1. Équité
Dans un pays qui inscrit l'Egalité comme devise fondamentale au fronton des mairies, comment justifier qu'un chauffeur de bus des Hauts-de-Seine ait une retraite plus avantageuse qu'un chauffeur de bus de Bordeaux ? Et qu'on prenne forcément à l'un pour donner à l'autre ?
Nonobstant ce principe général du "100€ cotisés donnent les mêmes droits à Dupont et Durand", Il est fort possible d'accorder des droits supplémentaires à certaines personnes, le fait que le régime soit universel ne l'empêche pas. Mais plutôt que le fait d'être rattaché à telle ou telle caisse de retraite, les bonifications qui paraissent justifiables au nom de la solidarité sont plutôt celles-ci:
- Minimum Vieillesse
- Bonus pour avoir élevé des enfants
- Pénibilité
- Handicap ou maladie chronique
2. Portabilité
Je fais partie des gens qui ont passé une partie de leur vie professionnelle dans le privé, et une partie dans le public. On pourrait croire naïvement qu'une personne ayant travaillé 20 ans dans la fonction publique et 20 ans dans le privé aura une retraite qui sera une moyenne 50/50 des deux systèmes. Il n'en est rien, grâce à des règles compliquées à base de seuils, de décote, de nombre de trimestres, etc. Dans le système multi-régime actuel, les personnes qui ont recours à plusieurs caisses de retraite se font trucider sur leur droits retraite. Comment pourrait-on justifier que ces personnes avec des parcours en diagonale soient désavantagées ?
Au-delà des retraites seules, le système français est très rigide et tend à créer des silos dans lequel on vous enferme de vingt ans jusqu'à la retraite. Or les individus ont chacun un parcours de vie qui peut les amener à changer de statut, à être indépendant, salarié, chef d'entreprise, fonctionnaire, en alternance ou simultanément. Actuellement je cumule des revenus salariés à temps partiel et une activité d'auto-entrepreneur. Pourquoi les cotisations sociales que je paie pour l'une ou l'autre activité seraient traitées différemment ?
3. Flexibilité
La rigidité des statuts et la peur de perdre tel ou tel avantage réduisent la mobilité professionnelle, et donc l'emploi. Si je suis cadre à la RATP depuis 25 ans, que je m'ennuie un peu, et que mon beau-frère veut m'embarquer dans une aventure de création de restaurant par exemple. Avec une vraie égalité public-privé, je pourrais me lancer plus facilement, 100 euros que je gagnerais avec l'une ou l'autre des activités me donneront les mêmes droits. La rigidité me pousse à rester en poste, et par ailleurs les barrières importantes à l'embauche comme les concours très difficiles me dissuaderont d'aller faire autre chose pendant 2, 3 ou 10 ans (quitte à retourner chez le même employeur public ou privé après cette période).
4. Transparence
La complexité du système actuel donne aux politiques toute latitude pour t'arnaquer l'air de rien. Avec un régime universel, unique, et une valeur de service du point publiée au Journal Officiel, pas moyen de se cacher derrière son petit doigts: si des arbitrages sont fait en faveur des actifs, ou au contraire en faveur des retraités, cela se verra immédiatement.
5. Egalité public-privé
Qui n'a pas eu un déjeuner de famille gâché par les discussions stériles et absurdes sur les "privilèges" supposés des profs ou des fonctionnaires, ou encore sur les plaintes des profs quant au niveau de leur salaire ? Le pire est que les 2 parties ont raison. Oui les profs sont mal payés en France (deux fois moins qu'en Allemagne), et oui ils compensent au moins partiellement ces maigres salaires par des vacances étendues et un calcul de la retraite plus favorable. Ne serait-il pas temps de mieux payer les profs, et en contrepartie d'aligner leur statut, leur rythme de travail et leurs droits retraite sur les cadres du privé (qui ont un niveau d'étude comparable) ? De dire que les profs sont des cadres comme les autres en somme ? Cela favoriserait la mobilité, la portabilité des droits pour ceux et celles qui ne veulent pas s'enfermer dans une carrière unique. Et cela adoucirait peut-être un peu l'aigreur des uns et des autres sur les "privilèges" de telle ou telle catégorie socio-professionnelle.
6. Simplicité
Outre la multiplicité des 42 régimes, le système actuel est tellement compliqué que personne n'y comprend rien. Les décotes et surcotes, l'âge légal, l'âge pivot, les trimestres validés, le plafond SS, les complémentaires AGIRC/ARCO par points, même les spécialistes en perdent leur latin. Si j'avais une idée du nombre de points accumulés jusqu'à présent, et de la valeur de service du point, une simple multiplication me suffirait pour dire: "En travaillant 15 ans, j'ai accumulé jusqu'à présent l'équivalent de 735€ par mois" par exemple.
7. Équilibre
Un régime par point peut s'équilibrer presque tout seul: on calcule la valeur de service du point en divisant la somme des cotisations de l'année par le nombre de points détenus par les retraités. A ce moment il y a un choix à faire entre augmenter les cotisations ou diminuer la valeur de service du point, on encore un mélanger des deux à 50/50, à 80/20.
Au-delà de ce choix collectif entre préserver les pensions ou le pouvoir d'achat des actifs, il y a une somme de choix individuels. Si la valeur du point est trop basse, je pourrais choisir de travailler plus longtemps pour atteindre un certain niveau de pension, ou bien au contraire partir plus tôt. Pourquoi l'âge de départ serait-il le même pour tous ? Certains métiers permettent de travailler tard, d'autres pas. Les danseurs classiques s'arrêtent à 40 ans, tandis que le compositeur Eliott Carter continuait à écrire de la très bonne musique à 100 ans passés. Et je ne vais pas répéter ce que j'ai dit sur les carrières multiples, la possibilité d'une deuxième, troisième, quatrième vie professionnelle.
8. Augmentation des salaires du public
Une fois disparus les avantages du "statut" qui semble être une véritable vache sacrée en France, et qui ne sont en réalité pas toujours faramineux, l'Etat employeur perdra toute justification pour payer les fonctionnaires en-dessous du marché du travail. Les profs pourront comparer leurs salaires avec les cadres du privé sur une base équitable, comparable. Et voter avec les pieds s'ils sont trop mal payés. Il y aura une vraie pression pour payer les fonctionnaires avec du bon argent dès maintenant, et non avec des promesses de retraite bonifiée dans 30 ou 40 ans qui ne se réaliseront peut-être jamais et qui en tout cas ne pèsent pas sur le gouvernement actuel.
C'est logique et légitime de dire que pour ceux qui sont actuellement en poste, les droits retraite font partie du contrat signé avec l'Etat employeur. Par conséquent, une diminution des droits retraite (qu'entraîne par exemple le calcul sur 40 ans au lieu de la moyenne des 6 derniers mois) soit compensée par du cash dès maintenant, et c'est là-dessus que les syndicats devraient se battre à mon humble avis. Mieux payer les profs et les infirmières, d'accord, mais dès aujourd'hui, sans attendre qu'ils atteignent les 65 ans !
Pour conclure, je ne trouve pas que le système de retraites actuel soit tellement merveilleux pour que ça vaille la peine de se battre sang et eau afin de le conserver tel quel. Autant le dire franchement: dès 2007, quand le candidat François Bayrou proposait de passer à une retraite universelle par points, j'y étais favorable. Je préférerais un système qui met fin aux inégalités public/privé et aux régimes spéciaux, qui offre une vraie portabilité à ceux qui changent de statut, qui soit universel, simple et transparent.