Jean François Copé vient de publier un ouvrage qui a fait parler de lui comme un concurrent (de plus) ou un successeur (possible) à Nicolas Sarkozy. N’a-t-il pas précocement déclaré qu’il pensait à la présidentielle de 2017 en se rasant tous les matins ?
Mais il le fait habilement en avançant la thèse selon laquelle la réforme constitutionnelle du 21 juillet 2008 aurait ouvert la voie à un « hyperparlement ». « Un député, çà compte énormément ! » (Editions Albin Michel, 270 pages) : le titre annonce bien la couleur d’une interprétation très optimiste des effets de l’ « hyperprésidence » sarkozyste. Elle mérite d’être prise au sérieux même si la naïveté qui accompagne le traitement d’une question ancienne et complexe apparaît comme un procédé rhétorique un peu éculé. En 1962, un grand juriste Jean Rivero signa dans la revue Dalloz une chronique qui fit date. Intitulée « Un Huron au Palais Royal » elle renouait avec la figure du bon sauvage popularisée par Voltaire dans « L’Ingénu » (on renverra plusieurs fois ici à ce beau conte), celle d’un Huron, un indien du St Laurent débarqué dans la France de Louis XIV où il se heurte aux conventions sociales et religieuses. Rivero voulait dévoiler le trompe-l’oeil d’un Conseil d’Etat censé protéger l’administré de l’excès de pouvoir. Copé veut dégonfler le mythe de la « monarchie républicaine » en célébrant l’avènement d’un pouvoir parlementaire dont ni le Président ni les parlementaires n’auraient encore pris conscience.
Lui-même d’ailleurs avoue ingénument qu’il n’a jamais cru à la possibilité ni non plus à l’utilité d’un vrai Parlement dans la V° République. Sa carrière allait de l’ENA aux cabinets puis aux fonctions ministérielles (de 2002 à 2007) en passant par quelques épisodes assez fugaces de députation (le plus jeune élu en 1995, le plus jeune battu deux ans plus tard) toujours vécues dans la majorité. Si bien que tout en ayant été secrétaire d’Etat aux relations avec le Parlement, il avoue avoir été « le pire » et pense que c’est un « ministère inutile ».
Et puis patatras, le voilà « sorti du gouvernement par décision de Nicolas Sarkozy en mai 2007 ». Il vit cet épisode comme une vraie crise professionnelle et existentielle. Si bien qu’il se montre sceptique sur une réforme de la Constitution tant il est « fier » de « l’ovni institutionnel, une de ces exceptions françaises » qu’est la V° République : « faire évoluer cette Constitution c’est presque trahir Charles De Gaulle » auquel il garde une « admiration » familiale.
C’est alors qu’advient la transfiguration du Huron : la présidence du groupe UMP à l’Assemblée Nationale, gagnée de haute lutte contre la volonté feutrée de Sarkozy, fait de Jean-François Copé un homme nouveau. Voltaire le décrit à la perfection : « Le jeune Ingénu ressemblait à un de ces arbres vigoureux qui, nés dans un sol ingrat, étendent en peu de temps leurs racines et leurs branches quand ils sont transplantés dans un terrain favorable ; et il était bien extraordinaire qu’une prison fût ce terrain » (Ch. XII). Dit autrement par l’intéressé (p. 208) cela donne : « Deux nouveaux couples sont en train d’émerger dans nos institutions et vont occuper une place inédite : le couple président de la République-président du groupe majoritaire à l’Assemblée pour faire vivre le dialogue entre l’exécutif et le législatif ; et le couple président du groupe majoritaire à l’Assemblée-président du groupe majoritaire au Sénat pour entretenir la discussion sur l’ordre du jour entre les deux chambres. » Il n’est pas certain que Gérard Larcher soit heureux de voir sa fonction réduite à un débat sur l’ordre du jour, mais là n’est pas le sujet. Jean François Copé parie sur les innovations de la réforme de la monarchie de juillet 2008. Il le fait sur deux registres : celui des modifications des procédures parlementaires ; celui de la nature du régime.
