La date approche (le 7 juin) de la célébration de la « journée de Jérusalem » telle que décrétée par le gouvernement Israélien en 1968 pour imposer l’idée que la ville serait un jour la « capitale une et indivisible de l’Etat d’Israël».
Cette célébration est tellement contraire à l’état du droit international qu’elle est restée confinée, en France à des fêtes privées de certains groupes communautaires ou religieux. La Ville de Montpellier déroge depuis 37 ans à la règle (le maire Georges Frèche s’étant proclamé « admirateur de Tsahal ») en soutenant publiquement cette initiative dans l’espace public municipal. Un débat public vient de se tenir avec un certain succès pour contester le bien-fondé de l’idée même d’une Jérusalem capitale du seul Etat d’Israël et donc de l’acceptation de l’annexion de Jérusalem-Est. « Jérusalem, le sacré et le politique » fut le sujet traité par Youssef Habache, directeur du Comité pour le Développement et le Patrimoine, Pierre Stamboul, co-président de l’Union Juive pour la Paix et moi-même en tant que Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Montpellier. On peut lire ici la trame de mon intervention:
Partons du premier partage de la Palestine, « recommandé » par l’ONU le 29 novembre 1947 : il prévoit la création d’un Etat arabe, d’un Etat juif et d’une zone internationale pour Jérusalem. Celle-ci (0,65% du Territoire) devait accueillir 105 000 Palestiniens et 100.000 Juifs. Ce plan ne sera jamais appliqué. Car cette date est aussi celle de la 1° guerre de Palestine déclanchée par la Haganah en application du Plan Dalet de l’Etat-major des forces juives. Elle dure presque 5 mois (jusqu’au 14 mai 48) et provoque la Nakba, l’exil forcé de 800.000 palestiniens soldé par la création de l’Etat d’Israël le 15 mai 48. Commence alors une 2° guerre qui oppose cette fois la Haganah aux armées des Etats arabes. Les Israéliens ne la reconnaissent pas comme telle en espérant ainsi escamoter l’expulsion au profit d’une guerre défensive contre une « invasion » arabe.
Ce rappel est essentiel pour en venir à la question de Jérusalem. En effet, la rhétorique qui l’emporte alors chez les Israéliens est que « les Palestiniens ne sont pas ici chez eux. Ce sont des intrus. Il faut qu’ils repartent ». Ce qui évite de soutenir l’indéfendable : « Nous allons chasser les Palestiniens de chez eux ». Pour cela, la mobilisation de textes sacrés comme les croyances messianiques juives deviennent essentielles. Et Jérusalem se trouve au centre de cette rhétorique fondée sur un double déni : du droit et de l’Histoire.
1 – Un déni du droit.
Aussi bien du droit international que des droits de l’Homme.
Au terme de la guerre de 1948, Israël établi sa souveraineté sur Jérusalem-Ouest, la Jordanie sur Jérusalem-Est (mais celle-ci n’est pas reconnue par la Communauté Internationale). Ces 6,4 km2 de territoire seront conquis par Israël au terme de la guerre des Six jours en 1967. En fait, c’est la partie de Jérusalem à l’est de la « ligne verte » (la plupart de ses quartiers ne sont pas à l’Est mais au centre la vieille ville et au nord ou au sud). La Knesset vote le 28 juin 1967 cette annexion de la partie arabe de Jérusalem qui est proclamée « capitale éternelle et indivisible d’Israël et du peuple Juif ». Mais l’ONU et toute la Communauté Internationale refusent de reconnaître ce vote et cet état de fait. Dès le 22 novembre 1967 la résolution 242 du conseil de sécurité (Etats-Unis inclus) qualifie cette annexion de « violation du droit international » et considère Jérusalem-Est comme un Territoire occupé. Cette condamnation sera régulièrement reprise par le même Conseil dans d’autres circonstances (par exemple les résolutions 252, 267, 446, 672).
