accompagnés d’une chute du solde naturel (toujours inférieur, selon l’ISEE, au solde migratoire net) qui se stabiliserait à partir de 2022. Résultat : la population moyenne baisserait en effet en cinq ans de 2018 à 2023, de 1,2 %… mais pas de 10 % !

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L’ISEE est peut-être un peu trop pessimiste…
On peut tenter de corriger le pessimisme éventuel de l’ISEE en considérant que les migrations nettes négatives s’améliorent peut-être à partir de 2020, selon plusieurs scenarii[7]. Les changements qui apparaissent au graphique suivant peuvent impressionner, mais les variations en pourcentage sont infimes.

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Population par ethnie ou « Communauté »… Un peu de politique qui sent le soufre…
Enfin, la répartition de la population par ethnie ferait apparaître selon la méthode de l’ISEE, de 2019 à l’estimation 2024, une évolution considérable de la structure ethnique de la population : les Européens diminueraient encore de 14 % de 2019 à l’estimé 2024, après une chute de plus de 10 % « seulement » de 2014 à 2019[8]. Je me suis donc permis de corriger la méthode de l’ISEE de 2020 à 2024 en étant un brin moins pessimiste sur les soldes migratoires nets. Après moultes hésitations, j’ai choisi un scenario moyen entre le pessimisme de l’ISEE et une vision de retour plus rapide à la course vers l’Eldorado[9].

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En données déclarées, les Kanaks étaient déjà depuis belle lurette en majorité relative (39 % en 2014, loin devant les Européens avec 27 %) ; mais si l’on répartit (ce qui n’est jamais venu à l’idée de l’ISEE, juste pour voir…) ceux qui refusent (et de plus en plus au fil des référendums passés) de préciser leur appartenance ethnique, se déclarant métis ou refusant de répondre, les Kanak atteignaient en 2014 51 % et les Européens 30 %. Selon notre scenario, les Kanak (après répartition des indécis) seraient en 2024 sans aucun doute majoritaires avec 53 % contre 27 % pour les Européens : en gros deux fois plus de Kanak que de « Blancs ». Ce ne sont pas 10 % des Calédoniens qui manquent à l’appel en cinq ans de 2014 à 2019, mais 10 % d’Européens ; et ça risque de recommencer de 2019 à 2024 : malgré notre pessimisme moins sombre que celui de l’ISEE.
Des Blancs ! On entend d’ici les hauts cris accusant cette expression de racisme éhonté. Ce n’est qu’un retour d’ascenseur évoquant la position du Premier ministre du gouvernement français de 1972 dans la fameuse lettre adressée à Xavier Deniau, secrétaire d’État chargé des DOM-TOM. Messmer n’allait pas jusqu’à dire, comme le maire de Nouméa de l’époque, Roger Laroque, qu’il fallait « faire du Blanc » mais le cœur y était : « La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants ... La présence française ne peut être menacée que par une revendication nationaliste de populations autochtones ... À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire … (avec) immigration systématique de femmes et d’enfants ... ».
Et Metzdorf se garde bien de rajouter une louche de politique à cette fuite des Européens surtout Zoreils : les chercheurs d’Eldorado. Si le mouvement continuait pendant encore une génération, il ne resterait plus beaucoup de Blancs…

