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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 10 décembre 2016

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Que vive le Premier ministre

La décision de François Hollande de ne pas être candidat à la prochaine élection présidentielle a suscité une avalanche de commentaires, notamment dans le champ de l’interprétation de cet acte dans le cadre des institutions et de l’histoire d e la V° République. Un état de l’opinion semble leur échapper.

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Pour certains, François Hollande aurait « désacralisé la présidence », accélérant un déclin de la fonction. Pour d’autres, il aurait au contraire « rehaussé l’institution » en la plaçant hors de portée des déchirements de la campagne qui s’annonce rude. Comme à l’accoutumée, les regards sont braqués exclusivement sur l’Elysée, épicentre de tous les pouvoirs. Et voilà son locataire regagner des parts de marché de popularité, accompagné qu’il est du chœur des laudateurs en tout genre saluant la « noblesse » de son geste.
Ces différentes versions esquivent une raison de fond à ce soulagement qui semble avoir saisi l’opinion : la fin d’une surpuissance qui n’avait pas ou plus les moyens de sa politique.  La fin d’une présidence source de défiance pour une société qui a tant besoin de confiance en elle. Est-ce limité à la présidence Hollande ?
La présidence de la République est devenue angoissante. Cela ne date pas de ce quinquennat. Cela est apparu au gré des cohabitations dés les années 1980. La crainte était avant qu’elles n’adviennent, que le conflit porté au sommet de l’Etat ne conduise à sa paralysie. L’expérience des deux cohabitations (1986-88, 1993-95) aidant, cette peur s’inversa. La troisième , la plus longue, celle du quinquennat (1997-2002) de Lionel Jospin à Matignon finit par rendre populaire ce partage du pouvoir.
On l’oublie, mais toutes les études de ces périodes  (notamment celles dirigées par Olivier Duhamel pour l’opus annuel de la Sofres, « l’Etat de l’opinion ») confirment l’engouement d’une majorité de Français pour ce retour à la lettre de la Constitution de 1958 : ce sont bien le gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » et le Premier ministre qui « dirige l’action » de celui-ci (articles 20 et 21). La division des pouvoirs au sein de l’Exécutif est ainsi apparue comme un progrès démocratique : elle a été la seule voie dans toute l’histoire de la V° République pour combattre la tentation de la monarchie présidentielle à laquelle ont cédé, dans des styles différents tous les Présidents sans exception. Tout s’est passé comme si « la population française appréciait davantage la cohabitation que ne le fait la classe politique » ; c’est ce qu’observait un chercheur québécois,  Antonin-Xavier Fournier qui avait consacré sa thèse en 2008 à la « cohabitation et l’avenir des institutions » (Presses de l'Université du Quebec).
Il en ressort que la fonction de Premier ministre est devenue populaire. François Fillon, martyrisé par Sarkozy en a tiré un certain profit lors des Primaires de la droite. Bernard Cazeneuve  ploie sous les taux de satisfactions consécutifs à sa nomination le 6 décembre dernier. Manuel Valls entre en campagne dans la Primaire socialiste avec des intentions de vote bien au-delà de ses 5% de 2011. Mais avant cela, une intéressante enquête Harris-LCP (2-4 novembre 2016) faisait apparaître que 66% des personnes interrogées étaient contre la suppression du poste de Premier ministre en cas de réforme constitutionnelle. Bref, l’envie d’un rééquilibrage  des pouvoirs par et entre les deux têtes de l’Exécutif gagne du terrain dans l’opinion. Ce dont ne semblent pas s’apercevoir les candidats à la Présidentielle dont la plupart semble vouloir se fondre dans le moule du présidentialisme.
Le paradoxe de cette évolution, c’est qu’elle aura connu une accélération  grâce à deux socialistes viscéralement attachés à conserver « l’esprit » des institutions de la V° République. Lionel Jospin d’abord. Contre le président Jacques Chirac qui revendique dés l’installation du gouvernement le 2 juin et jusqu’au 14 juillet 1997 un espace de décision incluant la sphère gouvernementale, il fait « un exposé dense de droit constitutionnel en plein conseil des ministres (du 16 juillet). Il rappela en substance la lettre même de l’article 20 de la Constitution ». C’est son directeur de cabinet de l’époque qui le rappelle (Olivier Schrameck dans « Matignon, rive gauche ». Le Seuil, 2001). Et il décrit parfaitement la parlementarisation heureuse du régime durant ces cinq années. Elle aurait pu s’accomplir avec le soutien de l’opinion sans cette volonté calamiteuse de Lionel Jospin d’établir le Quinquennat et d’inverser le calendrier des élections législatives et présidentielles.
François Hollande aura cultivé la même contradiction. A Gérard Davet et Fabrice Lhomme (« Un président ne devrait pas dire ça… ».  Stock, 2016) il déclare « vouloir changer le mode décision du pays. (…) En termes institutionnels notre système ne tient plus (…) Il sera nécessaire de procéder à un changement de Constitution. » (p.633). Intention surprenante venant de quelqu’un qui aura passé ces cinq années à dire et faire le contraire. Mais c’est pour se poser la question : « est-ce qu’il faut changer les institutions pour aboutir à un chef de l’Etat qui serait aussi Premier ministre ? (…). Il faudrait avoir une fusion président-Premier ministre » (p. 634). On cherchera en vain les mesures allant avec, en particulier dans le renforcement des contre-pouvoirs.  Son Premier ministre Manuel Valls ne lui en aura pas laissé le temps.
Cet aveuglement de socialistes au pouvoir comme les inflexions qu’ils auront imprimées aux institutions « à l’insu de leur plein gré », confirment à la fois les dégâts du présidentialisme dans l’histoire de la gauche française et la marche irrésistible vers un régime primo-ministériel.

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