Le 25 mars dernier il présentait le projet en ces termes : « un des lieux les plus importants de l’histoire de France, un repère, un symbole, une fierté. La bataille de Gergovie, c’est l’un des fondements de l’esprit et de l’identité de notre pays, avec sa dimension, ô combien héroïque. (Il faut) quelque chose de grand, à la hauteur du territoire et de cet héritage historique ».
Ce sera donc quelque chose qui ira chercher « entre 20 et 40 millions » (le montant total actuel du budget de la culture de la Région serait de 62 millions). Du grand, du lourd, et même du brutal (comme on dirait chez Michel Audiard). Mais il faut ce qu’il faut : à savoir décrocher le label « Grand site de France ».
Petit rappel : Gergovie est réputée être une victoire de Vercingétorix contre César en 52 avant. JC. La localisation de son site a toujours fait débat parmi les historiens et archéologues, de même que la nature de cette bataille.
Pour ce qui est du site, il était tombé dans l’oubli jusqu’au XVI° siècle, jusqu’à ce qu’un florentin le relance, à quelques kilomètres au sud de Clermont-Ferrand. Mais les Côtes de Clermont, au nord font aussi partie des hypothèses, soit un espace d’une cinquantaine de kilomètres carrés susceptible d’avoir pu abriter le « lieu sacré ». Les controverses n’ont jamais cessé (aujourd’hui encore sur l’emplacement des camps de César) malgré l’intervention décisive de Napoléon III.
Celui-ci (Badinguet, caricature dans le Charivari, devenue très populaire) se passionnait en effet pour Jules César, et ce pour des raisons politiques précises. D’abord, l’inspiration césariste du régime (le I° Empire) fondé par le grand oncle un demi siècle plus tôt. Ensuite la concurrence monarchiste toujours très active : en dépit de leurs querelles dynastiques (l’inénarrable Comte de Chambord est déjà là, au grand dam des Orléanistes, à prétendre au trône), ils s’accordent sur l’origine de la monarchie et Clovis comme père fondateur (481 après JC).
Une meilleure machine à remonter le temps ? Vercingétorix, mais c’est bien sûr ! Sa victoire contre César en 52 avant JC est une aubaine mémorielle, patriotique et quasi dynastique du bonapartisme.
Et voilà Badinguet lancé dans l’écriture d’une somme (trois volumes) sur César et sa « Guerre des Gaules ». Appuyée par tout ce que le système compte de « spécialistes » (Prosper Mérimée en tête), mais aussi par le travail d’une « Mission de la Commission de topographie des Gaules », l’ouvrage paraît en 1865. Il ponctue une vraie campagne de fouilles, engagées dès 1861, que Louis Napoléon en personne est allé visiter et soutenir dès juillet 1862. Résultat : par décret impérial (du 11 janvier 1865), le village de Merdogne (on ne rit pas !) change de nom, « à la demande de ses habitants » et devient Gergovie.
Reste la question du sens de la bataille elle-même. Les seules sources sont dans le récit par Jules César lui-même. C’est dire si les interprétations du sens de cette version peuvent varier, ce que ne se lasseront pas de faire les historiens, érudits régionalistes et même philologues (pour décrypter le latin de César). Une thèse sera soutenue en 1952 (Michel Rambaud, «L’art de la déformation historique dans les Commentaires de César »,. Université de Lyon). Pour résumer et pour beaucoup, Gergovie n’est « certainement pas une victoire de Vercingétorix » (Jean-François Géraud, César vainqueur à Gergovie ? CRESOI Université de La Réunion. 2008).
On a donc à faire à une de ces opérations typiques de la construction d’un mythe national dont la France se rend malade (Suzanne Citron, Le mythe national : l’histoire revisitée. L’Atelier, 2017). Faire comme si, enseigner, imposer l’idéal d’une Nation française des origines, matrice d’un Etat, dès la Gaule romaine et les Mérovingiens. Une version inventée de la tradition subsumant la rupture de la Révolution française. Cette historiographie est parfaitement anachronique. Elle ne tient aucun compte de l’avancée des recherches sur ces périodes (voir par exemple : Thierry Dutour, La France hors la France. L’identité avant la Nation. Paris, Vendémiaire, 2022).
Mais Gergovie a déjà pas mal servi : Vercingétorix a beaucoup été utilisé par l’école de la III° République pour devenir une légende des origines, servie aux indigènes de « la plus grande France », pour légitimer l’Empire colonial. Certifier un site de Gergovie restait essentiel, pour le confirmer comme celui d’une première grande victoire française. Les fouilles reprirent donc dans les années Trente (elles accentuèrent les doutes sur l'emplacement de l'oppidum gaulois). Elles reprirent en 1940.
Le Maréchal Pétain s’empara en effet de la cause. En août 1942, il passe en revue les activistes-soldats de la Légion Française des Combattants (la milice du Maréchal, dirigée par Xavier Vallat, ministre des Anciens combattants et Commissaire général aux Questions juives) . Leurs sections déposent des sacs de terre de chaque recoin de France mais aussi de chaque territoire de l’empire colonial. Dans son discours le Maréchal s’identifie à Vercingétorix sur le registre de celui qui « fait don de sa personne à la France malgré la défaite ».
Voilà donc ce que Wauquiez a entrepris de célébrer, en devenant un super-Badinguet en quelque sorte. Restent quelques questions.
Un "Musée archéologique de la bataille de Gergovie" (qualifié de "nouvelle génération") a ouvert en 2019, respectant la localisation dans la plaine de Merdogne. La Région l’a financé à hauteur de 1,5 millions d’Euros, à côté du Département du Puy-de-Dome, de l'Etat et de l'Union Européenne. Il fait le point sur toutes les connaissances acquises sur le site. Mais ses 800 m2 semblent trop petits à super-Badinguet.
La confusion règne sur le projet. S’il s’agit de décrocher le label « Grand site de la civilisation gauloise », il va falloir sacrifier aux conditions de la loi du 12 juillet 2010 qui précise que le label est « attribué par le (sic) ministre chargé des sites, subordonné à la mise en œuvre d’un projet de préservation, de gestion, de mise en valeur du site, répondant aux principes du développement durable ».
Or super-Badinguet a déjà annoncé la construction d’un téléphérique, mais aussi « d’un parcours-spectacle immersif », et des « reconstitutions grandeur nature ». Nous y voilà : le spectre du Puy-du-Fou, rode. Ce sommet du révisionnisme historique (voir le remarquable ouvrage de Florian Besson, Pauline Ducret, Guillaume Lancereau, Mathilde Larrère, Le Puy du Faux, enquête sur un parc qui déforme l’histoire. Les Arènes, 2022) aborde le sujet de la Gaule des origines. Tout y est faux : depuis Jules César traité comme un empereur (ce qu’il n’a jamais été) jusqu’au « peuple gaulois » (terme inventé au XIX° siècle) présenté comme une unité ethnique ayant survécu jusqu’aux Mérovingiens ou presque.
Pour Wauqiez,, « le projet consiste à protéger un espace historique remarquable relatif à l’histoire de la Gaule ». On ne savait pas qu’il était menacé. L’avenir des structures et associations culturelles de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, elles, le sont bel et bien.