Sans correction, un article paru dans Presse Actualité (Bayard Presse) en novembre 1973 (repris et diffusé ensuite par l'Université de Laval, au Québec).
Rues illuminées, étoiles dans les vitrines, sapins dans les appartements : c'et Noël. Décorations et symboles sont autant de messages qui nous le rappellent. Ce sont autant d'informations.
Aïe ! La plaque était brûlante ! A peine posée sur le fourneau, la main s'est écartée : l'exemple scolaire simpliste de l'acte réflexe. L'exemple aussi d'une circulation d'information permettant l'adaptation à une situation dangereuse.
L'information est partout
Nous sommes loin de « l'information écrite, parlée et télévisée » ? Pas tant que ça. Une mise en perspective des différentes facettes de l'information enrichit étonnamment le concept que nous rattachons au mot. Et celui que nous avons de la communication...
Tendant abusivement à faire de l'information un fait contemporain, l'agressante présence des mass média moderne dissimule souvent cette simple vérité : tout est information et l'information est partout. Elle fait du même coup oublier que, si au cours des cinq derniers siècles, la circulation de l'information a beaucoup évolué, sa nature elle-même est restée immuable depuis les premiers hommes.
L'information a toujours été et reste plus que jamais l'outil numéro un de l'homme. Celui qui permet l'adaptation permanente à l'environnement et aux circonstances. Avec l'étude de la régulation continue par les liaisons information-réaction (les circuits feed-back), la cybernétique nous l'a fait redécouvrir : la vie est à base d'un échange et d'une utilisation incessante d'informations.
C'est vrai lorsque les globules blancs interviennent pour faire face à l'invasion des microbes lors d'une blessure ; c'est vrai dans la conduite automobile qui est une utilisation et une émission permanente de messages. Ceux que fournissent les panneaux routiers et les bandes jaunes, les clignotants et les stops des autres véhicule, les cadrans de contrôle de sa propre voiture... ceux que nous donnons sur nos propres intentions et manœuvres. L'ensemble de ces échanges permet à chacun de s'adapter instantanément, de « faire face ». Sans oublier les prévisions et les déductions que permettent les expériences accumulées sur des milliers de kilomètre.
L'instrument du choix
Multiplier ces exemples permet de les classer en trois catégories qui correspondent à trois niveaux de la fonction information « outil d'adaptation » :
- Le niveau biologique concerne toute vie, dans sa forme la plus élémentaire. Il s'agit pour la plante de découvrir la couche humide du terrain, pour l'animal et l'homme de se diriger vers la nourriture. Les informations viennent de l'extérieur, leur « traitement » du code génétique : c'est l'instinct de vie.
- Le niveau enculturation. Outil de la vie sociale (pour l'animal comme pour l'homme), l'information assure ici l'adaptation aux règles des groupes avec lesquels chacun vit, à l'intérieur desquels il se définit. Prise de possession de la synthèse des expériences des générations passées et constitution de son capital propre, c'est l'initiation, jamais terminée, par le milieu éducationnel et par les expériences vécues ou observées. C'est l'apprentissage par erreurs et corrections. L'outil permet d'appréhender notre environnement hétérogène et d'y faire face par une adaptation complexe. D'abord passif, le rapport avec les émetteurs peut devenir rapidement dialectique : c'est l'originalité de l'aventure humaine, l'apparition de la conscience.
- Le niveau de la conscience. Outil de la vie intellectuelle, l'information permet de définir les termes du choix... ou de les refuser. C'est l'instrument du choix lucide et donc de l'action « libre », à l'opposé de la réaction immédiate et automatique. La situation est analysée, soupesée, le choix s’intègre à un « projet » lui-même décidé. Il ne s'agit plus seulement de s'adapter mais tout autant d'adapter les choses. D'orienter. En définitive, d'un niveau à l'autre, utilisée de façon évidente ou selon un processus mystérieux, l'information reste l'outil qui permet de s'adapter au monde, aux autres... et à soi-même. Pour mieux l'appréhender dans sa forme moderne, qui nous intéresse en priorité, il est utile de rechercher ainsi la fonction de l'information à travers le domaine de référence le plus vaste.
Les fausses hiérarchies
Cette démarche aide à se libérer des idées toutes faites et des classifications trop simples, des fausses hiérarchies dangereuses puisqu'elles masquent des différences essentielles comme celles qui existent entre l'information utile et les « informations diversions » qui sont la drogue de la civilisation de l'éphémère.
