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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 21 mars 2022

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Le changement de République dans le débat présidentiel

A trois semaines du 1° tour de l’élection présidentielle, force est de constater l’absence de débat sur la démocratie et ses institutions, représentatives ou participatives. Pourtant nombreuses sont les propositions de changement du système politique que font plusieurs candidats. Etat des lieux.

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La situation est inédite au sortir du quinquennat d’Emmanuel Macron. Alors que ce dernier avait fait campagne en 2017, sur des propositions pouvant susciter l’intérêt, rien mais absolument rien, n’est venu réparer le champ ruiné des institutions de la V° République. Au contraire même, on a assisté à une aggravation de la pratique a-démocratique de celles-ci. Le présidentialisme a prospéré au gré des états d’exception, des crises sécuritaires et sanitaires, des législations exorbitantes entrées peu à peu dans le droit commun. On en est arrivé à un gouvernement hors sol, via le Conseil de défense (voir le billet sur ce blog : « Vivre avec le secret-défense » du 27/10/21). Lors de la présentation de son projet pour un nouveau quinquennat, le 17 mars dernier, E. Macron n’a rien trouvé de mieux que de promettre « une commission trans-partisane sur la réforme des institutions. Car elles en ont besoin ». C’est tout et c’est une indication de plus de son mépris pour les citoyens que cela concerne. Il aura ainsi fait que cette campagne présidentielle soit la première depuis celle de 2007, où il n’aura jamais été débattu d’une quelconque solution au cancer qu’est le présidentialisme français. Alors que les juristes (jusqu’au Conseil constitutionnel) considèrent que les engagements des candidat-e-s peuvent être la source d’un « mandat constituant » sur lesquels ils pourraient s’appuyer une fois élus, E. Macron rend cela impossible en restant muet. Le soliloque lui tient lieu d’absence d’idées. C’est un autre aspect du libéralisme autoritaire qu’il applique obstinément. S’il l’est, il sera donc élu par défaut, au moins sur ce terrain d’une réforme de la V° République.

En dépit du silence du Président de la république sortant, il y a pourtant bien des propositions faites par des candidat-e-s à cette élection. Vue sous cet angle, la scène politique se partage en deux registres, selon les réponses à la question: changer la République ou changer de République ? Avec leurs défauts.

1 – L’absence de méthode pour changer la République.

- Anne Hidalgo a confirmé le refus obstiné du Parti socialiste de sortir de l’abime de la République en place, en allant vers une 6° République, expressément écartée. Pourtant, elle estime que « notre régime est à bout de souffle ». Dans ses 70 propositions, elle propose de « revenir à la conception originelle de la V° République (avec) un Président qui garantisse mieux l’essentiel ». Et dans la pelote des moyens (de la reconnaissance d’un Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC), à un « recours aux ordonnances strictement limité »), on découvre que le Premier ministre se verra « transférer les pouvoirs de nomination » du président de la République. Très bien. Encore mieux : vingt ans après, elle ose même (mais tellement discrètement que personne ne l’a relevé) condamner l’inversion du calendrier électoral par Lionel Jospin : les élections législatives devant « se dérouler avant la présidentielle ». A cela s’ajoute la promesse d’une nouvelle et vaste réforme de la décentralisation. Le mode d’emploi de cette « République vivante, une démocratie continue » n’est nulle part exposé. Or un catalogue n’a jamais tenu lieu de méthode politique et constitutionnelle.

