L’Orne est un drôle de département. A deux heures de Paris, mais moins peuplé dans son entier que la seule ville de Nantes, il est largement ignoré alors que c'est le lien naturel entre la région parisienne et la Bretagne.
Traversez l'Orne dans sa longueur, d'est en ouest, vous apercevez à peine le sud-manche et vous êtes déjà dans le dernier bastion normand, le Mont-Saint-Michel. Après, au-delà du Couesnon, c'est la Bretagne. Dans les profondeurs du bocage normand, dans la petite ville au centre du canton, le cimetière est en contrebas, au pied de la colline.
Hier, je suis passé devant ses grilles en voiture, j'accompagnais un employé municipal qui m'a fait des confidences : en apparence, il a une vie tranquille, mais il a peur du cimetière.
Il n'aime pas, dans le silence et la froidure de l'hiver, entretenir cette résidence des plus anciens. A cause du bruit, quand il s'y retrouve seul. Le son très particulier de ceux qui se rappellent au souvenir des vivants du fond de leur demeure. De ceux qui cognent doucement, sèchement, sans relâche, qui toquent à la porte. Le flottement des morts c'est agaçant, c'est remuant, c'est troublant ; même quand on sait qu'il y a une explication.
Que d'yau !
Et il y a forcément une explication, il y a toujours une explication. Ici, tout est simple. L'eau coule sous la terre entre argile et limon, elle vient d'en haut (je veux dire de la forêt, du haut des terres, de l'Est). Elle s'infiltre dans les caveaux et s'y installe. Selon les saisons, il faut écoper avant les enterrements ou lors des regroupements de dépouilles. Ce n'est rien, l'habitude se prend vite, il suffit de le savoir. Ça ne gêne pas vraiment. Sauf dans le silence et la solitude, lorsque le niveau a nettement monté et que l'eau continue à cheminer. Les cercueils flottent alors dans les caveaux, c'est logique, et ils se cognent contre les parois.
Ça ne s'entend que dans le silence et ce n'est pas grave mais - Armand me l'a expliqué - il n'aime pas ça. Il n'aime pas être seul dans le cimetière en hiver, depuis cette première fois où il a entendu le bruit qui l'a tellement surpris.
Si vous croisez Maupassant, parlez-lui d'Armand. L'auteur du Horla saura probablement écrire le dialogue avec les morts qui, décidément, ne savent pas se faire oublier. Pour apaiser Armand.
Pour de vrai, c'est pas des histoires pour les horsains, y pourraient nous prend' pour des attardés. On a quand même des autoroutes maintenant, entre nord et sud... mais toujours tellement de chevaux que ça fait galoper l'imagination.
Bon, en tout cas, on va pas se faire moquer, on va rien dire des jeteux d' sorts.
D'ailleurs faut pas en causer, ça donne le malheu.