De fausses hiérarchies ? Pourquoi l'information internationale est-elle noble et l'information locale secondaire ? Contre-vérité flagrante : en gros, elles ont exactement la même valeur et la même finalité : toujours l'adaptation au milieu. Mais pour un individu donné, il est aussi vital de se situer dans son groupe proche et prégnant (le quartier, la ville, la région) que dans le pays et la planète. De savoir que sa municipalité hésite entre une classe maternelle et une piscine ou que l'ONU débat du développement des sports et de celui de l'enseignement. La fonction est la même. L'information locale peut être des plus nobles et des plus importantes.
De même se rejoignent les informations pratiques, les présentations de faits et les analyses de grands problèmes : il s'agit toujours de s'adapter aux unes et aux autres. De se situer par rapport à la présence d'un homme sur la lune ou à l'évolution de l'emploi.
Prendre connaissance
Dans quelle mesure sommes-nous liés à l'information ? S'informer (lire le journal ou discuter avec un ami), c'est prendre connaissance. Étymologiquement, c'est co-naître, renaître à chaque instant, avec chaque événement concernant : exister. Communiquer donne conscience d'exister.
C'est bien pourquoi, nous portons une aspiration confuse et insatiable à une communication totale qui serait aussi une existence totale, c'est-à-dire sans repère, sans mesure dans l'espace-temps (attention, nous pourrions glisser vers la métaphysique ; n'en sommes-nous pas à la définition d'une communication et d'une existence divines?). Incapables de tout communiquer et de tout recevoir instantanément, ce qui nous fait parler de l'incommunicabilité des êtres, nous y tendons, sans espoir sérieux, en améliorant le langage et les techniques qui nous permettent des échanges fragmentaires, répétés, empilés... mais qui, de toutes façons, souffrent toujours de cet intermédiaire obligé qu'est le langage. Au bout du compte, nous restons chaque fois certains de ne pas avoir tout dit et de ne pas avoir été vraiment compris. De ne pas avoir tout reçu et tout intégré.
Certains modes de communication, pourtant, sont plus complets que d'autres, car ils font simultanément appel à plusieurs langages : la rigueur du mot et la véracité de l'image ou l'expression corporelle en même temps que le climat des couleurs et le témoignage du son.
Mais la communication d'individu à individu est la plus riche de toutes. Non seulement elle fait appel à plusieurs langages, du mot au regard, en passant par le sourire et le silence, mais elle est un échange direct. Or notre civilisation, que l'on commence à dire de la communication, et qui est aussi celle de la solitude et de l'isolement, se caractérise par un appauvrissement de ces échanges directs, victimes de la fonction des média de masse : la distribution à chacun de sa ration d'information.
C'est en réinventant, avec la civilisation électronique(1) les rapports tribaux, que l'homme moderne, qui espère de la société d'abondance la liberté, redécouvre le caractère vital de cette communication. Si la qualité de la vie apparaît de plus en plus comme l'objectif important, sa première condition est la qualité de la communication.
DIRE PLUS
PLUS VITE
À PLUS DE GENS
Au cours des derniers millénaires, l'outil information a constamment évolué, tendant à s'améliorer selon trois axes :
Toujours plus vite (dans la transmission des nouvelles),
toujours plus de public (pour chaque diffusion de message),
toujours plus d'informations émises, de détails données, d'impact recherché.
L'objectif étant d'informer toujours mieux. Objectif atteint ? La qualité de l'information s'est-elle améliorée ?
Plus de temps perdu
L'évolution la plus spectaculaire et la plus remarquable est la compression du temps perdu entre l'émission du message et sa réception. La suppression des « temps morts ». Dans ce domaine, nous sommes presque parvenus à un maximum avec une fulgurante vitesse de déplacement lorsqu'il s'agit d'aller chercher les informations et une quasi-instantanéité pour les transmettre. Du coureur à pied de Marathon, nous sommes passés à la poste à chevaux et aux pigeons voyageurs. Après le tam-tam, les signaux de fumée et le porte-voix, nous avons connu le télégraphe avant la radio et la télévision. La radio conservant toujours l'avantage pour la rapidité de l'information.
L'imprimerie fut, bien sûr, la première grande révolution. Elle seule permettait le développement de la pensée et de la « mise au courant » par la transmission aisée de la connaissance à travers le monde et sa conservation dans le temps. Après les livres et les « occasionnels », l'imprimerie aidée par le développement de la poste donna naissance au journal.
La Gazette de Théophraste Renaudot est apparue en 1631, mais le point de départ de l'information moderne, de l'information de masse, reste, en 1863, le Journal à un sou de Millaud et, dans son prolongement, le Petit Journal, qui atteignait un million d'exemplaires en 1892. C'était les premières atteintes véritables au privilège de l'information.
