Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

332 Billets

2 Éditions

Billet de blog 1 février 2009

Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

Laïcité : soldes, deuxième démarque

Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le sarkozysme s’est fait connaître comme une remise en cause de la laïcité telle que les républicains du début du XX° siècle l’ont forgée dans la culture comme dans le droit. Cette remise en cause s’exprimait jusqu’ici sur un terrain plutôt idéologique, dés lors que la loi de 1905 n’a pu être modifiée. Mais voilà que deux épisodes instillent une remise en cause plus pratique dans notre vie publique. Ils doivent nous alerter sur un démantèlement à l'oeuvre du meilleur de notre tradition laïque.

C’est d’abord la ministre du logement, Christine Boutin qui vient, en tant que telle de prendre la défense de l’invraisemblable décision de Benoit XVI sur la réintégration des quatre évêques intégristes excommuniés (dont le révisionniste que l’on sait). Ce samedi 31 janvier elle a estimé, à l’occasion d’un Forum des Républicains sociaux (mouvement qu’elle préside et qui est associé à l’UMP) qu’il ne fallait « pas ramener la position du Saint-Père à une phrase éminemment condamnable, inexcusable. Il ne faut pas regarder cette question-là avec le petit bout de la lorgnette, mais regarder deux objectifs : la réconciliation et la paix. Peut-être y a-t-il dans ce mouvement de l’Eglise, séparé pour l’instant, une possibilité de retrouver la valeur du sacré dans la liturgie que nous avions un peu oubliée. Ce n’est pas parce qu’une personne a eu de tels propos condamnables et inimaginables qu’il faut, au nom de cela, rejeter l’ensemble ». Ces paroles sont, dans la bouche d’un ministre de la République laïque parfaitement inadmissibles. N’importe quel ministre MRP, même au pire moment de l’histoire gouvernementale de ce parti sous la IV° République ou avec le général De Gaulle aux débuts de la V° République aurait dû démissionner sur le champ.

Mais cette défense et illustration de la papauté ne fait qu’accompagner d’autres violations de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; ainsi la France a-t-elle signé un incroyable accord avec le Saint Siège le 18 décembre dernier sur la reconnaissance des diplômes nationaux. La Conférence des présidents d’Université a jugé nécessaire de le dénoncer dans les termes suivants dans une lettre au président de la République du 5 janvier dernier: « Selon cet accord, les diplômes délivrés par les instituts catholiques contrôlés par le Vatican seront reconnus en France au même titre que les diplômes délivrés par les universités publiques. Non seulement cet accord porte sur les diplômes canoniques, ce qui peut se concevoir mais mériterait discussion, puisque les diplômes canoniques font partie du champ initial des instituts catholiques, mais aussi sur les formations profanes, ce qui est proprement inacceptable. Si le processus de Bologne instaure la reconnaissance européenne des diplômes européens, il n’impose nullement à chacun des Etats-membres de reconnaître automatiquement, comme équivalents aux diplômes dispensés par ses établissements nationaux, les diplômes des autres établissements européens. Or si la reconnaissance des diplômes canoniques délivrés par les institutions catholiques relève bien du processus de Bologne, notamment parce qu’elle n’entre pas en concurrence avec les diplômes nationaux, celle des diplômes profanes délivrés par les instituts catholiques s’impose tellement peu que l’Union des établissements d’enseignement supérieur catholique n’en était semble-t-il pas informée, selon La Croix du 19 décembre dernier ! Quelle nécessité d’avoir ajouté cette clause provocatrice, qui constitue un précédent inacceptable, et qui ne peut que soulever les protestations de l’ensemble de la communauté universitaire, soucieuse de défendre les valeurs laïques et républicaines ? En outre, le biais retenu pour cette démarche, à savoir un accord international piloté par le Ministère des Affaires Etrangères, est particulièrement incongru, s’agissant d’établissements avec lesquels les universités françaises entretiennent depuis longtemps, dans plusieurs régions françaises, des liens de proximité et d’actives collaborations : ce type d’accord international, en effet, conduit à rappeler que chaque institut catholique français est, de droit, une implantation universitaire étrangère qui serait, pour tout ce qui concerne le pilotage et l’accréditation des formations, une émanation directe du Vatican ».

