De débat sur la crise de régime, il n’y en a pas vraiment. La majorité des constitutionnalistes de médias reste sur son Aventin. Les prestations des « journalistes politiques » sont parfois l’occasion de spectacles drolatiques (Ainsi ce lundi 6 octobre celles simultanées de Patrice Duhamel sur « C à vous », et de son frère Alain sur « Quotidien » : pour le premier « il y a peut-être une crise de régime mais il n’y a pas de définition dans le Larousse » ; et pour le second, « on n’en est pas loin. Le système s’épuise, part dans tous les sens ». Aussitôt corrigé par J.M. Aphatie : « mais le système est bon ». Ah, mais…). L’horizon reste figé à la ligne bleue de la Constitution de 1958.
On n’a cessé ici de documenter la dite crise, dès le 19 juin 2024 et au cours de onze billets de ce blog. L’un d’entre eux, le 10 juillet était consacré à « La gauche et la crise de régime ». Il n’y a hélas rien à y changer, sauf que les craintes d’enlisement de ce qui était encore le Nouveau Front Populaire, se sont confirmées.
Aucune des propositions qui formaient timidement alors le programme de la gauche rassemblée, n’a été reprise au cours de ces dix-huit derniers mois. Force est donc de s’en tenir aux deux sujets qui ont occupé le champ des revendications constitutionnelles des deux formations qui les ont portées jusqu’à la démission précoce de Sebastien Lecornu.
Il y en a deux : la suspension de l’article 49-3 par le Parti socialiste et la destitution du président de la République par la France insoumise.
La suspension du 49-3 visait l’usage (23 fois) de cet article par le gouvernements Borne qui a donné une nouvelle dimension à cette disposition : elle servait jusque là à contraindre une majorité problématique (telle celle du gouvernement Rocard en1988-91) à confirmer son soutien fut-ce passif, au gouvernement. Désormais le 49-3 est devenu l’arme ordinaire d’un Exécutif minoritaire contre les oppositions parlementaires, incitées à multiplier les amendements ou les motions de censure. La disparition du « fait majoritaire » en a fait l’emblème d’un « présidentialisme minoritaire ». D’où son impopularité massive dans l’opinion, surtout après son application extensive à des textes budgétaires de tous ordres, relativisant sa définition restrictive par la révision de 2008.
Le PS avait donc quelques raisons d’en demander la mise à l’écart. A condition d’en préciser les conditions de sa réforme dans la panoplie des mesures servant à « caporaliser le parlement » (Boris Vallaud). Sébastien Lecornu, en solennisant le 3 octobre l’annonce sur le perron de Matignon, de son « renoncement (…) pour ne pas passer en force », au moins pour l’adoption du budget a d’évidence, pris de court les socialistes. Lesquels sont passés à autre chose comme condition à leur non censure du nouveau gouvernement.
Or c’était l’occasion de mettre le pied dans la porte d’une reconsidération du « parlementarisme rationalisé ». Dans ce cadre , comme c'est le cas à peu près partout en Europe, les procédures d’organisation du travail des Assemblées ont connu, durant la dernière décennie une «modernisation »: elles sont passées des mains du gouvernement à ceux des assemblées. Ce sont les présidents de celles-ci, la conférence des présidents, de groupes, de commissions qui jouent le rôle de contrôleurs des pouvoirs parlementaires et de leur mise en oeuvre. Le choix n’était donc pas tant la suppression pure et simple du 49-3, que son réagencement dans la perspective d’une majorité à l’Assemblée nationale. La gauche n’a visiblement pas réfléchi à ce que seraient les modalités de son exercice du pouvoir parlementaire si elle devait l’exercer un jour. Dommage.
La destitution du président de la République est réclamée à toute occasion par la France Insoumise. La révision de 2008 a mis fin à la rédaction de 1958 qui prévoyait une mise en accusation du chef de l’Etat pour « Haute trahison », une incrimination mal définie et dépassée. La nouvelle formulation (des articles 67 et 68) vise un « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour ». Cela peut donc concerner une violation flagrante de la Constitution, Mais il faut que deux tiers des assemblées réunies en Haute Cour s’entendent sur l’impossibilité pour le président de persévérer dans ses fonctions. Cela suppose de réunir des majorités spécifiques, préalables à la décision de réunir la Haute Cour.
Autant dire que la sollicitation de ces textes par J.L. Mélenchon est un détournement de leur objet, une démarche vouée à l’échec (un de plus), bref une opération de communication sans lendemain. Sinon une manière de revendiquer une élection présidentielle ici et maintenant, véritable obsession du candidat toujours prêt à partir en campagne sur le mode « moi ou les fachos ».
On en est là. . Une autre voie était possible, susceptible de rassurer, si ce n’est mobiliser les citoyens. Et aussi de mettre en chantier la démocratisation des institutions.
Pourquoi ne pas revendiquer le gouvernement pour qu’il « propose au président de la République » d’utiliser, à cette condition, un des pouvoirs propres qu’il détient, celui de recourir à un référendum prévu à l’article 11 de la Constitution ? L’invocation de cet article par M. Le Pen en 2022 pour gouverner de manière inconstitutionnelle n’a pas suffit pour en disqualifier l’usage réformateur, tel que celui qu’en fit le général De Gaulle en 1962. Une brochette imposante de constitutionnalistes (et la Convention pour la 6° République), ont depuis plusieurs années défendu un tel processus, augmenté de ressources démocratiques mobilisant la souveraineté populaire constituante. Sans être un « grand soir » de la V° République, il pourrait porter sur un simple changement des articles 8 (le président de la République nomme –et donc révoque quand et comme bon lui semble- le Premier ministre) et 12 (il prononce seul la dissolution de l’Assemblée nationale). C’est le Premier ministre qui deviendra le titulaire de ces droits qui définissent un rapport équilibré entre le Parlement et l’Exécutif comme partout ailleurs dans l’Union Européenne. Ce ne serait sans doute pas l’avènement d’une 6° République, passablement oubliée d’ailleurs dans le discours des gauches (même radicales). actualisant les aspirations démocratiques d’une société et de nouvelles générations. Mais ce serait une vraie transition vers un nouvel équilibre des pouvoirs, avec un parlement retrouvant enfin tous ses droits.
Serait-ce trop attendre de la gauche qu’elle sorte de son impasse morcelé et mortifère, pour donner quelques espoirs à ses électeurs au moins ?