Comme l'explique Mac Luhan, c'était aussi la transformation de la communication individualisée. Jusqu'à l'imprimerie, les transmissions étaient essentiellement orales. Même les textes reproduits en petits nombres par les copistes étaient d'abord destinés à être lus à haute voix pour une assemblée... obligatoirement limitée à celle que peut couvrir une voix. Rigoureuse, hachée, symétrique, la chose imprimée est au contraire reçue par un destinataire à chaque fois unique, seul. C'était la fin de la communication tribale, qui renaît aujourd'hui aux dimensions de la planète, avec la télévision.
Le déclin des notables
Le Journal à un sou, avec 260 000 exemplaires, fut donc le premier média à grande diffusion. Il annonce le déclin des « notables », ces intermédiaires obligés tenant leur supériorité de l'aisance financière et du capital d'instruction et de relations qui leur assuraient un « supplément d'information ». Pour agir efficacement, il faut « savoir », « être au courant ». Jusqu'à l'apparition des mass media, seuls les notables étaient dans cette situation. Avec la complexité croissante des situations et des problèmes est apparu un autre handicap, autant d'ailleurs pour les notables traditionnels que pour le grand public et à l'avantage des technocrates, eux-mêmes confinés chacun dans une sphère bien précise : c'est là qu'intervient la mission de vulgarisation intelligente des moyens d'information.
L'effet boomerang
Il y a bien des façons de classer les informations qui circulent. Par domaine : politique, économique, social... Par rapport à leur traitement : statistique, qualitative, anecdotique... Les informations se situent aussi en fonction de l'événement. Jusqu'à la radio, il y avait deux informations : avant et après ; l'annonce de l'événement et son compte rendu. Ce qui allait se passer et ce que l'on pouvait prévoir, ce qui avait eu lieu et ce que l'on pouvait conclure. Avec la radio (prolongée par la télévision) et le « direct » est apparue l'information « dans l'événement », et dont on ne peut envisager encore toutes les conséquences.
La plus spectaculaire est l'effet boomerang : le récepteur du message (l'auditeur, le téléspectateur) est au centre de l'événement. Il ne se contente plus d'enregistrer, il peut réagir immédiatement et participer. L'information alors modifie le cours de l'événement dont elle rend compte. On l'a vu en mai 1968. C'est l'un des plus dangereux. Cela suppose de la part du journaliste non seulement de l'honnêteté et de la compétence, mais encore du sang-froid !
Faire mieux
Les mass media essaient tous de faire mieux... C'est-à-dire que chacun essaie d'offrir, en plus de ses performances propres, des caractéristiques qui font son originalité, les atouts des mass media concurrents : le journal, ce produit bizarre, défraîchi à peine sorti de l'imprimerie, comprime ses temps de diffusions... et va jusqu'à « s'imprimer » sur une sorte de belinographe(2) chez le lecteur, apportant ainsi la presque instantanéité en plus des avantages de la chose écrite qui peut se conserver, se relire, avec laquelle on peut « sauter » ce qui n'intéresse pas et fouiller les sujets qui passionnent. L'émission radio se fait minicassette... et même l'émission télé avec le magnétoscope (presque) bon marché. La télévision devient variée et souple en multipliant ses chaînes et, plus intéressant, en empruntant le câble... pour offrir des programmes « à la carte ». Et même donner le droit de réponse avec les circuits à double sens. Enfin, en se miniaturisant, la TV, et plus encore la radio, s'incrustent dans tous les instants de la vie.
En définitive, ces mass media tendent, sans espoir mais avec des trésors d'invention et, malgré tout des résultats étonnants, vers la communication totale, l'instantanéité, non plus de la transmission de l'information, mais dans sa diffusion. A défaut de pouvoir tout dire en un instant, faire passer le maximum de choses dans un minimum de temps. C'est le but de la multivision qui présente au spectateurs plusieurs images simultanément. C'est aussi le but d'inquiétants courts métrages américains réalisés selon une technique neuve pour le gouvernement, sur des grands thèmes comme le totalitarisme ou l'histoire des États-Unis ; ces films ne durent que deux ou trois minutes et font défiler dans ce laps de temps plusieurs milliers d'images fixes. L’œil n'a pas le temps de saisir ces images fugaces qui n'apparaissent chacune que quelques fragments de seconde... mais l'esprit reconnaît les « clichés » qu'il connaît déjà (différents pour chaque individu).Une musique frénétique ponctue la démonstration. Le résultat est saisissant.