Néanmoins, Israël y fonde ses premières colonies et y installera à partir de 1968, 210.000 colons. Le gouvernement va mener une véritable bataille démographique, le but étant d’atteindre la proportion de 75% d’habitants juifs à Jérusalem. Ils ne sont que 63% aujourd’hui. Irène Salenson (auteur d’une passionnante thèse; « Jérusalem, bâtir deux villes en une », Ed. de l’Aube-2014-) considère la bataille comme perdue ce qui a pour effet paradoxal de relancer continûment une colonisation qui s’est même aggravée. Le dernier rapport des diplomates de l’Union Européenne à Jérusalem (récemment publié –voir Mediapart 28 mars 2015-, comme depuis 15 ans par les consuls et consuls généraux des 28 pays-membres de l’UE dans les Territoires occupés à l’attention du Service Européen d’action extérieure de l’UE) dénonce « les politiques très restrictives sur les constructions palestiniennes à Jérusalem » ainsi que « les vagues de démolitions et d’expulsions, les mesures punitives comme la révocation des droits de résidence de Palestiniens seulement suspectés d’être impliqués dans des attentats ». En effet, les palestiniens de Jérusalem ne sont pas citoyens d’Israël ; ils n’ont que le statut de « résidents permanents », un statut que les palestiniens travaillant à l’étranger ou les réfugiés en Cisjordanie, perdent automatiquement. A ce jour près de 15.000 palestiniens de Jérusalem ont perdu leur droit de résidence. En outre ce droit de résidence (initialement accordé à la suite d’un mariage) est devenu révisable annuellement et exige la production d’un nombre grandissant de pièces administratives. 120.000 demandes de regroupement familial ont été refusées depuis 2000.
La municipalité de Jérusalem a mis en place un « régime de planification urbaine » qui réserve 35% de l’espace constructible aux colonies ; seulement 13% sont ouverts à des constructions palestiniennes et établit un régime d’exception (le Coefficient d’Occupation des Sols limite les immeubles de Jérusalem-Est à deux étages au lieu de huit à Jérusalem-Ouest). La conséquence en est que les Palestiniens évitent de demander des permis de construire (un sur trois est de toute façon refusé) : il manque 40.000 logements à Jérusalem-Est ; 33% des constructions l’ont été sans permis ce qui expose 93.000 palestiniens à voir leurs maisons détruites ou déplacées (20.000 l’ont déjà été ou sont menacées). Les 300.000 palestiniens de Jérusalem ont vu ainsi s’installer parmi eux 200.000 colons (sur les 540.000 recensés en Palestine en 2014) regroupés en mini-colonies ultra-religieuses et messianistes; près de 3000 bâtiments ont été mis en chantiers pour eux par la municipalité. Et le gouvernement israélien s’apprête à chasser les communautés de bédouins qui vivent à l’est de la ville pour les installer au nord de Jéricho et créer un habitat juif. Le résultat si ce n’est le but est de rendre impossible la vie à Jérusalem-Est tant pour y habiter et y travailler (40% de chômage chez les hommes) que pour l’accès aux services publics (8 bureaux de poste contre 42 à l’Ouest ; 102 écoles contre 437 à l’Ouest). L’objectif est de rendre impossible la solution des deux Etats toujours défendue par la Communauté internationale et les Palestiniens. Le Mur a déjà coupé complètement Jérusalem-Est de la Cisjordanie.
Ces pratiques sont autant de viols du droit international le plus ancien:
- - « l’altération et les atteintes au mode de vie des civils sous occupation militaire » interdite par les Règlements de La Haye de 1907.
- - « le transfert forcé » condamné par la 4° Convention de Genève de 1949
- - « l’implantation de population du pays occupant dans un territoire occupé » interdite par la même Convention.
