Déjà condamnée en 2008 par le Tribunal de police de Lyon à 1,2 millions d'euros d'amende pour le paiement de salaires inférieurs au SMIC, l'entreprise Carrefour est une nouvelle fois condamnée par le Tribunal de police d'Evry, cette fois-ci à plus de 3,5 millions d'euros d'amende.
L'affaire remonte au début des années 2000 et à la vague d'accords dits RTT (pour réduction du temps de travail) conclus par les branches professionnelles et dans les entreprises sur le fondement des lois dites Aubry. La grande distribution s'organise et en profite pour accomplir un tour de passe-passe ingénieux en intégrant dans l'assiette des salaires le paiement d'une partie du temps de pause (à hauteur de 5 % du temps de travail de chaque salarié), qu'elle présente comme un "avantage conventionnel" (voir mon billet de blog du 28 octobre 2008). Sauf que déduction faite de ces 5 %, les plus bas salaires de la grille passent en-dessous du SMIC...
Saisie au milieu des années 2000 par les syndicats des grandes enseignes, l'inspection du travail se met en branle - sans aucun appui du ministère du travail - et relève des infractions pour non-paiement du SMIC par centaines essentiellement à l'encontre de Auchan (dont le siège est à Villeneuve d'Ascq, dans le Nord) et de Carrefour (dont le siège est à Evry, dans l'Essonne).
Plusieurs parquets sont saisis de ces procès-verbaux. Celui de Lille classe sans suite (et sans aucune justification valable) l'ensemble des procédures qui lui ont été transmises et qui concernent Auchan, ne laissant plus aux syndicats et aux salariés de l'enseigne que l'option de la procédure civile - notamment devant le Conseil de prud'hommes (celui de Lannoy, près de Villeneuve d'Ascq, déboutant plus de 800 d'entre eux au mois de novembre dernier). Celui de Lyon renvoie deux procédures qui concernent Carrefour devant le Tribunal de police, qui condamne l'enseigne à 1,2 millions d'euros d'amende au mois d'octobre 2008.
L'entreprise fait appel. Le 1er juin 2010, la Cour d'appel de Lyon casse le jugement du Tribunal de police. Les syndicats font appel (suivis par le parquet de Lyon) et le 16 février 2011, la Cour de cassation leur donne raison : elle casse à son tour le jugement d'appel (et renvoie l'affaire devant la Cour d'appel de Dijon, qui ne s'est à ce jour pas prononcée), mais elle le casse partiellement : seule l'indemnisation des syndicats, parties civiles, est concernée. Les 1,2 millions d'euros d'amende passent à la trappe (l'entreprise est toutefois condamnée par le Conseil de prud'hommes d'Evry au mois de mars 2011).
C'était sans compter sur les onze procès-verbaux dressés à son encontre par l'inspection du travail sur l'ensemble du territoire national et qui ont été transmis au parquet d'Evry, siège de l'entreprise, qui les a tous envoyés au Tribunal de police. C'est ce tribunal qui a condamné Carrefour ce mardi 14 juin 2011 après-midi pour paiement de salaires inférieurs au SMIC à 1 830 amendes de 2 000 euros chacune, soit plus de 3,6 millions d'euros, trois fois plus que la condamnation dont l'entreprise avait écopé en 2008 !
Le contentieux n'est pourtant pas purgé et il faut s'attendre en la matière à bien d'autres jugements (et appels), civils et pénaux. Le parquet de Lille, celui-là même qui s'était montré particulièrement léger et frileux lorsque l'affaire n'en était qu'à ses débuts, vient d'ailleurs de renvoyer Auchan devant le Tribunal de police de Lille. L'audience est prévue pour le mois d'octobre prochain.