L’organisation de primaires ouvertes à la gauche de gouvernement pour la présidentielle de 2012 fait, depuis deux mois l’objet d’un vrai travail, discret mais précis, à la direction du Parti socialiste. Le sujet a connu jeudi une publicité intéressante avec la tribune hebdomadaire d’Alain Duhamel dans Libération.
Le chroniqueur y pose une bonne question : l’adoption d’une telle procédure est de nature à rénover profondément le vieux Parti jusqu’à pouvoir entraîner sa disparition ; mais ne serait-ce pas au prix « d’entrer totalement, définitivement dans la logique présidentielle, dans la présidentialisation du parti et dans l’immersion du PS au sein de la logique consulaire de la V° République » ? Et la réponse ne tolère aucun doute : « L’adoption des primaires ouvertes, marque la fin des nostalgies de la république parlementaire ou de la république primo-ministerielle. C’est la « sarkozysation » du PS. »
Or rien ne permet d’établir une telle équation. Reprenons donc la question à sa racine : la formule de primaires à la française à laquelle travaille une commission du PS (voir La Lettre de la Rénovation n°4 sur: renovation@parti-socialiste.fr) tient compte de deux phénomènes : d’abord l’impossibilité pour des partis voulant promouvoir la démocratie sociale et politique de rester à l’état de micro-appareils quand le désir de participation et de communication traverse des champs toujours plus larges de la société ; ensuite l’assimilation de l’élection présidentielle par tous les partis y compris aux extrêmes laisse penser que les citoyens et l’électorat s’y sont attachés depuis maintenant 35 ans et 8 scrutins successifs.
La gauche doit résoudre une vrai contradiction entre un scrutin qui se donne comme populaire et une procédure plébiscitaire dans la stricte tradition du bonapartisme. L’élection présidentielle au suffrage universel direct est en effet indispensable à la reproduction du présidentialisme. Mais ce n’est pas parce qu’il est ainsi élu que le Président joue le rôle majeur que l’on sait ; c’est parce qu’il joue ce rôle qu’on l’élit au suffrage universel. Et n’oublions pas que si, dans dix Etats membres de l’Union Européenne, le peuple élit aujourd’hui le Président comme en France, aucun de ces chefs d’Etat n’a les pouvoirs exorbitants du nôtre.
Mieux les pays sortant des dictatures qui ont cru devoir importer le système français (en particulier le Portugal et la Pologne) l’ont abandonné au profit d’un régime primo-ministériel. L’automaticité que pose A. Duhamel n’est donc qu’une manière d’ériger une exception française en règle universelle. Comme si notre tradition maladivement bonapartiste devait s’imposer éternellement à la fois contre presque un siècle de République parlementaire et contre toute l'Europe réunie.
L’enjeu est effectivement majeur. Il s’agit de démocratiser la procédure de l’élection présidentielle pour mieux démocratiser un régime qui conserve un élément potentiellement contraire au présidentialisme : l’effectivité du pouvoir du Président, indépendamment de son élection populaire, dépend chez nous de l’existence d’une majorité parlementaire (ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis par exemple) ou de sa docilité (ce que théorise en ce moment Copé). Les partis ont donc un rôle gouvernemental et pas seulement électoral (comme aux Etats-Unis). D’où l’enjeu de leur implication dans ce travail de démocratisation qui doit commencer, à gauche, dès les prémices de la présidentielle avec les primaires ouvertes. Ils doivent s’attaquer à des problèmes parfaitement inédits en France où la tradition du parti éclairé ou d’avant-garde l’a toujours emportée chez les socialistes, les communistes et les révolutionnaires : qui peut être candidat ? qui peut être électeur ? quelles tâches pour les adhérents ? quels territoires servent de circonscriptions ? quelles règles pour la campagne ? combien d’étapes et de tours pour départager les candidats ? quel rassemblement des candidatures à la fin du processus ?
De la réponse à ces questions dépend un quasi changement de nature de l’élection présidentielle en tout cas pour la gauche contre qui celle-ci a été pensée. Au lieu de la diviser toujours plus au premier tour (le 21 avril peut se répéter sous des formes diverses), la primaire peut la rassembler. C’est une condition irréfragable pour que le candidat de gauche soit en tête au premier tour à condition bien sûr qu’il ait un projet agrégatif : au lieu de ces textes solennellement adoptés par la direction du parti pour être mieux oubliés ensuite par le candidat, pourquoi ne pas voir celui-ci porter une synthèse des propositions de ses ci-devant concurrents ? Le fait qu’à chaque moment de ces primaires, les militants d’abord et des millions de sympathisants aient prise sur un temps nécessairement long est la clé de la réussite.
C’est pour cela que les moindres détails de l’organisation des primaires ont des conséquences politiques considérables. En faisant de l’élection une entreprise collective massive ils réduisent considérablement le caractère « providentiel » de la ou du candidat. Obama a gagné le jour où il est passé du « je » au « nous » et où il a donné un contenu fédéral au « Yes, we can ! ».
Partant de là, il n’est pas interdit de penser que la question démocratique soit relancée y compris quant à la nature du régime. Sauf à confondre système présidentiel et présidentialisme, à fermer toutes les virtualités parlementaires pourtant inscrites dans le marbre de la Constitution, à nier la contradiction française de la dualité de légitimité, à considérer qu’aucun candidat ne défendra dans la primaire une évolution primo-ministérielle c'est-à-dire un rééquilibrage des pouvoirs, (toutes choses que fait allègrement Alain Duhamel) la dynamique des primaires ouvertes ne sacrifie pas au « bonapartisme de gauche » mais au contraire crée des conditions pour en finir avec lui.
Après tout, autant Lionel Jospin entre 1997 et 2000 que le rapport Jean-PierreBel commandé par Ségolène Royal en 2007 avaient crée des conditions précises à un changement de pratique comme de République. Il s’agit désormais que la gauche en tire les leçons et que ses partis aient l’audace du changement dont les primaires sont la promesse possible.