La correctionnalisation c'est la transformation du crime en délit, une enquête bâclée (pas de juge d'instruction), des débats judiciaires a minima et des peines minimisées. Concrètement pour des faits comparables (viols incestueux répétés pendant des années sur un enfant de moins de 10 ans), la sentence peut être:
- 12 ans de prison aux Assises
- 2 ans avec Sursis en Correctionnelle
(Ces deux exemples sont des verdicts prononcés dans les années 2010, extraits des premières réponses de l'appel à témoins).
L'article 2 de la "Loi Schiappa" visant à "renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles" crée un nouveau délit d'atteinte sexuelle avec pénétration (aggravation du délit déjà existant d'atteinte sexuelle sur mineur de 15 ans). Malgré les intentions affichées (punir plus sévèrement les violeurs) cela crée en fait une définition alternative pour viol sur un enfant, punie moins sévèrement que le viol.
Comme le critère de "violence, contrainte, surprise ou menace" est assez difficile à prouver en justice, on peut craindre que les procureurs et même leurs avocats encouragent les victimes à porter plainte pour "atteinte sexuelle" et non pour "viol".
Pour les gens qui considèrent qu'un viol d'enfant est toujours commis avec violence, et qu'il constitue en lui-même une terrible violence, même si cette violence ne se manifeste pas toujours par des coups ou des cris, c'est insupportable, car cela revient à dire que violer un enfant c'est moins grave que violer un adulte:

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Ce qui est intolérable également c'est que l'atteinte sexuelle suppose implicitement que l'enfant est consentant, ce qui en fait le complice du délit, même s'il n'a que 6 ou 8 ans !
De nombreuses associations réclament que l'atteinte sexuelle sur mineur soit supprimée de notre Code pénal et que la définition du viol soit modifiée de façon à ce qu'aucun enfant de moins de 15 ans ne sont considéré comme "consentant" par la justice.
Une pratique illégale mais très répandue
La correctionnalisation, bien qu'illégale dans de nombreux cas, est très répandue car notre justice manque de moyens. Spécialement dans le cas des violences sexuelles qui encombrent les tribunaux (13 708 plaintes pour viol déposées en 2016. Et seulement 1159 viols jugées aux Assises ou au Tribunal pour enfants quand les agresseurs sont majeurs. Source: Infostat 160, Ministère de la Justice).
Les magistrats et même le ministère de la Justice le savent depuis longtemps.
Michel Mercier, Ministre de la Justice, auditionné devant la commission des lois du Sénat le 3 mai 2011 déclarait : « Le but est de limiter la correctionnalisation des crimes. La cour d'assises ne juge que 2 200 crimes par an. En effet, les juges d'instruction préfèrent souvent soumettre au tribunal correctionnel des affaires qui relèvent des assises, pour des raisons notamment de rapidité, mais au prix d'un affaiblissement de la réponse pénale. Les viols, par exemple, sont souvent requalifiés en « agressions sexuelles », afin de pouvoir être jugés par le tribunal correctionnel, où le quantum de peine encouru est limité à dix ans. La pratique varie d'un département à l'autre, d'où une inégalité de traitement entre les justiciables. [...] quand le Parlement décide que tel fait constitue un crime, il doit être jugé comme tel ! »
Nouvelle enquête de l'AIVI
Afin de mesurer ce phénomène de correctionnalisation du viol, sa fréquence et ses conséquences, l'AIVI lance un appel à témoins.
Vous pouvez participer à cet appel à témoins si vous êtes dans la situation suivante:
- Vous avez un ou plusieurs viols, incestueux ou non
- Ou bien vous êtes parent d'un enfant mineur qui a subi l'inceste ou le viol
- Ils s'agit de viols au sens de la loi française, c'est à dire d'actes sexuels avec pénétration
- Vous avez porté plainte EN FRANCE, pour vous-même ou pour votre enfant
- La procédure judiciaire est aujourd'hui terminée
>> Participer à l'appel à témoin
Voici l'exemple vécu par Isabelle Aubry présidente de l'AIVI
Pour la justice, j'étais consentante
Mon père a commencé à m'agresser sexuellement à l'âge de 6 ans. De 11 ans à 14 ans, il m'a violée et prostituée pour de l'argent. Il a immédiatement avoué les faits, de nombreuses preuves matérielles confortaient mon témoignage (vêtements, photographies, carnets de vente avec noms et adresses, témoignages...). Le juge m'a demandé si j'étais consentante à ces actes pour prouver qu'il s'agissait de viols. J'ai répondu que je ne comprenais pas la question. Il m'a demandé si j'avais dit "non". J'ai répondu que je ne savais que c'était interdit et que j'avais bien trop peur de mon père pour m'opposer à lui sans mettre ma vie en danger.
Mon avocate, Gisèle Halimi, m'a expliqué que, n'ayant pas dit "non" à mon père, il pouvait ressortir libre de la cours d'assises car le viol n'était pas qualifié. Elle m'a donné ce choix horrible à faire : les assises et la possibilité qu'il soit acquitté ou la correctionnelle avec une peine moindre mais certaine. J'ai fait le choix de la correctionnelle. Comme si je me passais moi-même la corde au cou.
Il a pris 6 ans, en a fait 4 en tout et pour tout. Il a ensuite exhibé son jugement dans la famille en disant que ce n'était pas de sa faute, que j'étais consentante, que c'est moi qui l'avait cherché. J'étais ni plus ni moins qu'une complice de ce délit.