Pour beaucoup, la « percée » électorale des fans de Marine Le Pen serait du en bonne part au savoir-faire de celle-ci, à une « dédiabolisation » réussie de son parti. Les électeurs seraient comme aspirés par cette entreprise, presque des victimes. Ne sont-ils pas pauvres, démunis, peu diplômés, inquiets de leur déclassement, etc. ? On ne s’attardera pas sur cette sociologie, souvent paresseuse qui depuis bien longtemps affirme que les ouvriers, les chômeurs, les anciens électeurs communistes (etc.) forment les gros bataillons des Le Pen. (Pour une bonne synthèse de ce qu’il en est, on lira « Les faux-semblants du Front National. Sociologie d’un parti politique » édité par S. Crépon, A. Dézé, N. Mayer. aux Presses de Science Po. cette année).
De plus, rares sont les analyses qui analysent les résultats en nombre de voix et non en pourcentage, véritable artefact grossi par l’importance de l’abstention. Les réponses sont à la hauteur de l’affolement. Nicolas Sarkozy prononce ce mardi à Rochefort un discours qui devrait faire date comme celui de Grenoble : « Le vote pour le Front national n'est pas un vote contre la République (…).Le vote pour le Front national n'est pas immoral parce que si c'était immoral pourquoi depuis 30 ans la République autorise ce choix ? ». Quant à Manuel Valls, il déclare ce même mardi que « voter Front National ne sert à rien ».
Ni moral, ni inutile, le vote des sympathisants du FN est un vote à dominante raciste et xénophobe. L’anti-islam vient s’ajouter à (plus que remplacer) l’antisémitisme. Pour s’en convaincre il faut lire le rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (et son excellente synthèse par Nona Mayer dans La Vie des Idées du 4 décembre). Portant sur des sondages depuis 1990 avec un échantillon de 6090 personnes, il en ressort que 82% des sympathisants FN se déclarent ouvertement racistes. Au gré de ces six vagues de sondages, ils l’assument de plus en plus.
L’arrivée de Marine Le Pen à la direction du parti n’a donc pas fait baisser ces résultats bien au contraire. Il s’agit certes de sympathisants déclarés, et non de tous les électeurs de ce dimanche 6 décembre. Mais ces sympathisants sont bien le moteur du vote et de la mobilisation vers les urnes, ceux qui demain siègeront en nombre dans les Conseils régionaux et deviendront les cadres du parti.
Nous sommes ainsi en présence d’un phénomène parfaitement analogue à ce que la France connut dans les années 1930 quand l’ethnocentrisme et la haine de l’Autre se propageant du cercle militant des Ligues devint un phénomène de masse. Avec une différence importante : les extrêmes-droite de l’époque, très divisées et concurrentes, étaient d’accord sur une haine de la III° République. Aujourd’hui Marine Le Pen aime et défend la V° République (voir mon billet ici du 25 février dernier : Marine Le Pen peut-elle être présidente de la République ? Avoir le courage d’avoir peur.).
Cette référence aux années Trente est généralement combattue par d’excellents esprits, comme si la peur du « point Godwin » (censé discréditer quiconque fait référence au nazisme sur un sujet qui ne s’y prête pas) les empêchait de penser le pire. La responsabilité des dirigeants de droite comme de gauche n’en est que plus grande. La législation anti-juive de Vichy, dés septembre 1940 ne fut pas imposée par les nazis. Il y a bien eu des « racines républicaines » de ce régime abject (comme l’a démontré Gérard Noiriel).
Aujourd’hui, non seulement il faut se montrer intransigeant et même intolérant vis-à-vis de l’électorat du Front National, mais il faut refuser les moindres révisions à la baisse de l’Etat de droit démocratique au motif de l’urgence et du terrorisme. Et il faut dimanche empêcher à tout prix l’accès du FN au pouvoir régional qui, du fait même de son insignifiance serait l’instrument d’une nouvelle banalisation de ce parti. Un parti dont la vérité est de préparer la Nation au retour de jours tranquilles à Vichy.