S’installe ainsi par touches successives les conceptions que Sarkozy exposaient dans son livre « La République, les religions, l’espérance » (2005, Pocket). Elles se retrouvent tout autant dans le discours de Constantine (5.12.07) que dans celui du Latran (20.12.07) que dans celui de Doha (14.01.2008). Dans ce dernier Nicolas Sarkozy avait tenu un propos retentissant:" Je respecte ceux qui croient au Ciel autant que ceux qui n’y croient pas. (...) Mais j’ai le devoir aussi de préserver l’héritage d’une longue histoire, d’une culture, et, j’ose le mot, d’une civilisation. Et je ne connais pas de pays dont l’héritage, dont la culture, dont la civilisation n’ait pas de racines religieuses. Je ne connais pas de culture, pas de civilisation où la morale, même si elle incorpore bien d’autres influences philosophiques, n’ait un tant soit peu une origine religieuse. Dans le fond de chaque civilisation il y a quelque chose de religieux, quelque chose qui vient de la religion. ". L’idée de base est donc qu’il n’y a pas de société sans foi religieuse, qu’elle ne peut se satisfaire elle-même. L’espérance terrestre est toujours mutilée et mutilante. C’est la religion qui fait lien. « La morale républicaine est insuffisante pour répondre aux interrogations fondamentales de l’être humain ». Un croyant est supérieur à un incroyant. « L’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Jamais depuis 1884 un chef d’Etat français républicain n’est allé aussi loin. La laïcité est assimilée à un intégrisme comme si l’humanisme des Lumières n’avait jamais existé. Et cela inspire une nouvelle politique des rapports entre Eglises et Etat en rupture avec la tradition républicaine. L’Etat devra financer les religions pour les tenir égales entre elles (« il n’y a pas assez d’églises dans les banlieues de Seine St Denis », mais il n’y a pas non plus assez de mosquées). Il faut « institutionnaliser les mouvements spirituels » (sic ; cad les sectes) pour mieux les contrôler. L’éducation religieuse doit suppléer aux manques de la morale républicaine (oubliée la « laïcité d’éducation » de Jaurès : l’enseignement des valeurs de raison, d’égalité, de liberté de solidarité). "Jamais pourtant un chef de l'État ne s'était immiscé avec autant d'insistance dans les salles de classe, dans l'esprit des élèves, et dans les programmes et la feuille de route des enseignants", écrivent Eddy Khaldi et Muriel Fitoussi, dans "Main basse sur l'école publique", (éditions Démopolis, 2008). Ils relèvent que, depuis son élection, Nicolas Sarkozy a eu "l'occasion d'imposer dans l'agenda médiatique une authentique révolution libérale dans l'Éducation nationale". Cette assignation du citoyen à ses cultures et croyances même s’il ne les met pas en pratique relève de la conception anglo-saxonne du lien social : ce sont les communautés d’appartenance qui sont constitutives de la société. La lutte contre les inégalités n’est pas tant de la responsabilité de l’Etat que de la charité publique (« Si l’Eglise de France n’a pas le souci des plus pauvres, qui l’aura ? »). Et la compassion est érigée en ferment de la loi. Dans l’histoire politique française, c’est la pratique concordataire et gallicane du Premier Empire que la loi de 1905 avait abolie et qui revient discrètement.

La défense des libertés comme des acquis sociaux qui a fédéré la grève générale de jeudi dernier ne doit pas oublier celle de la laïcité qui est le fondement de notre vivre ensemble depuis plus d’un siècle et que démantèle en silence ce régime.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.