Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

332 Billets

2 Éditions

Billet de blog 11 avril 2008

Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

Les socialistes chasseront-ils le Président du Parlement et de leur tête?

Paul Alliès (avatar)

Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L'avant-projet de réforme de la Constitution (voir l'analyse que j'en ai proposé sur l'édition "Une autre République est possible") est à l'examen du Conseil d'Etat. Le Bureau National du PS en a débattu ce mardi 8 avril. Et il a fait de la question du nouvel article 18 un "casus belli". L'article dit que "le Président de la République peut prendre la parole devant le Parlement réuni en congrès ou l'une ou l'autre de ses assemblées. Son allocution peut donner lieu, hors sa présence, à un débat qui n'est suivi d'aucun vote". Il y a là à la fois la survivance d'une antique législation et l'expression d'une incohérence de plus, la dernière en date de la V° République. Faut-il pour autant rabattre le débat sur le projet de révision sur cette question érigée ainsi en principe ?

Voyons d'abord d'où vient l'antique coutume: elle est dans le "cérémonial chinois" que vota l'Assemblée nationale le 13 mars 1873 contre Adolphe Thiers, Président de la République; un titre que l'Assemblée conservatrice lui avait concédé pour le récompenser d'avoir conduit l'écrasement de la Commune de Paris. Mais le sauveur d'une bourgeoisie apeurée exerçait, par son omniprésence à la Chambre notamment, un ascendant grandissant sur sa fraction parlementaire qui ne rêvait que de restauration monarchique. Et quand il apparut que Thiers devenait le champion du "régime qui nous divise le moins" (la République), l'Assemblée vota cette loi: elle décidait entre autres, que le Président ne pourrait communiquer avec elle que par des messages et ne pourrait plus entrer dans son enceinte. Deux mois plus tard, Thiers s'en va suite à un vote de défiance des députés. Mais la règle subsiste jusqu'à nos jours définitivement consacrée par une loi du 16 juillet 1875: plus aucun Président de la République ne pourra s'adresser directement à la représentation nationale ni entrer au Palais Bourbon ou au Sénat.

La V° République reprit cette tradition du message présidentiel lu à des parlementaires debout et muets. Elle en fit une prérogative personnelle (c'est-à-dire dispensée d'un contreseing ministériel qui était de règle jusqu'en 1958). De ce fait, aucun contrôle gouvernemental ne liant plus l'expression de la pensée présidentielle, nul débat ne pouvait suivre sa lecture. De Gaulle qui tenait beaucoup à ce droit aurait voulu aller au bout de sa logique et donc voir levé l'interdit de sa présence physique. Il n'obtint pas satisfaction, beaucoup parmi les siens craignant la réédition d'un "effet Thiers". Il en résultat une construction bâtarde de plus dans cette Constitution: le message présidentiel n'avait aucune valeur juridique mais pouvait emporter des conséquences politiques importantes; par exemple l'interprétation des pouvoirs de crise de l'article 16, telle que De Gaulle le fit dans son message du 25 avril 1961.

La présente revendication de Sarkozy épouse cette contradiction: dans un régime où les principes parlementaires sont confinés au cercle des assemblées, le Président veut marquer ce territoire par ce droit de parole incongru. Mais Sarkozy n'est ni Thiers ni De Gaulle et la caricature pointe à l'horizon. Les élus de la Nation vont-ils écouter debout et en silence l'oracle élyséen occupant leur tribune? L'inflation de ses apparitions sans règle ni comptabilité dans les médias devrait suffire à nous épargner une nouvelle invasion du pouvoir législatif; et aussi le simple souci d'une économie d'un ridicule supplémentaire dans un style présidentiel qui en est déjà saturé. Mais politiquement ? Faut-il passer par profits et pertes la vingtaine de mesures améliorant le travail législatif, attendues par la gauche depuis au moins l'enterrement du rapport Vedel en 1993 ?

C'est le risque que semble vouloir prendre le Parti socialiste; à moins qu'il ne s'engage sérieusement dans une négociation visant à obtenir l'introduction ou la réécriture de dispositions sur le Conseil Constitutionnel, la définition d'un régime de pluralisme garanti pour la presse et les médias, l'élargissement du droit au référendum législatif et quelques autres dispositions (sur le Sénat, l'introduction d'une dose de proportionnelle et le mandat unique). Autant de questions qui appellent une logique d'ensemble an faveur d'une République parlementaire que le PS n'a toujours pas tranché. Autant de questions qui mériteraient un débat dans l'opinion. Mais la V° République, césariste et plébiscitaire est ontologiquement hostile à la moindre démocratie participative et citoyenne. C'est là son indépassable nature; une nature que les socialistes en particulier se sont avérés jusqu'ici incapables de remettre en cause. Pour le faire ils devront chasser le présidentialisme moins du Parlement que de leur tête.

Paul Alliès

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.