La création d'un climat
Les incessantes recherches de mise en page des magazines relèvent de cette poursuite d'une communication plus facile, plus rapide, plus globale,par l'alliance du texte, de la photo, du choix des caractères, de la disposition des masses et des couleurs... En un mot par la création d'un climat.
Omniprésente et tentaculaire, l'information moderne a aussi enfanté la publicité, les relations publiques et les animateurs de groupes. Riche de promesses fabuleuses, elle est dans le même temps grosse de menaces immenses. Mais elle a fait apparaître une notion nouvelle, qui fait pièce au pouvoir d'informer et donne sa valeur à la liberté de le faire : le droit à l'information.
LES MENACES
QUI PÈSENT
SUR L'INFORMATION
Conséquence de l'explosion des mass media : l'information moderne submerge tout, déforme souvent. Elle pourrait demain contrôler.
Sommes-nous conscients de recevoir chaque jour deux mille fois plus d'informations que nos grands-pères n'en recevaient il y a un siècle ? Que l'augmentation de la masse des informations est une courbe exponentielle ? Désirons-nous vraiment cette avalanche ? Somme-nous préparés à y faire face ? Devant ce déferlement, les responsables dont le temps par définition est mesuré, font appel à des spécialistes, à des hommes d'information qui élaguent pour eux et leur préparent une « revue de presse ». Mais que se passe-t-il pour le citoyen moyen ?
Résigné, il tend le dos et laisse glisser l'avalanche. Pire, conditionné, il réclame chaque jour sa ration d'information neuve... Même s'il faut pour cela lui en « fabriquer ». Par contre, il intègre peu l'information. Ce qui s'est passé hier ou il y a un an est souvent oublié au profit du neuf. Vivant dans la civilisation de l'instant, il n'a même plus cette connaissance réelle de l'actuel qui est la culture moderne. Le rôle de sensibilisateur aux problèmes est volontiers reconnu à l'information... Mais cette sur-information aboutit aussi à une insensibilisation du public, à une usure de la capacité de réaction. Ce qui amène les media à une surenchère permanente dans la dramatisation... pour vendre.
Sur-information pour une part apparente : sous bien des aspects, nous sommes des sous-informés. L'accessoire fait plus que dissimuler l'essentiel. Il en détourne. Volontairement ? C'est l'information déviée de sa fonction noble d'outil de l'adaptation active, ramenée au rôle de « jeux du cirque » à grande audience. Ce qui amène Dali à parler de la « crétinisation des masses » !
Un produit commercial
Autre danger, l'information est devenue un produit commercial. A ce titre, on lui demande d'abord de se vendre. Doublement, Presse Actualité l'a souvent expliqué, dans tous les cas (les plus nombreux) où le médium est aussi un support de publicité ; il est vendu au public et aux annonceurs.
Pour se vendre, il doit plaire. A son public, et il est tenté par la démagogie, le conformisme ; à ses annonceurs, qui lui demandent de créer un climat favorable à la consommation, valorisant leurs produits. Qui lui demandent de concrétiser des « modèles » brillants et superficiels.
Sans parler des moyens de pression dont les annonceurs disposent à l'égard des média.
Se mettre à la portée de son public n'est pas blâmable en soi, bien au contraire. A quoi bon dire des choses importantes et intéressantes si l'on n 'est pas reçu ? Le danger est de s'en contenter et de ne plus chercher à se mettre au moins un cran au-dessus des désirs immédiats de son public. De se contenter d'étayer les opinions qu'il a déjà. Il faudrait aussi évoquer l'appel permanent qu'adresse la publicité à l'affectivité plutôt qu'au raisonnement. Habitude très dangereuse : traitée selon la même méthode, l'information devient de la propagande...
Cette remarque nous amène tout naturellement au « grand sujet » de l'information : l'objectivité ! Non, l'information ne peut pas être objective... c'est bien pourquoi l'immense puissance du quatrième pouvoir est inquiétante. Il y a trois étapes dans le travail de l'informateur : la collecte de l'information, sa mise en forme et sa diffusion. Sans aller jusqu'à la falsification, il y a inévitablement déformation par le simple fait qu'il y a « mise en forme ». Il y a choix des sujets présentés et de l'importance qui leur est accordée. La seule notion de référence intelligente est la compétence et l'honnêteté de l'informateur. C'est bien pourquoi la meilleure garantie pour le public est la pluralité des opinions présentées. Or, les concentrations auxquelles conduisent les contraintes économiques multiplient les risques de monopole (mais suscitent dans le même temps des tentatives parallèles : presse underground, télévision locale, etc.). Le droit à l'information ? La liberté de l'information ? Bien entendu ! Mais quelle information ? Faite par qui ? Et pour qui ? Le droit à une information de qualité autant qu'honnête, faite par des journalistes compétents pour un public lucide et exigeant. Mettant l'outil information au service du « consommateur » et non à celui d'un pouvoir politique ou financier. Ce qui suppose de veiller passionnément à ce que l'information ne devienne pas ce qu'elle pourrait être aussi : une arme terrible d'asservissement.