Mais Israël a édifié une « théorie » selon laquelle ce droit humanitaire international de la guerre ne serait plus adapté aux conditions modernes des conflits. Un très connu professeur de Philosophie (sic) de l’Université de Tel-Aviv (Asa Kasher) est allé jusqu’à justifier les assassinats ciblés même sur des civils. Sa « doctrine » est devenue celle de Tsahal à partir de son idée qu’ « on doit garder les principes de Genève mais les interpréter différemment. Cela permet de créer de nouvelles normes en fonction des ennemis » (Le Monde 5 Mai 2015). Le résultat est un véritable désastre relevant du jugement des crimes de guerre ou contre l’Humanité que vient de dénoncer, ce lundi 4 mai, l’ONG « Rompre le silence » qui regroupe des anciens soldats de Tsahal (avec un rapport sur l’opération « Bordure protectrice » à Gaza du 8 juillet au 26 août 2014). Deux autres ONG Israéliennes (B’Tselem et Yesh Din) ont, depuis septembre 2014, cessé toute collaboration avec le parquet tellement les procédures d’enquêtes pénales n’ont donné aucun résultat. Il faut dire que depuis l’été dernier Jérusalem connaît une « Intifada municipale » comme l’a qualifié le quotidien Haretz. Peut-être la saisine de la Cour pénale Internationale changera-t-elle la donne en donnant enfin aux Palestiniens (y compris de Jérusalem) le droit d’avoir tout simplement droit au droit. Mais le problème restera celui d’une politique aveugle qui exige la reconnaissance du caractère juif de l’Etat d’Israël.
2 – Un déni de l’Histoire et du sacré.
Cette exigence (et non pas la question de Jérusalem comme l’ont prétendu les Israéliens) est celle qui a fait capoter les négociations de Camp-David en 2000 : Ehud Barak a fait d’elle un préalable absolu à toute discussion avec Arafat et Clinton. Il faut bien comprendre qu’Israël invoque ainsi une « essence éternelle » comme justification de sa présence sur la terre de Palestine. Autrement dit, ce n’est plus la reconnaissance de l’Etat d’Israël (proclamé unilatéralement « Etat des Juifs » en 1948) qui importe, c’est la reconnaissance de la terre de Palestine comme éternellement juive ; autrement dit c’est l’exigence du reniement des Palestiniens à leur existence sur cette terre où ils n’auraient jamais dû se trouver (et leur acceptation de la légitimité de leur expulsion en 1948). Voilà pourquoi Jérusalem tient une place stratégique dans ce raisonnement. Le sacré des hébreux tient lieu de politique.
Si de tout temps, l’ONU a voulu et veut toujours un statut international pour Jérusalem c’est que l’idée demeure qu’elle est la ville commune aux trois religions du Livre (monothéistes) et qu’elle ne peut être celle d’une seule, encore moins la capitale d’un seul Etat au nom de celle-ci. L’espoir est qu’elle puisse être la capitale de chacun des deux Etats, Israélien et Palestinien.
Les Israéliens opposent à cela leur vision religieuse et millénariste de Jérusalem. Ainsi Netanyahou déclarait-il le 25 mars 2010 devant l’AIPAC (le principal lobby pro-israelien au Etats-Unis) : « Jérusalem n’est pas une colonie, elle est notre capitale. Le peuple juif a construit Jérusalem, il y a 3000 ans et le peuple juif construit Jérusalem aujourd’hui. »
Or Jérusalem-Est, c’est :
- - pour le christianisme : le Saint Sépulcre (Golgotha et Basilique de la Résurrection) ; le Cénacle (lieux de la Cène et de la Pentecôte) ; les sanctuaires du Mont des Oliviers (de Gethsémani, du Dôme de l’Ascension et de Béthanie) ; la Basilique St Anne et les souvenirs des miracles du Christ ; des sanctuaires mariaux (Nativité de Marie, la Dormition, l’Assomption) ; les lieux des martyres de St Etienne et St Jacques ; sans compter les quartiers chrétiens de la vieille ville.
- - Pour l’Islam : la Mosquée AL-Aqsa (3° lieu saint de l’Islam ; l’Esplanade des Mosquées et le Dôme du Rocher (lieux de prière liés à Abraham et Mahomet, où est attendu le jugement dernier).
