Pourtant les compétences des départements et des régions ont un impact direct sur notre vie quotidienne. J'en citerai une seule: la protection de l'enfance, sous la responsabilité des présidents du conseil général. Deux têtes de liste aux départementales 2021 étaient impliqués dans des affaires de pédocriminalité (l'un dans une affaire jugée, l'autre par une plainte pour des faits malheureusement prescrits). Mais les électeurs s'en fichent apparemment (et les abstentionnistes encore plus). A part quelques militants, personne ne semble s'émouvoir du fait qu'on met la protection de l'enfance sous la responsabilité d'un pédocriminel. On a les élus qu'on mérite.
Beaucoup d'explications ont été avancées par les éditorialistes et politologues. Il faut pourtant rappeler que les seuls responsables de l'abstention sont les abstentionnistes. Certains le revendiquent haut et fort dans les bistrots ou sur les réseaux sociaux. Leurs arguments sont d'une pauvreté affligeante masquée par des sophismes grossiers qui ne tromperaient pas un enfant de 12 ans.
- L'offre politique vous paraît insuffisante ? Aucun parti ne défend vos idées ? OK, et quel programme vous proposeriez à la place ? Pourquoi ne pas créer un parti avec les personnes qui partagent vos convictions ?
- Vous souhaitez la démocratie directe ? Mais avec des électeurs qui ne se mobilisent même pas une fois tous les 6 ans, est-ce qu'on pourrait envisager des "votations" comme le font les Suisses ? (pour ma part j'y suis très favorable, ça changerait vraiment le fonctionnement de notre démocratie)
- Tout les candidats se valent ? Ils sont tous aussi pires ? Pourtant il y a de vraies différences sur les programmes. Si les franciliens avaient élu le trio Julien Bayou/Audrey Pulvar/Clémentine Autain (Gauche/Verts) à la tête de la région Île-de-France, ou encore Jordan Bardella (extrême-droite), les décisions prises et l'usage de l'argent de nos impôts (nos impôts) auraient été très différentes. Ce n'est pas la même chose de rénover ou lycée ou d'embaucher 500 policiers, ou encore de construire une salle de concerts (avec le même budget). Il n'y a vraiment que l'ignorance ou l'indifférence totale à la chose publique qui peuvent expliquer l'argumentaire du "tout se vaut".
- Vous demandez la reconnaissance du vote blanc ? OK, admettons qu'on vous donne raison. L'abstention (ou le vote blanc) étant largement en tête, on va donc supprimer les conseils généraux et départementaux. Et qui va voter le budget ? Qui va le contrôler ? Qui va lancer l'appel d'offres pour la reconstruction du lycée Victor Hugo ? Comment va-t-on choisir entre l'extension de l'échangeur autoroutier ou la création d'un parc public ? En cas de désaccord entre les uns et les autres, qui a le dernier mot ?
Ce qui est gravissime c'est que la nécessité d'atteindre la neutralité carbone en 2050 (et même plus tôt si on y parvient) nécessite des actions politiques vigoureuses à tous les niveaux, communal, régional, national, européen et mondial. Il y a beaucoup de choix difficiles à faire, beaucoup d'arbitrages complexes. Un seul exemple: il est impératif de réduire fortement notre consommation de viande et de lait pour atteindre la neutralité carbone. Si on veut le faire bien il faut penser à la reconversion de tout les travailleurs de la filière élevage. Une seule chose est sûre: ce n'est pas en restant le cul dans son fauteuil et en partageant des conneries complotistes sur les réseaux sociaux qu'on y parviendra. Et ce n'est pas davantage avec des bulletins blancs qui n'expriment rien par définition.
Les Français sont connus pour être les champions du monde du pessimisme. "La France est un paradis peuplé de gens qui se croient en enfer" disait Sylvain Tesson. La pandémie a empiré les choses. Paradoxalement notre Etat hyper interventionniste est devenu encore plus envahissant. L'Etat nous a interdit de travailler ou même de sortir de chez nous, tout en nous indemnisant et en nous offrant tests et vaccins gratuits. La dépendance des Français à l'Etat s'est accrue dans des proportions inquiétantes (que peut-il rester comme esprit d'entreprise et comme dynamisme dans une économie aussi fortement encadrée et centralisée ?). Mais la défiance voire la haine des autorités s'est accrue dans les mêmes proportions. Ne pas prendre pour argent comptant tout ce que nous raconter le gouvernement, c'est dans le fond assez sain. Mais partir du principe que TOUT ce qu'affirment les autorités est faux, et dans le même temps accorder du crédit à des sources plus que douteuses, ça tient de la névrose collective. C'est le rapport même qu'on a au réel qui finit par être impacté.
Dans vingt ans, peut-être que nous reconnaîtrons l'addiction aux réseaux sociaux comme une véritable épidémie aux conséquences graves sur la santé publique (la santé mentale en particulier). Enfermés dans une bulle cognitive par les algorithmes qui sélectionnent uniquement les contenus qui nous plaisent et qui donnent la même apparence de sérieux à des propos d'ivrogne de comptoir qu'à ceux d'un expert, à des mensonges grossiers qu'à des informations sourcées et rigoureuses. J'ai ouvert des yeux ronds quand une personne qui ne postaient que des âneries comme: "la terre est plate, on vous ment, on vous manipule, le lobby pédo-sataniste de la CIA veut vous imposer la 5G et les vaccins, réveillez-vous" m'a dit "heureusement, maintenant, avec les réseaux sociaux, on est bien informés". 😮
En même temps les tentatives de censure (par vois légale ou simplement par des campagnes "name and shame" qui peuvent facilement virer aux harcèlement de meute lorsqu'elles visent une seule personne) se multiplient. On ne veut pas simplement exprimer un désaccord avec la partie adverse ou avoir le dernier mot; ou voudrait lui interdire de s'exprimer, et peut-être même d'exister.
Le désintérêt pour la chose publique, l'individualisme, le repli sur la sphère privée, le divertissement est une chose qu'on a observée à Rome... juste avant la chute de l'empire. Les gens qui disent que tout va mal ne se rendent peut-être pas compte qu'ils sont en train de manger leur pain blanc, et que faute de soutien et d'adhésion d'un nombre suffisant de citoyens, notre démocratie, avec tous ses gros défauts qu'on lui connaît bien, pourrait céder la place à l'instabilité politique, à la dictature, et à la guerre. Le plus embêtant avec le pessimisme est son côté auto-réalisateur. À force de prédire le pire (et de se penser comme impuissants), on le fait advenir.
Alors, comment éviter de céder à la sinistrose ? La première étape est sans doute de renouer avec la notion de responsabilité. Nous sommes responsables de notre destin, individuellement et collectivement. La première chose à faire est donc d'assumer nos actes et de prendre conscience que c'est à nous de faire vivre notre démocratie. Pas seulement en participant aux élections mais aussi:
- par l'engagement dans un parti politique
- par l'engagement associatif (transpartisan mais appelé à l'interaction avec le politique)
- par les initiatives civiques locales
- par les manifs, les pétitions, les livres, tribunes
- par le dialogue avec les élus
La démocratie c'est tous les jours, ce n'est pas qu'une fois tous les cinq ans.