- Yannick Jadot adopte une démarche assez semblable, contenue dans 120 propositions. Il n’évoque pas l’idée d’une 6° République. Il se prononce pour un septennat non renouvelable, l’élection de l’Assemblée nationale à la proportionnelle intégrale par Départements, la fusion du Sénat avec le CESE, l’instauration d’un Référendum d’initiative populaire avec 900.000 signatures. Et aussi l’adoption d’un statut d’autonomie pour la Corse. Il est allé jusqu’à déclarer (12-12-21 France Info) : « Je veux redonner à notre pays un régime parlementaire. (…) Le vrai couple qui va diriger notre pays, c’est la présidence de la République et celle de l’Assemblée nationale devant laquelle le gouvernement sera responsable.». Curieusement il est depuis resté silencieux sur le rôle du Premier ministre (qui serait une femme), restant en deçà de l’article 20 de l’actuelle Constitution (« le gouvernement est responsable devant le Parlement »). Ce qui ressort de cela, c’est la mise au placard du rapport très détaillé (« Osons le big-bang démocratique ») de la Fondation pour la Nature et l’Homme (ex Nicolas Hulot) adopté en Février 2017 à la veille de la Présidentielle. Très proche de propositions comme celles de la Convention pour la 6° République, actualisées en septembre 2014, ce rapport faisait une large part à la démocratie participative pour impliquer réellement la volonté populaire dans cette transformation de la République. Il n’en est plus question. Son appel à son seul grand meeting, le 27 mars à Paris, s’appuie sur « 10 propositions pour changer la France ». Pas une seule ne concerne la question démocratique. C’est peut-être Sandrine Rousseau qui donne la clé de cette étonnante régression dans la campagne d’ Y. Jadot : « On a voulu rentrer dans le moule de la V° République, mais on n’y arrive pas, car cela ne correspond pas à ce qu’on est, à ce qu’on prône ». » (Libération, 9/3/22).

2 – L’absence d’assurance pour changer de République

- François Roussel a adopté 180 propositions parmi lesquelles il se prononce pour une batterie de « moyens » pour «une nouvelle République (et) rendre au peuple sa pleine souveraineté ». Cela va de la suppression pure et simple de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct, en passant par le transfert de ses prérogatives au Premier ministre et au gouvernement, jusqu’à la proportionnelle intégrale pour l’élection d’une Assemblée nationale qui retrouvera ses pleins pouvoirs. De nouveaux droits (de pétition, d’initiative référendaire à partir d’un million de citoyens, de co-législation par des conférences citoyennes) sont prévus. Un Conseil national des Medias sera fondé et la décentralisation fera l’objet d’une refonte passant par une révision du découpage des 13 Régions. Ainsi, s’il n’est nulle part mentionnée une 6° République, l’idée est d’aller vers un système primo-ministériel à partir d’une retouche des articles de l’actuelle Constitution (la suppression de l’article 49-3 étant curieusement érigé en objectif central). Bref, changer, éventuellement, de République. Mais la discrétion est de règle sur les modalités de ce changement impliquant une vaste révision de la Constitution.

- Jean-Luc Mélenchon a fait tout le contraire et avec constance, depuis « la Marche pour la 6° République » organisée avec succès place de la Bastille le 5 Mai 2012. Il la reprise à l’identique le 20 Mars 2022. Son intérêt pour le sujet est resté constant et grand. Dès le 7 février 2021, il a tenu un « forum numérique » d’une journée sur la chaine YouTube de la France Insoumise. Il y a affiché son intention de « changer pour de bon et de fond en comble » le système politique français. Il y consacre le premier chapitre de son « Programme pour l’Union Populaire » de 2022. Il relance ainsi régulièrement un projet qu’il a fait sien dès sa première campagne présidentielle. Le temps écoulé depuis, et cet engagement qui force le respect, n’ont pour autant pas été mis à profit pour corriger les lacunes de ce projet. Elles sont au nombre de trois : une fétichisation excessive de l’Assemblée constituante qui sera chargée « d’engager le processus constituant » (sans que, ni sa composition, ni sa nature ne soient clairement définies alors que son excessive durée -2 ans- reste inexpliquée) ; une faiblesse insigne des propositions pour associer efficacement les citoyens à la délibération constitutionnelle ; une absence quasi totale de définition de la transition politique pendant ce processus. Et les propos de campagne de Jean-Luc Mélenchon augmentent l’inquiétude sur ce point essentiel. Pour exemple, ce Tweet du candidat lui-même au sortir du Grand Jury sur LCI le 9 janvier dernier : « « Pendant le travail de la Constituante, et avant de passer à la 6° République (soit deux années), je serai un Président de plein exercice. J’aurai en charge le temps long, dans un esprit plutôt proche de ce qu’avait imaginé le Général De Gaulle ». Un propos de nature à nous rappeler le grand écart de François Mitterrand entre la dénonciation du « Coup d’Etat permanent » et son assimilation parfaite de la V° République en 1981. Ces approximations ne peuvent pas rassurer les citoyens intéressés par un changement de régime mais qui ne veulent pas s’y engager à n’importe qu’elles conditions.

