Le débat sur la rénovation du Parti socialiste se poursuit dans les fédérations. Celle du Tarn le faisait courageusement jeudi soir à l'heure même du match France-Mexique. Une soixantaine de militants ont longuement discuté principalement des primaires.
C'était à Réalmont au centre du Département à quelques encablures d'Albi. Et il y régnait une ambiance "alibigeoise", référence faite à cette révolte qui marqua le pays à l'orée du XIII° siècle contre les "barons du Nord". Paul Quiiès campait Raymond VII de Toulouse fondateur de Cordes dont il est aujourd'hui le maire, son seul mandat. Mitterrandiste historique, plusieurs fois ministre (de la Défense et de l'Interieur notamment) et parlementaire, il anime un club "Gauche Avenir" auquel participe Jean-Pierre Chevènement. Membre du Conseil national du PS il est l'un des trois qui, le 8 juin, a voté contre le rapport sur la rénovation.
Il ne supporte pas les Primaires. D'abord elles renforceraient l'acceptation de la présidentialisation de la V° République par les socialistes; ensuite elles conduiraient à un effacement du parti devant les électeurs; enfin elles mettraient le choix du candidat de gauche sous l'influence des militants de droite. Il met donc une condition à leur organisation: "obliger les autres partis de gauche à y participer" en définissant préalablement avec eux une "plate-forme commune".
Beaucoup des nombreux intervenants font spontanément écho à ces considérations souvent en les schématisant. Il vaudrait mieux " dévaloriser l'élection du Président au suffrage universel" (François); faire passer "les idées avant les personnes" (Laurent); laisser "les partis désigner leurs candidats" (Martin); refuser que "les électeurs de droite puissent participer au scrutin" (Sabine). Pierre, le benjamin de l'assemblée, se fait le meilleur avocat à la fois des Primaires et du nouveau Parti socialiste qu'il voit naître de cette rénovation. Et il est soutenu par Gérard, le premier Fédéral et Alain, le secrétaire de section de Réalmont, chaud partisan d'une 6° République. Leurs réponses (et la mienne) prennent au sérieux chacune des objections: il est faux d'imaginer un électorat de gauche discipliné par ses partis; la tendance est à l'électorat flottant et à l'abstention parmi les couches populaires. C'est celui-là qu'il faut conquérir dans les Primaires; et pourquoi pas les électeurs "centristes" qui tétanisent tant les socialistes quand Bayrou les vole au Parti socialiste ? La conquête d'une opinion mobilisée, voilà la promesse des Primaires: les candidats défendront leurs idées face aux pays tout entier à travers des millions de sympathisants et c'est autre chose que de le faire devant 250.000 adhérents. Car c'est bien avec des idées qu'il faut convaincre les électeurs et c'est tout autre chose que de les laisser seuls devant les combinaisons d'appareils, les projections des instituts de sondages et le caprices de la scène médiatique. C'est bien une formidable politisation que peuvent produire les Primaires. Elles seront donc un coup porté au bonapartisme de l'élection présidentielle dans la V° République car elles sont un nouveau droit électoral capable de perturber la construction plébiscitaire de la fonction présidentielle. Enfin comment faire la fine bouche sur la promesse qu'elles portent, celle d'une union des gauches contre la droite et Sarkozy ? Toutes les formations seront placées devant leurs responsabilités pour que ne se reproduise pas un 21 avril 2002 (quand la gauche fut éliminée du 2° tours de la Présidentielle). Accepter les Primaires c'est s'engager dans une parlementarisation du régime en faisant de leurs résultats un instrument transparent pour la répartition des circonscriptions pour les législatives dans la perspective d'un contrat de législature.
Cet échange a permis d'éclairer quelques questions de fond, en particulier celle de l'invention d'un nouveau parti socialiste, ouvert aux citoyens, confiant dans les capacités du peuple de gauche, capable de réhabiliter la politique dans les couches populaires et la jeunesse. Il faut en concrétiser l'idée sans délai et c'est la limitation stricte du cumul des mandats, l'avènement de la parité effective comme de l'égalité réelle dans les investitures, la formation de majorités claires dans les congrès qui en sont les gages. Il est après tout normal de voir des militants se raidir devant la cohérence de ce changement. Ils gardent la nostalgie du "parti éclairé", celui qui a le monopole de la fabrication du programme et de la sélection des candidats. Or cette forme est historiquement dépassée. L'avenir est dans la redéfinition des pratiques animées d'une exigence démocratique et culturelle nouvelle, en rapport avec les mutations sociales, avec l'émergence de nouvelles questions majeures comme la crise écologique, et avec l'usage de nouveaux outils de communication qui brisent le monopole sur l'information dont se nourrissaient les grands appareils bureaucratiques. C'est bien une vaste crise morale qui atteint tout autant les individus comme leurs organisations, la société comme le parti socialiste. La rénovation de celui-ci a donc partie liée avec le changement social et politique en général. C'est ce dont les Albigeois doivent se convaincre. Il témoignent de la nécessité du débat qui devra se poursuivre au-delà de la Convention.