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Au moment où nous bouclions ce billet, un Zoreil indépendantiste et professeur de droit (bien connu sur le Caillou) Mathias Chauchat[10] (probablement la meilleure bête noire des loyalistes) nous faisait part d’une alerte sur ce qui est considéré comme une « démarche inadmissible de recolonisation de la part de la France » ; c’est fort, nous n’allions pas jusque-là dans notre réquisitoire contre Macron[11]. Mais parfaitement entendable. Surtout que ce point de vue entre en résonnance (en creux) avec les élucubrations de Metzdorf. Pour le texte mis en ligne par Chauchat, la volonté de modification du périmètre du corps électoral n’est ni plus ni moins que du « Messmer 2.0 et nous rappelle un temps où était scandé à Nouméa "qu’il faut faire du blanc" ».
Il rajoute en outre la « volonté de l’État de militariser la Nouvelle-Calédonie ». Il n’a pas tort ; il aurait même pu rappeler les yeux et le mots de Chimène pour Lecornu quand il fut nommé ministre des Armées. Sonia Backès, la Présidente sudiste du Caillou qui venait d’entrer au gouvernement de la République, alla en effet jusqu’à affirmer : « Je tiens à un remerciement particulier à Sébastien Lecornu qui m’a fait confiance à tous les moments : pour l’usine du Sud, pour le référendum, et aujourd’hui en m’accompagnant dans ces nouvelles fonctions. Je sais que là où il est, au Ministère des Armées, il garde un œil tout particulier sur nous ». Est-elle consciente de la portée de cette sortie ? Voulait-elle dire que Le Sabre veille sur les loyalistes .
Conclusion
Sortons de la politique politicienne. Le syndicat de salariés du Caillou, La Fédé s’étrangle contre Metzdorf dans une lettre ouverte envoyée le 25 octobre au Haussaire avec copie à plein d’élus, de responsables, à la presse et à la population[12] : « S’agissant de la démographie cette annonce porterait sur une perte de 27 000 individus … et nous ne serions donc plus que 244 000 habitants si l’on se rapporte aux chiffres du dernier recensement. Monsieur Metzdorf doit sans doute avoir des sources qui nous ont échappé qui lui permettent d’avancer cela avec le sérieux nécessaire à la formulation d’une question au gouvernement dans l’enceinte de l’Assemblée Nationale. Dans ce cas, la situation décrite placerait notre pays dans un chaos cataclysmique. Vingt-sept mille consommateurs, contribuables, contributeurs sociaux en moins serait une catastrophe jamais observée en Nouvelle Calédonie. Cela créerait un état de pauvreté qui provoquerait alors un exode encore plus important ». La Fédé ne croit évidemment pas un mot de ces fadaises...
Et ce syndicat de proposer, avec humour, une autre vision, avec des « indicateurs factuels et non contestables [qui nous] apprennent par exemple que le nombre de salariés déclarés à la CAFAT n’a jamais été aussi élevé ». Elle propose la somme des 262 milliers de bénéficiaires du RUAMM et des 28 milliers des bénéficiaires des aides médicales (cartes « A »), soit plus de 290 milliers : « 7 % de plus que celle recensées en 2019 ! ». Il n’est pas dit qu’on ait là la véritable population actuelle du Caillou (il peut y avoir des doublons) mais on peut penser qu’on s’en approche[13].
On propose de comparer ci-dessous, pour finir sur une note amusante, les deux options, celle de Metzdorf et le clin d’œil de la Fédé ; la courbe centrale nous paraît la plus probable : la population diminue certes, mais pas de 10 % en cinq ans ; sauf (radotons) celle des Européens déçus par l’Eldorado où l’on trouve encore du nickel mais peu d’or.

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[1] Voir :
[2] En mai 2019, il démissionne de CE en accusant les cadors de ce parti d’avoir tenté de monter une alliance avec les indépendantistes pour faire obstacle à l’union loyaliste L’Avenir en confiance dirigée par Sonia Backès.
[3] Sauf s’il ne suit que les conseils d’Olivier Sudrie… Seuls les lecteurs d’un précédent billet sur le Club de Médiapart comprendront…
[4] Les estimations pour 2023 nous sont propres ; celles des années précédentes sont de l’ISEE, mais provisoires.
[5] Voir cette synthèse :
syntheserp2019-pcpx-resultats.pdf (isee.nc)
« Le net fléchissement démographique s’explique par un solde migratoire apparent devenu négatif pour la première fois depuis près de quarante ans. Entre 2014 et 2019, 27 600 personnes qui vivaient en Nouvelle-Calédonie en 2014 ont quitté l’archipel, soit un habitant sur dix. Les trois quarts des départs concernent des personnes qui ne sont pas nées en Nouvelle-Calédonie, les autres correspondant souvent à des étudiants quittant l’archipel. Les départs sont deux fois plus nombreux qu’au cours des cinq années précédentes. Inversement, 17 300 personnes qui ne vivaient pas sur le Caillou en 2014 sont arrivées depuis (elles étaient 22 400 entre 2009 et 2014). Le solde migratoire apparent est déficitaire de 10 300 personnes entre 2014 et 2019, soit 2 000 départs nets par an ».
[6] Voir notre billet précédent sur le Club de Médiapart (du 20 octobre 2022) ; des « non-natifs » comme dit joliment l’ISEE ; bref des Zoreils :
Après la ruée vers l’Eldorado, l’exode des Blancs de Nouméa la Blanche
[7] On a un peu baissé le solde net négatif à partir de 2021 de quelque dixièmes de points par an.
[8] Allez savoir si Metzdorf n’a pas généralisé cette diminution de 10 % des Européens à celle de la population dans son ensemble. Je plaisante, évidemment.
[9] Cela reste évidemment du pifomètre ; on verra ce que ça vaut après le recensement de 2024.
[10] Il vient de publier (le 25 octobre) sur son site Facebook un texte signé de nombreux mouvement indépendantistes (sauf le Palika et l’UNI, de plus en plus en bisbille avec l’Union calédonienne) : Courrier d’alerte internationale relatif à la situation en Kanaky Nouvelle-Calédonie. Le texte est facilement trouvable, avec ses signataires, à :
[11] Encore un peu de pub pour notre billet de blog (sur Le Club de Médiapart) du 26 septembre 2023 : Macron en Calédonie : le retour en juillet 2023 et la persévérance dans l’erreur, sous-titré : Macron a persévéré dans l’erreur en niant que le troisième référendum était politiquement sans légitimité politique
[12] 420 - Courrier au Haussaire - données démographiques.pdf
[13] En 2019, cependant, le nombre des affiliés au RUAMM était (Rapport annuel 2019) de 0,7 % supérieur à celui de 2023 ; on n’a pas trouvé les données de l’aide médicale.