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Billet de blog 13 octobre 2011

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Et si Sarkozy avait raison?

Nicolas Sarkozy a cru bon de s'en prendre à la Primaire citoyenne en invoquant le général De Gaulle qui n'aurait voulu «qu'une élection à deux tours» et que les Français ne soient pas l'otage des partis. Depuis, c'est une levée de boucliers générale des politologues et même de nombreux dirigeants de droite contre cette invocation.

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Nicolas Sarkozy a cru bon de s'en prendre à la Primaire citoyenne en invoquant le général De Gaulle qui n'aurait voulu «qu'une élection à deux tours» et que les Français ne soient pas l'otage des partis. Depuis, c'est une levée de boucliers générale des politologues et même de nombreux dirigeants de droite contre cette invocation. Sans nul doute approximative, elle pointe néanmoins assez bien le venin introduit par la Primaire dans l'esprit de la V° République.

De Gaulle définit précisément sa conception de l'élection du président de la République au suffrage universel direct dans son allocution du 4 octobre 1962 par laquelle il appelait les Français à adopter cette réforme par référendum: "Notre Constitution, disait-il, fait réellement du président de la République le chef de l'Etat et le guide de la France. Mais pour être en mesure de remplir une pareille mission, le président a besoin de la confiance directe de la nation".

Autrement dit, les prérogatives données au président étaient déjà là, dans le texte de 1958 mais l'élection directe devait venir s'y ajouter pour renforcer l'exercice bonapartiste de la fonction. Faut-il le rappeler ?; ce n'est pas parce que le président de la V° République est élu au suffrage universel qu'il joue le rôle que l'on sait, c'est parce qu'il joue ce rôle qu'il est élu au suffrage universel. Onze pays de l'Union Européenne élisent ainsi leur président; nulle part on ne trouve d'hyper-présidence à la française. Alors oui cette histoire allait avec la volonté gaulliste d'effacer l'écran des partis entre "le guide" et "son" peuple. Et si ces derniers ont repris leurs droits dans cette élection plébiscitaire c'est en s'y adaptant au risque de s'y perdre notamment à gauche et à l'extrême-gauche. Reste cette fascination pour la "rencontre d'un homme et de la nation" où la personnalisation absolue l'emporte sur les logiques partisanes.

C'est par rapport à cette tradition jusqu'ici intacte qu'il faut entendre les propos de Sarkozy. Ils expriment une triple crainte.

1) Dans la conjoncture présente, la Primaire a permis de régler la question du leadership dans le Parti socialiste. Posée depuis la disparition de François Mitterrand, elle taraudait la vie de ce parti sans qu'aucun de ses congrès ni la proportionnelle de ses courants, ni l'élection directe du/de la Premier(e) secrétaire ne parvienne à la régler. En l'occurrence la preuve est faite que l'investiture du ou de la candidate suffisamment tôt dans le calendrier de la présidentielle permet d'envisager le temps suffisant pour les discussions programmatiques avec les autres formations de gauche ainsi que la préparation des élections législatives. La gauche dans son ensemble en sortira renforcée.

2) Dans le système exagérément assimilé par celle-ci c'est le premier tour de la présidentielle qui faisait office de Primaire. On a connu jusqu'à dix candidatures manifestant la préoccupation principalement propagandiste (ou communicante) des partis escomptant au passage des financements publics et privés. On sait où cela a conduit le 21 avril 2002: à l'élimination pure et simple da la gauche dans un deuxième tour réservé à la droite et l'extrême-droite. La Primaire aide à surmonter cet obstacle: elle est une première mobilisation large contre Sarkozy. Les 2,7 millions d'électeurs qui y ont participé ont non seulement anticipé le premier tour de la présidentielle mais ils ont aussi enclenché une dynamique rassembleuse dont les candidats à la Primaire ont dû soigneusement tenir compte. Elle ne devrait pas disparaître d'ici mars 2012.

3) L'offre électorale comme disent les politistes s'en est trouvée transformée. Les six candidats en lice ont exposé des idées plus que leurs profils n'en déplaisent à la scène médiatique et sondagière. Ils ont crédibilisé l'idée d'une candidature collégiale en rupture avec ce fatum de "l'homme nécessairement seul avec son destin" s'il veut affronter cette "mère des batailles". Beaucoup ont relevé la stature possiblement ministérielle commune de ces candidats sans qu'ils soient obligés d'abdiquer leurs convictions. Cette collégialité a construit la légitimité du/de la candidat(e) finalement investi(e). Ce faisant la Primaire a ouvert la voie à une relative dépersonnalisation de l'élection limitée par la logique voulant donner de l'avance à un candidat sur l'autre au deuxième tour.

Pour ces trois raisons, la Primaire s'est imposée comme un nouveau droit démocratique donné aux citoyens dans une procédure jusqu'ici confisquée dés l'amont par la sphère oligarchique du pouvoir d'Etat. Elle n'est donc pas une adaptation de plus à la tradition bonapartiste de la V° République (en cela Sarkozy a raison) mais une ouverture sur son possible dépassement . Bien sûr cela ne mettra pas fin au présidentialisme lequel dépend de la conjonction entre des prérogatives abusives et l'onction plébiscitaire qui les couvre. Parmi les candidats à la Primaire, force est de constater qu'Arnaud Montebourg fut le seul à défendre la nécessité d'une 6° République mais aussi à illustrer ce que serait sa conception de la présidence s'il était élu: une présidence arbitrale, limitée, gardienne des contre-pouvoirs conforme à l'avènement d'un régime parlementaire primo-ministériel comme partout ailleurs en Europe. Il faudra suivre à la trace l'avenir de ce projet durant la campagne et encore plus après si victoire il y a.

Mais d'ores et déjà ces Primaires sont une promesse, inquiétante pour la droite bonapartiste, encourageante pour la gauche démocratique. Pour peu que celle-ci généralise cette procédure dans l'espace et le temps des élections parlementaires et locales, elle pourrait retrouver ainsi le début d'un chemin vers la société réelle.

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