L’Opéra de Paris donne à guichets fermés, une œuvre de Jean-Philippe Rameau : Platée. C’est un spectacle crée en 1745, sous Louis XV donc, pour amuser les convives du mariage du fils d’icelui, dauphin de son état. Il y est question d’un peuple de grenouilles, métaphore alors en vogue (et pas qu’avec La Fontaine), pour faire des animaux, des auteurs de satires sur la société des hommes. En l’occurrence, il s’git de montrer le ridicule des dieux eux-mêmes. Car nous sommes en Grèce, à la naissance de la comédie, et Jupiter est au centre de l’action. Au point qu’il semble interprété par Macron lui-même.
Nous y voilà : cette figure emblématique du « Macron, première période » serait devenue un fardeau pour notre président. Il aurait déclaré en petit comité[1], au surlendemain de sa réélection, que « tuer Jupiter » serait sa première volonté pour le nouveau quinquennat. Patatras, les législatives aidant, « son indécision est devenue proverbiale. (…) Veut-il agir ? Le peut-il ? »,s’inquiète gravement Le Monde. Saura-t-il retrouver l’énergie nécessaire pour gouverner (puisqu’il va de soi qu’en France, le président gouverne nonobstant la présence constitutionnelle d’un ou d’une Premier-e ministre) ? Saura-t-il conjurer l'impuissance provoquée par la perte de majorité absolue au Palais Bourbon ? Bref dans cinq ans, prendra-t-il rang dans la postérité des chefs d’Etat, entre Louis Philippe I et Sa Suffisance I(Balladur étant toujours là) comme le deuxième du titre ?
Et voilà où « Platée » peut fournir d’heuristiques réponses. Il suffit pour cela, d’accepter que l’autre nom de la reine des grenouilles ne soit autre qu’ « Assemblée nationale », et le tour est joué.
L’action est fort simple : La nymphe, reine des grenouilles veut croire que mille amants vont s’éprendre d’elle. Mercure (le dieu du mensonge) lui laisse croire que Jupiter s’est amouraché d’elle. Le voilà justement qui descend de l’Olympe, d’abord sous les traits d’un âne puis d’un hibou. Connu pour être volage et vaniteux, il a cette manie de plusieurs métamorphoses, en même temps. Il déclare sa flamme à Platée, allant jusqu’à imaginer de véritables noces. Mais Junon (sa légitime épouse) déjoue ce plan. Elle démasque Platée qui apparaît ridicule et s’enfuit alors dans les marais, sous les moqueries de paysans venus célébrer son triomphe. Retour de Jupiter au ciel élyséen.
Sans changer un mot du livret, la fiction opère à plein. Qu’on en juge avec ces quelques extraits.
Les doutes de Platée-l’Assemblée : « Jupiter sait tout oser. Mais aurais-je le courage de recevoir son hommage ou de le refuser ? »(2° Acte, scène 2).
La séduction de Jupiter : « Charmant objet de mes dignes amours, ne soyez plus longtemps abusée. Comptez sur mon secours (il jette sa foudre). J’éloigne de mes mains la foudre redoutable : je ne viens point vous alarmer. Jupiter avec vous devenu plus traitable, ne s’occupera que du plaisir d’aimer ». Platée-l’Assemblée : « Ouf ! ». Jupiter : « Je vous offre des vœux constants : vous ne répondez rien » ((2° Acte, scène 3).
L’impatience du chœur (des grenouilles) : « Qu’elle est comique ! Qu’elle est belle ! A tant d’appas, qui ne se prendrait pas ? Jupiter soupire pour elle. (…) Chantons, célébrons en ce jour, le pouvoir de l’Amour. Par lui, la Nymphe peut prétendre à s’unir au plus grand des dieux ; et le roi le plus glorieux, à la bergère peut se rendre. » (2° Acte, scène 4)
Le tableau d’une Platée-l’Assemblée, séduite et abandonnée par les métamorphoses de Jupiter, est saisissant. Comme l’épilogue de la dernière scène qui voit Jupiter rejoindre sa constitutionnelle et légitime épouse (Junon devenant la figure de la V° République, toujours aussi « plastique » comme dirait Pascal Perrineau): « Quittons ces lieux. Montons au séjour du tonnerre. Il n’appartient point à la terre d’arrêter plus longtemps le souverain des dieux. ». (3° Acte, scène 7)
Ce jupitérien triomphe final augurerait-il du pouvoir de domination de notre président sur les actuelles antinomies politiques de l’Assemblée nationale ?
Bonnes vacances.
Platée – Mise en scène Laurent Pelly (5° reprise) –Dir. Marc Minkovski – avec Lawrence Brownlee, Jean Teitgen, Julie Fuchs – Opéra de Paris-Garnier -Jusqu’au 12 Juillet.
[1]Les informations de ce type (et citations) sont toutes extraites d’un long article d’Olivier Faye dans Le Monde des 3 et 4 juillet, titré en Une : « Macron, les vertiges du second quinquennat ».