- - Pour le judaïsme : Sion (l’ancienne cité de David) ; le grand cimetière juif du Mont des Oliviers (où est attendue la résurrection des morts lors de la fin des temps) ; le Mont du Temple et le Mur des Lamentations, restes du second Temple sur le site de celui de Salomon et détruit en l’an 70 de l’ère chrétienne (c’est le lieu le plus saint du judaïsme).
Cette accumulation de croyances symboliques ne peut donc pas être ramenée à une seule d’entre elles.
En outre l’histoire et l’anthropoloqie ont depuis longtemps fait litière de la primauté d’une fondation religieuse quelconque de Jérusalem. On s’accorde sur une possible création de Jérusalem par les Cananéens (ancêtres des Palestiniens) entre 3000 et 2600 ans avant notre ère, mêlés à des jordaniens, des libanais, des syriens d’aujourd’hui. A cette époque, Jérusalem n’était pas habitée de manière permanente (elle aurait été même abandonnée durant les 900 ans précédant notre ère) ; elle n’a pu être de manière certaine aux yeux de l’archéologie, la « cité de David » et les juifs n’existaient alors même pas. Ils ont émergé d’une certaine classe sociale des Cananéens tout au long d’une période de plusieurs siècles. En toute hypothèse on ignore exactement quand le peuple juif a pu régner sur Jérusalem sauf peut-être avec le royaume Hasmonéen (dynastie qui parvint au pouvoir en Judée et que la tradition chrétienne appelle celle des Macchabées) qui rétablit le culte juif au Temple et dura de 164 à 37 avant JC.
Ensuite ce fut une longue succession de « présences » depuis celles des Romains, de Byzance, des musulmans puis des Croisés et encore avec Saladin, des musulmans jusqu’à la fin de la 1° guerre mondiale (soit un « règne » complet d’environ 1200 ans). Jamais Jérusalem ne fut capitale de quoi que ce soit jusqu’à ce que les Britanniques y installent en 1923 leur Government of Palestine pour exercer leur mandat.
Il n’empêche. Tous les dirigeants contemporains d’Israël (de Begin à Netanyahou) vont répétant qu’ "il faut rétablir les droits du peuple juif sur son lieu le plus saint ». Ils cautionnent les propos du rabbin Ariel, un des chefs de file du « réveil messianique juif » selon lequel : « Nous disposons dans les Livres de la Génèse et de l’Exode de renseignements extrêmement précis sur l’époque du Temple. Si nous voulons reconstruire le Temple, c’est qu’il est la solution pour la paix mondiale ».(voir l’ouvrage de Charles Enderlin, Au nom du Temple. L’irrésistible ascension du messianisme juif en Israël (1967-2012), Paris, Le Seuil, 2013)
De tels propos, une telle politique tournent le dos à l’histoire de la Région (la Palestine et les Lieux Saints). Ils rompent avec le droit international le plus ancien et le mieux établi. Plus que jamais il faut que l’ONU, l’UE, la France appliquent les résolutions qu’ils ont votées. Il faut distinguer Jérusalem « ville sainte » de dimension universelle et Jérusalem-Est où la colonisation doit cesser. Jérusalem garde sa vocation d’être la capitale de deux Etats, de Palestine et d’Israël. Jérusalem peut et doit être le lieu du dialogue entre les cultures, l’antichambre hautement symbolique de la paix entre les communautés et les peuples. Plus que jamais il faut empêcher une exploitation partisane, religieuse et sectaire de Jérusalem. Cela commence et passe par une rupture totale avec la célébration de Jérusalem « capitale une et indivisible de l’Etat Hébreu » qu’une Ville comme Montpellier se déshonore de soutenir.
Pour aller plus loin, on peut voir et lire le beau livre d’Elias Sanbar (Ed.), Jérusalem et la Palestine (Le fonds photographique de l’Ecole biblique de Jérusalem). Hazan, 2013 ainsi que « La Palestine expliquée à tout le monde ». Le Seuil, 2013, 100p.