Concernant la vie parlementaire, il y a évidemment et d’abord les mesures annoncées par la fameuse révision mais dont bon nombre attendent leur application. Il fut annoncé alors qu’un an suffirait pour cela. A ce jour dix articles sont entrés en vigueur (le nouveau 49-3, les commissions permanentes, l’ordre du jour partagé, les questions au gouvernement)Il en reste beaucoup d’autres et en particulier le règlement intérieur, objet des afrontements que l’on sait sur le droit d’amendement. Mais gardons ce débat pour le premier anniversaire du vote du Congrès. Ce qui s’est passé jusqu’ici n’a fait que confirmer l’analyse d’une réforme au profit de la majorité parlementaire et non pas du Parlement tout entier. Jean François Copé en a sans doute conscience et insiste sur le fait que le sort des nouveaux textes dépend « d’un changement de pratique », ne cachant pas que « les députés et les sénateurs disposent de pouvoirs substantiels en matière de contrôle, sans forcément les utiliser » (p. 199). Il pense donc à diverses mesures d’accompagnement : la création de véritables cabinets de députés (« une équipe d’au moins dix personnes, bien formées et expérimentées ») à l’instar du Sénateur américain qui dispose d’une équipe équivalente à celle de tout un groupe parlementaire au Palais-BourbonBourbon. Mais l’assemblée américaine ne compte que 535 membres représentant cinquante Etats de 300 millions d’habitants au total, alors que l’Assemblée nationale française compte 920 parlementaires pour 65 millions d’habitants. Et la première dispose de pouvoirs de contrôle que n’a toujours pas la seconde. Aussi Jean François Coppé croit-il nécessaire d’inventer un nouveau concept, celui de « co-production législative » aux contours bien improbables (le premier exemple en serait la « commission pour la nouvelle télévision publique » dont la présidence lui fut donnée par Sarkozy). Il en voit le germe dans la disposition selon laquelle le texte de loi discuté en séance plénière sera désormais celui de la commission parlementaire et non plus la version initiale du gouvernement. Pour peu que les commissions puissent « travailler avec des consultants », qu’elles systématisent les « études d’impact » des textes en discussion, qu’elles s’annexent les experts des directions des ministères concernés ou le secrétariat général du gouvernement, un nouveau parlement pourrait naître. Un « comité d’évaluation et de contrôle » réunissant l’ensemble des commissions en serait l’accomplissement. Cette sympathique vision est fortement contredite par une sociologie élémentaire de l’institution sous la V° République. Elle oublie que plus d’un tiers des membres de commissions n’y siègent jamais ; que le Parlement est d’ores et déjà bardé d’offices d’évaluation des choix technologiques et autres ; que l’Etat est bien fourni en Cours et Chambres d’examen des comptes publics mais que le Parlement n’en fait pas usage ; que les ministres annoncent tous les jours le dépôt d’un de leur texte baptisé « proposition de loi » parce qu’un député de passage accepte d’en faire le portage (ainsi avec le texte sur le travail dominical dont le retrait était présenté par Coppé comme un trophée). Alors pourquoi tant d’efforts ? Voltaire a peut-être une explication (Chapitre XIV) : « L’Ingénu faisait des progrès rapides dans les sciences, et surtout dans les sciences de l’homme. La cause du développement rapide de son esprit était due à son éducation sauvage presque autant qu’à la trempe de son âme ; car n’ayant rien appris dans son enfance, il n’avait point de préjugés ; son entendement, n’ayant point été courbé par l’erreur, était demeuré dans toute sa rectitude ». Un grave problème ne lui a pourtant pas échappé, celui de l’absentéisme chronique des députés de la Nation. On pouvait espérer qu’il s’en saisisse et devienne un champion du mandat unique. Que nenni. C’est au contraire à une véritable apologie du cumul des mandats que Coppé se livre en mobilisant tous les lieux communs énoncés depuis des années sur ce sujet par les cumulards eux-mêmes. Il a même réussi l’exploit de cumuler ses responsabilités avec une activité d’avocat dans un important cabinet parisien en se spécialisant dans la médiation. Vieille histoire que celle du poids de l’habitude sur laquelle vient se briser un si bel élan : « Les idées qu’on nous donne dans l’enfance nous les font voir toute notre vie comme elles ne sont point » (Voltaire).
Mais l’ambition de notre moderne Huron est plus haute encore puisqu’il annonce un changement de régime qu’aurait remarquablement réussi Nicolas Sarkozy. Faisant rapidement litière des « définitions des constitutionnalistes pointilleux », il voit s’installer un « régime présidentiel de fait » depuis la réforme du 21 juillet 2008, « tenant compte de notre histoire et de nos spécificités » et produisant un système supérieur à tous les autres ; notamment à celui en vigueur depuis deux siècles « de l’autre côté de l’Atlantique où la concurrence des pouvoirs tourne parfois à la neutralisation respective et à l’impuissance politique au niveau fédéral ». C’est que selon lui, il ne faut pas voir dans le Parlement un « contre-pouvoir mais seulement un pouvoir ». Passons sur cette manie du personnel politique français de se prendre pour le centre du monde institutionnel démocratique alors même que nous en sommes plutôt une curiosité exotique. Coppé prononce donc l’éloge funèbre du gouvernement, faisant comme si Sarkozy n’avait justement pas du abandonner sa prétention exprimée à la Convention de l’UMP d’avril 2006 et rééditée lors de l’installation du comité Balladur, à savoir supprimer les articles 20 et 21 de la Constitution qui fondent la dyarchie de l’Exécutif dans la V° République. Pour faire oublier ce monumental obstacle à l’avènement d’un authentique régime présidentiel, l’heure est donc à l’apologie des conseillers de l’Elysée, « extrêmement professionnels » et possédant plus de pouvoirs que les ministres. Le secrétaire général Claude Guéant n’a-t-il pas annoncé les priorités présidentielles dans une grande interview à La Tribune la veille de la déclaration de politique générale du Premier ministre devant l’Assemblée Nationale le 3 juillet 207 ? L’aveuglement est total devant cette dissolution du principe élémentaire de responsabilité qui est au fondement d’un système démocratique : « Le Président a d’emblée montré que c’était lui qui décidait sur tout, et pas seulement sur l’essentiel. (…) Les ministres peuvent devenir davantage des managers de leurs administrations respectives, des directeurs de filiale patronnant leur entreprise » (pp 185-86). On a bien lu : ce n’est plus seulement la louange de l’hyperprésidence mais l’aveuglement devant l’égoprésidence dont il n’est pas si sûr qu’elle produise les effets attendus par Coppé à l’avantage du Parlement. L’enterrement du Premier ministre a déjà connu de remarquables accrocs. Un exemple : le mardi 17 mars dernier, François Fillon préférait recourir à l’antique article 49, alinéa 1 pour engager sa responsabilité devant l’Assemblée et forcer ainsi la main des « hyperdéputés » dans le vote sur la réintégration de l’OTAN. Et pourtant le nouvel article 50 alinéa 1 était entré en vigueur et permettait un libre débat sur des questions de défense. En réalité le Premier ministre a ainsi protégé le domaine réservé du chef de l’Etat en muselant la majorité. Cette efficacité contraste avec les ratées procédurales (depuis les OGM jusqu’à Hadopi) que Coppé semble aimer à collectionner.