FACE
AUX HYPER-CHOIX
Les hommes des cavernes avaient un besoin vital de connaître les déplacements des troupeaux de mammouths... et de leurs ennemis. Les besoins de l'homme moderne sont plus complexes, l'outil dont il dispose aussi : c'est l'information motrice, qui porte l'accélération de l'histoire. Conséquence des possibilités formidables de la technologie contemporaine, les choix deviennent chaque jour plus difficile à cerner et à faire. Les temps de réflexion plus limités. Il y a complexité et urgence : ce sont les hyper-choix définis par Alvin Toffler dans « le Choc du futur ».
Des hyper-choix dont les conséquences peuvent être incalculables et qui sont le nœud de ce que l'on a appelé « la crise de civilisation ».
L'opinion au pouvoir
Face à ces choix, l'imagination n'est peut-être pas encore au pouvoir, l'opinion, si. Paradoxe ? A peine. Nul ne peut désormais diriger contre l'opinion. Son poids pèse partout de plus en plus lourd, dans les procès (Burgos) comme dans les choix les plus simples. Il n'y a que trois solutions possibles : la suivre, la préparer par une information intelligente, la manœuvrer.
Il y a quelques dizaines d'années encore, les délais de transmission des informations étaient le plus sûr complice du « fait du prince », en rendant aisée la politique du fait accompli. Désormais, l'homme de la rue est informé pratiquement aussi vite, et presque aussi bien pour qui veut chercher l'information, que les grands de ce monde. Surveillés par leurs publics, ces dirigeants doivent donc faire face sans délai à tous les événements importants. Ils doivent tout autant faire face à la « grande fête des idées ». Ces idées neuves qui hier demandaient des années, voire des siècles, pour germer et se répandre et qui font maintenant le tour de la planète en quelques heures. Ces idées qui un jour utopie sont le lendemain alternative. Ces idées qui remettent en cause non seulement les choix mais de plus en plus souvent les termes de ceux-ci ! Pour affronter ce débordement de faits, de chiffres, d'idées, d'analyses et d'enquêtes, pour utiliser les réalités, connaître les frontières et les limites, s'y adapter et les adapter, le journaliste est plus que l'instituteur des temps modernes. Il est le lien permanent, l'intermédiaire inévitable (et souhaitable, s'il est bon), entre l'individu et le reste du monde
Jamais trop exigeant
C'est vrai, le public est devenu plus exigeant et ne le sera jamais trop. Il demande des informations de qualité et donc des journalistes compétents. Ceux-ci sont de plus en plus spécialisés, ce qui contribue à gonfler les effectifs des salles de rédaction : là où il y avait un responsable de la politique étrangère, il y a aujourd'hui dix spécialistes de telle ou telle zone du globe.
Ce qui ne doit pas dissimuler la réalité symétrique : l'homme d'information reste avant tout le spécialiste de la non-spécialisation, attentif à faire les rapprochements et les comparaisons, à faire se rencontrer les domaines étrangers, à refléter les choix possibles, leurs interférences et leurs interactions.
Dans cet esprit, être informé n'est plus seulement être au courant mais être dans le courant, participer. Mieux même, pouvoir, par ricochet, décider du courant.
Dis-moi où tu t'informes
Mais ce tableau idyllique ne peut devenir réalité concrète qu'à deux conditions complémentaires : la qualité des journalistes et la qualité du public. On a, dans une certaine mesure, les media que l'on mérite ; et la médiocrité pardonnera de moins en moins. Dis-moi où tu t'informes, je te dirai qui tu es !
Il suppose aussi que les media s'astreignent à fonctionner dans les deux sens. Les courriers des lecteurs sont un pas dans ce sens. La vitesse et la puissance de l'information moderne répondent à l'urgence et à l'importance des choix que nous avons et aurons à faire. Si elle ne devient pas l'arme absolue de l'asservissement, l'information aura de plus en plus un rôle moteur : c'est la chance à saisir pour inventer la vie.
(1) Voir Mac Luhan, dans Presse-Actualité, n°77, novembre 1972 (épuisé).
(2)Expérience en cours au Japon et appelée à s'étendre. C'est une réponse à la constatation faite par les journaux qu'ils deviennent de plus en plus des « compléments ».