Les représentants de la France Insoumise ont donné le bâton pour se faire battre en adoptant une attitude inqualifiable dans le fait de ne pas manifester dans leurs premières réactions un minimum de compassion pour les victimes et d’exprimer une ferme dénonciation des actes barbares commis par le Hamas. Ainsi, cette faute inaugurale a pu fournir à l’ensemble des médias un moyen pratique pour écarter toute discussion sur le fond, circonscrire le débat à l’injonction de qualifier le Hamas d’organisation terroriste et stigmatiser la France Insoumise en posant l’équation suivante : absence d’empathie + refus de qualifier le Hamas d’organisation terroriste = légitimer les crimes commis par le Hammas et soutenir le terrorisme.
Qu’en est-il de l’usage du mot terrorisme ? Est-il approprié ou non dans le cas d’espèce ?
Dans un article du 15 octobre 2023 publié sur Mediapart, les juristes spécialistes de la question disent leur embarras quant à l’utilisation de ce terme qui, à leurs yeux, n’apporte rien de plus que les qualifications de « crimes de guerre » ou de « génocide »[1]. En effet, Chaque état a sa propre définition du terrorisme lequel ne fait pas l'objet d'une définition reconnue en droit international, à la différence des agressions, des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité et des génocides définis par le droit international.
Que dit le droit français à propos du terrorisme ?
Le code pénal français qualifie d'actes terroristes (article 421) "une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur se traduisant par les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, (...) les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations..." [2]
Au regard du droit, qu’en est-il des deux protagonistes ?
Le Hamas a mené une action dont le but était "troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur se traduisant par les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration" avec des "destructions, dégradations et détériorations". Le Hamas a incontestablement commis des actes qui peuvent être qualifiés de terroristes au regard de notre droit français, il n’est que de mentionner les enlèvements, les séquestrations et les tortures de civils (actes qui sont des crimes de guerre).
De son côté, l'État israélien a répliqué en initiant une action sur la bande de Gaza dont la nature et l'ampleur ont pour conséquence de "troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur (le déplacement massif de population en atteste) se traduisant par les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne" (les morts et les blessés parmi la population civile se comptent par milliers) et s'accompagnant de "destructions, dégradations et détériorations" (notamment d'hôpitaux et d'écoles). Le nombre de civils palestiniens tués et blessés à ce jour, plusieurs milliers (notamment des femmes et des enfants), ne permet pas d'invoquer des "bavures" ou des "victimes collatérales" en excipant de l'inévitabilité de ces morts. La nature de la riposte impliquait un nombre élevé de morts dans la population, risque et conséquence qui ont été planifiés, acceptés et assumés par le gouvernement israélien. Si l'on nous refuse de qualifier de terroriste la riposte israélienne, on pourrait utiliser à son sujet le mot génocide, qui n’est pas moins fort. C’est ce que fait le journaliste israélien Raz Segal dans un article du 13 octobre paru dans JewishCurrents, dans lequel il déclare :
« l’assaut contre Gaza peut aussi être compris en d’autres termes : comme un cas d’école de génocide se déroulant sous nos yeux. Je dis cela en tant que spécialiste du génocide, qui a passé de nombreuses années à écrire sur la violence de masse israélienne contre les Palestiniens. J’ai écrit sur le colonialisme de peuplement et la suprématie juive en Israël, le détournement de l’Holocauste pour stimuler l’industrie d’armement israélienne, la militarisation des accusations d’antisémitisme pour justifier la violence israélienne contre les Palestiniens et le régime raciste de l’apartheid israélien. »[3]
Dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de l’ONU de 1948, « le génocide s’entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
- Meurtres de membres du groupe ;
- Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale des membres du groupe ;
- Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ;
- Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
- Transfert forcé d’enfants du groupe à un autre groupe. »
Gideon Levi, un autre journaliste du quotidien israélien Haaretz n’est pas moins sévère que son collègue lorsqu’il déclarait le 19 juillet 2014, bien avant l’attaque du Hamas : « Finalement, le mot “fascisme”, que j’essaie d’utiliser le moins possible, a mérité sa place dans la société israélienne. » »
À l’occasion de ce récent affrontement, le Hamas s’est rendu coupable d'actes d'enlèvement, de séquestration et de torture. Du côté du gouvernement israélien, même si l'ennemi désigné est le Hamas, les membres de ce mouvement représentent à ce jour un infime minorité des morts et des blessés dans la zone de Gaza et les victimes civiles palestiniennes sont plus nombreuses que leurs homologues de la société israélienne.
Tant les actes perpétrés par le Hamas (que l’on ne doit pas assimiler à la population palestinienne) que ceux commis par l’armée israélienne (que l’on ne doit pas assimiler à la population israélienne) peuvent être qualifiés de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité[4], de génocides et même d’actes terroristes (au regard du droit français). Aujourd’hui, quel que soit le qualificatif attribué aux actes de chacun des deux camps, avons-nous pour seule alternative que de devoir choisir entre une organisation coupable de crimes se caractérisant par l’horreur de leurs modalités et un État coupable de crimes se caractérisant par l’horreur de leur quantité ? Quel intérêt à s’enfermer dans ce dilemme et quel bien-fondé à préférer l’un à l’autre ? L’essentiel n’est-il pas ailleurs, dans la recherche des moyens d’une paix juste, durable et acceptée par les deux populations israélienne et palestinienne ?
[1] https://www.mediapart.fr/journal/international/151023/terrorisme-crimes-de-guerre-ou-crimes-contre-l-humanite-les-mots-justes-pour-qualifier-les-violence
2 https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006149845/
3 https://jewishcurrents.org/a-textbook-case-of-genocide
[4] Voir la définition de ces crimes sur le site des Nations Unies : https://www.un.org/fr/genocideprevention/crimes-against-humanity.shtml