De fait, ces épisodes rappellent la dérive de la V° République s’éloignant toujours plus au gré de toutes les présidences et sauf en cohabitation, d’un régime élémentaire de contre-pouvoirs. Rien dans la révision de 2008 n’est venu l’enrayer. Quant à l’instauration d’un régime présidentiel qui pourrait en être l’expression, on mentionnera trois obstacles bien français. D’abord l’actuelle République a renoué depuis maintenant cinquante ans avec la plus vieille tradition bonapartiste de la France. Celle-ci s’est infiltrée dans les moindres détails et s’est étendue dans la Constitution révisée. Elle a construit une hyper puissance qui nous a habitué à l’irresponsabilité totale du Président. L’instauration d’un vrai régime présidentiel officialiserait cette tendance qu’aucun rétablissement des droits du Parlement ne pourra rééquilibrer. Ensuite, deuxième obstacle, la France est un des pays les plus en retard en matière de décentralisation. Elle paye ici aussi un tribut à l’histoire du centralisme napoléonien. Malgré les efforts de la gauche dés 1981, la régionalisation est restée chétive. Autrement dit, il n’existe pas en France de véritable contre-pouvoir territorial au pouvoir central comme dans beaucoup de démocraties européennes : l’Allemagne, l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Italie. Un régime présidentiel risquerait fort d’aggraver ce déséquilibre qui est un « mal français ». Enfin, troisième problème, la France est d’ores et déjà, avec son actuel régime semi-présidentiel, une anomalie dans l’Union européenne. Partout ailleurs (et même là où on élit le Président au suffrage universel, notamment en Autriche, Finlande, Irlande, Islande, Portugal), le « bien commun constitutionnel » est celui d’un régime où le Premier ministre appuyé sur une unique majorité parlementaire est ainsi responsable devant les électeurs qui choisissent celle-ci ou la renvoie. Cette exception française est une entrave au bon fonctionnement des institutions des Etats comme de l’Union et à leur compréhension par l’opinion publique.
Pour conclure on soutiendra que si nous sommes passé à une V° bis c’est pour voir advenir un régime de plus en plus déséquilibré tant dans les rapports entre les différents pouvoirs qu’en son sommet. Ni le gouvernement ni le Premier ministre n’ont disparu : ils conservent un pouvoir qui garantit une dimension parlementaire à ce régime bâtard. Or Jean François Coppé parle une novlangue parlementaire pour mieux encenser le Président de la République : « La posture de Nicolas Sarkozy est à mes yeux une réponse directe aux souhaits actuels de nos concitoyens » (en fait 34% à ce jour). Lequel avait commenté très directement l’annonce des ambitions élyséennes du président du groupe UMP : « Avant de sauter 2,40 mètres en hauteur, il faut savoir passer 1,80 mètre. » Ce qui n’était pas si mal vu à l’endroit de quelqu’un qui commença sa carrière parlementaire en succédant à Guy Drut. Mais laissons le dernier mot encore une fois à Voltaire (Ch. XI) : « Qu’il est dur, disait l’Ingénu, de ne commencer à connaître le ciel que lorsqu’on me ravit le droit de le contempler ! Jupiter et Saturne roulent dans ces espaces immenses ; des milliards de soleils éclairent des milliards de mondes ; et, dans ce coin de terre où je suis jeté, il se trouve des êtres qui me privent, moi, être voyant et pensant, de tous ces mondes où ma vue pourrait atteindre, et de celui où Dieu m’a fait naître ! » Allons le Huron, 2017 ce n’est pas si loin.