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Paul Alliès

Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 17 juin 2018

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Gauche du PS : une régression

Il avait rassemblé 19% des voix sur sa motion au congrès d’Aubervilliers du Parti socialiste en avril dernier. Emmanuel Maurel a organisé un colloque samedi 9 juin su Sénat : « Gauche, année zéro ».

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Tout en restant au PS, il va lancer une formation intitulée « Nos causes communes ». Sa démarche mérite au moins le respect, si ce n’est l’intérêt. Seulement, voilà : au fur et à mesure de son positionnement dans la reconstruction de la gauche, la définition de sa ligne politique soulève de sérieux problèmes. Elle ne cesse de se banaliser et de se replier sur d’antiques conceptions.

Au commencement, Emmanuel Maurel œuvrait à un regroupement des courants de gauche du PS. En soutenant Arnaud Montebourg dans la dernière Primaire, il confortait l’entreprise de modernisation du socialisme dans le cadre de l’élection présidentielle. Les initiatives et réunions qu’il a multipliées après l’arrivée d’E. Macron à l’Elysée, ne parvinrent pas à élargir ou recréer une base de refondation de cette tradition. Le texte (« L’ambition de gagner ») pour le congrès du PS se montrait singulièrement court sur « la critique des institutions de la V° République et l’acceptation du présidentialisme », cause pourtant organique de la déchéance de ce parti. Là git sans doute un problème essentiel : celui de l’ambiguïté entretenue sur la République comme thème marqueur d’un nouvel espace politique. Sans doute Emanuel Maurel n’était-il pas responsable du silence entretenu sur les questions de la laïcité et du républicanisme (version franco-française), par les frondeurs et la motion « A gauche pour gagner » du congrès de Poitiers (2015). Cela était acceptable dans la mesure où la reconstruction d’une quelconque gauche du Parti socialiste appelait alors une prise en considération théorique (et pas que politique) des sensibilités qui se différenciaient sur ces sujets. Cette condition était d’autant plus nécessaire que quelqu’un comme Manuel Valls amorçait une hystérisation identitaire sur la question.

Un signe cependant allait à l’encontre de cette appréciation contextuelle: la signature par Emmanuel Maurel du manifeste (Pour un Printemps républicain) lancé en mars 2016. Initié par Laurent Bouvet et des journalistes de Causeur ou Marianne., on pouvait y lire : « Pour nous, la République n’est ni un simple régime, ni la projection dans les institutions des opinions et croyances de la société. (…) La laïcité est le ciment du contrat social républicain qui ne se résume pas à la neutralité de l’Etat. (…). La Nation est à la fois une histoire et un destin communs. » C’est un texte de définition du laïcisme comme idéologie politique d’un courant faisant litière de l’actualité des discriminations et ségrégations sociales et culturelles.

Outre, les silences du texte de congrès déjà cité, on retrouve des développements de cette idéologie dans une texte d’Emanuel Maurel du 29 Mai dernier, intitulé : « Contre-feux républicains ». Extraits : « Religions et communautés sont convoquées à la rescousse de l’individu libéral, solitaire et atomisé. (…). La stigmatisation macroniste du « mâle blanc » rejoint celle d’une partie du camp « progressiste » qui a fait du stéréotype du genre et de couleur une des figures du mal (et a) abandonné la lutte des classes au profit de la survalorisation de la « diversité » et de l’exaltation du multiculturalisme. (…). Il est donc temps d’allumer partout, des contre-feux. En reprenant à notre compte une conception militante de la République : à la fois une forme de gouvernement et un contenu philosophique (…). La Nation se confond avec « la République une et indivisible ».

Il y aurait beaucoup à dire sur cette vision schématique et trompeuse de la République (voir les travaux de Michèle Riot-Sarcey, par exemple avec Claudia Moatti, La République sans tous ses états, paru il y a déjà une décennie). Mais rien dans ce texte ne fait sa place au changement nécessaire et préalable de République pour quiconque veut réaliser un programme démocratique « jusqu’au bout ». La question démocratique est d’ailleurs singulièrement absente de tous ces développements. Tout se passe comme si Emmanuel Maurel relayait purement et simplement les analyses de Régis Debray opposant radicalement (dès 1989) République et démocratie. La responsabilité historique d’une telle théorisation, particulièrement erronée et dangereuse, a accompagné le silence et l’inaction de la gauche pour une société et un régime où la République serait synonyme de démocratie. Ce combat a un nom, c’est celui de la revendication d’une 6° République qui ne se limite pas à une ingénierie juridique de la « forme de gouvernement ». Qu’elle ait disparue des textes d’Emmanuel Maurel semble la suite logique de son évolution idéologique. Elle s’incarne dans une sorte de relai du chevènementisme des origines dont on ne puisse dire qu’il a renouvelé le corpus politique d’une gauche moderne. La liste des intervenants au colloque du 9 juin faisait une large place à l’état-major du MRC. Et sur le sujet de la « République, des paroles aux actes (Citoyenneté, Souveraineté, Laïcité) », intervenait en bonne place une des figures de l’obscurantisme identitaire de la laïcité. Personne, susceptible d’émettre une opinion dissidente ou critique n’était programmé.

C’est un rubicon qui a été franchi. 

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