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Billet de blog 20 mars 2008

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La société de cour

Ce mercredi 18 mars s'est joué un drame aux apparences très parisiennes: Georges-Marc Benamou, ci-devant conseiller de Nicolas Sarkozy est officiellement nommé par celui-ci à la direction de la Villa Médicis, siège de l'Académie de France à Rome. Olivier Poivre d'Arvor auquel ce poste avait été promis le 21 décembre dernier,

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Ce mercredi 18 mars s'est joué un drame aux apparences très parisiennes: Georges-Marc Benamou, ci-devant conseiller de Nicolas Sarkozy est officiellement nommé par celui-ci à la direction de la Villa Médicis, siège de l'Académie de France à Rome. Olivier Poivre d'Arvor auquel ce poste avait été promis le 21 décembre dernier, a adressé au Président une lettre cinglante mais néanmoins ouverte et pleine de dépit (à lire dans le "Prolonger" de l'article de Mediapart sur cette nomination, par Antoine Perraud : c'est ici).

Le bruit court que ce coup de force conduit de main de maître par un Benamou en disgrâce serait le prix de son silence sur les secrets élyséens qu'il aurait eu à connaître ces derniers mois (on sait comment le personnage s'est fait un nom dans ce genre de récit sans scrupule). Cet épisode pourrait n'être qu'un sujet de plaisanterie de plus sur les moeurs en vigueur au sommet de l'Etat au moment même où son chef annonce qu'il en a changé. En réalité, il s'agit d'une incongruité constitutionnelle qui date des origines de la V° République. Elle concerne les pouvoirs de nomination du Président de la République.

L'article 13, alinéa 2 de la Constitution dispose que le Président de la République "nomme aux emplois civils et militaires de l'Etat". Ce sont pour l'essentiel les conseillers d'Etat, les ambassadeurs, les conseillers maîtres à la Cour des comptes, les préfets, les recteurs, les officiers généraux, les directeurs d'administration centrale qui sont nommé en conseil des ministres. Et le même texte prévoit qu'une "loi organique détermine les autres emplois" et les formes dans lesquelles ils sont pourvus.

Quelques semaines à peine après l'adoption de la Constitution, une ordonnance portant loi organique était adoptée le 28 novembre 1958. Elle étendait la liste de l'article 13 aux emplois de procureur général, de direction des établissements et entreprises publiques; et elle précisait que les magistrats de l'ordre judiciaire, les professeurs de l'enseignement supérieur, les officiers, les élèves de l'ENA et de Polytechnique à leur "prise de corps" seraient nommés par décret simple du Président.

Plusieurs juristes firent remarquer à l'époque que cette disposition était en contradiction avec l'article 20 de la Constitution qui fait du Premier ministre le chef de l'administration et qui est donc privé du droit de nomination, y compris aux emplois discrétionnaires. Et le Général De Gaulle ne se priva pas d'élargir le champ de ses interventions jusque dans les domaines où le pouvoir de nomination était délégué aux ministres. Si Pompidou a tenté de contenir cette expansion du pouvoir de nomination, Giscard d'Estaing a renoué avec le bon plaisir gaullien en promouvant ses proches tous azimuths. François Mitterrand, au motif qu'il fallait prévoir la cohabitation publia le décret du 6 août 1985 qui étendait la liste des nominations à la direction d'établissements et entreprises publiques nécessitant la signature du Président: 168 emplois nouveaux (de la SNCF à l'opéra de Paris) tombèrent ainsi dans l'escarcelle élyséenne.

Ils n'en sont évidemment jamais sortis. Si bien que la France est le seul pays d'Europe à connaître un tel système de confusion des pouvoirs et surtout de contrôle personnel d'un nombre considérable d'emplois publics. Elle a largement rattrapé sinon dépassé les Etats-Unis où le spoils system (système des dépouilles) voit quelques milliers de postes changer de titulaires à l'arrivée d'un nouveau président changer. Mais on oublie trop souvent que ce système va avec un contrôle très important et effectif du Sénat qui donne "son avis et son consentement" sur les propositions présidentielles les plus importantes. Rien de cela en France où dans une liste qui n'a cessé de s'allonger figure de véritables sinécures, c'est-à-dire des "charges rétribuées qui n'exigent aucun travail"; ou qui, pour le moins vont avec de considérables avantages matériels ou symboliques.

C'est évidemment le cas de la Villa Médicis, "un des postes les plus convoités dans le monde européen" (Benamou dans Nice Matin du 14 janvier dernier). Mais il y en a tant d'autres: ainsi l'Institut du Monde Arabe à Paris; il aurait dû être dirigé par un diplomate expérimenté et capable d'en faire une institution utile pour la politique de la France mais Jacques Chirac à la fin de son mandat en fit cadeau à Dominique Baudis pour libérer la présidence du CSA.

Nous sommes ainsi les sujets d'une société de cour. Nobert Elias en fit l'analyse en démontrant comment au 17° et 18° siècle elle avait été un dispositif central dans l'avènement de nouveaux comportements de l'homme occidental. A ces époques ce type de société voyait naître des contraintes et des règles qui produisaient de nouveaux sentiments et styles de vie. De cette aristocratie inventive il ne nous reste que les pratiques de courtisans vivant des fantaisies d'un Bonaparte. Et le présidentialisme moderne que prétend être la V° république entretient cet archaïsme qui est un mal qui ronge la démocratie.

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