- Philippe Poutou a, sans nul doute le programme le plus radical. Il propose d’ « abolir la 5° République » et de la remplacer par une « République sociale du monde du travail ». Il précise toutefois que « passer à une 6e République avec un régime parlementaire est insuffisant. On ne peut en finir avec le capitalisme dans le cadre d’institutions conçues pour le préserver. Il faut les renverser et en fonder de nouvelles, au service et sous le contrôle des travailleurs·euses et de la population. ». Cela se traduit par « la suppression de la présidence de la République et du Sénat, la mise en place de mesures de démocratie directe (RIC), la proportionnelle intégrale à toutes le élections, l’interdiction du cumul des mandats (et leur limitation dans le temps), la révocabilité des élu-e-s ». On peut regretter que P. Poutou n’ait pas mis à profit le temps passé depuis sa précédente candidature pour étayer ses propositions et définir les modalités de la transition vers ce nouveau régime, même avec ou après un « grand soir ».

Reste une sorte de codicille que vient greffer la guerre en Ukraine. Elle nécessite que soit qualifié et analysé l’impérialisme « grand-russe » qui en est la cause essentielle. Celui-ci est un produit du temps long durant lequel le nationalisme slave a reçu une version moderne qui relie Staline à Poutine, chef d’une junte oligarchique prédatrice. Cet impérialisme repose sur une négation radicale des libertés et droits fondamentaux. Il est le nom d’une destruction physique et historique de la démocratie sociale et politique, sous quelque forme que ce soit. A ce seul titre, cette guerre défie notre combat démocratique : il y a un lien entre le changement de régime chez nous et l’arrêt de la guerre là-bas.

Le soutien à la résistance ukrainienne peut donc être une matière qui vient s’ajouter aux propositions examinées ici. Celles des candidats sur ce sujet sont alors aussi importantes que celles sur la République. Et sans remonter à un passé récent ou faire des procès d’intention, celles de F. Roussel et de J.L. Mélenchon posent problème: s’en tenir à la demande de conférences de l’OSCE, ou des Etats européens, sur les frontières ou la paix, ne suffit pas. Pas plus que la revendication d’ « une autre alliance de la France sur la scène internationale » en évoquant les mânes de Bandung (la conférence des non-alignés en 1955) . J.L. Mélenchon (auteur de cette demande) est allé plus loin : lors du meeting qu’il a tenu à La Réunion le 26 février dernier, il a vertement critiqué l’envoi d’armes en Ukraine qui aurait pour effet de « nous fourrer dans ce nid de frelons ». C’est un propos inquiétant et injurieux pour les Ukrainiens.

Quoi qu’il en soit, les propositions sur le changement de République ici recensées, sont assez nombreuses pour favoriser des échanges, des débats et des confrontations entre tous les candidats qui les portent. Cela n’a jamais eu lieu et n’aura pas lieu dans les 20 jours qui nous séparent du 1° tour de l’élection. Si bien que la 6° République apparaît plus comme un slogan que comme un programme réfléchi en commun.

C’est au Chili que semble se réaliser ce rêve de l’accomplissement d’un vrai changement démocratique : l’élection d’un nouveau et jeune président de la République, Gabriel BORIC, appuyé sur un mouvement social et de vrais délibérations,  accompagnant le travail d’une efficace assemblée constituante. Presque un demi siècle après l’assassinat de Salvador Allende, c'est une belle et réconfortante revanche de l’Histoire.

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