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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 26 février 2009

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Où va l’Europe?

Entre l’ouverture de la crise mondiale il y a six mois et à trois mois des élections de son Parlement, l’Union Européenne est à mi-chemin entre deux défis majeurs: sa capacité à faire face à la fois à la grande dépression qui la divise et au déficit démocratique qui la ronge. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne relève aucun des deux.

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Entre l’ouverture de la crise mondiale il y a six mois et à trois mois des élections de son Parlement, l’Union Européenne est à mi-chemin entre deux défis majeurs: sa capacité à faire face à la fois à la grande dépression qui la divise et au déficit démocratique qui la ronge. Le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne relève aucun des deux.

Une Union malade de la crise.

Que ce soit dans l’urgence pour sauver ses banques ou dans le long terme pour relancer son économie, l’Union Européenne s’est avérée totalement impuissante à prendre des mesures à la hauteur de la situation. Elle a ainsi laissé s’installer une double fracture : une fracture Est-Ouest puisqu’elle a été incapable jusqu’ici de venir en aide aux nouveaux pays-membres. La Lettonie et la Hongrie ont dû faire appel au FMI et l’Autriche tête de pont bancaire de ce grand Est appelle au secours. C’est donc l’élargissement de l’UE qui est en cause. Ceux qui disaient qu’il avait été politiquement bâclé sont rejoints par ceux qui constatent ce « chacun pour soi » économique et financier. Mais il y a aussi une fracture Nord-Sud qui est en train de s’établir plus discrètement : les spéculateurs sont à l’œuvre pour tirer profit des difficultés des Etats les plus fragiles. Le service de la dette du Portugal, de l’Espagne, de l’Italie et de la Grèce appelle des taux d’intérêt qui n’en finissent pas de grimper (5,8% en Grèce contre 3,8% en France). Ce service peut rapidement devenir insupportable si cette spéculation continue, conduisant les Etats à la faillite. Et à terme c’est bien la monnaie unique qui peut être remise en cause. Que peut faire la BCE ? Rien, absolument rien puisque les traités de Maastricht et d’Amsterdam lui interdisent de racheter la dette des Etats-membres.

On (re)découvre donc les limites organiques de cette Union de plus en plus réduite à un grand marché régional de la « mondialisation heureuse ». Elle n’a pas de budget digne de ce nom ; il est limité à I% du PIB communautaire (120 Milliards d’Euros), le plafond légal étant à 1,24%. Elle n’a pas de politique monétaire, notamment à travers la gestion des taux de change de sa monnaie. Au contraire des Etats-Unis où cette gestion est du seul ressort de la Maison-Blanche (d’où un dollar délibérément faible pour soutenir les échanges commerciaux), l’UE a entièrement délégué le pilotage des taux de change et d’intérêts à la seule BCE, institution totalement apolitique et en cela unique au monde. Enfin l’UE n’a pas de fonctionnement adapté à la crise ; elle va de mini-sommets en mini-sommets, incapables de surmonter ses divisions internes : la France et l’Allemagne contre la Grande-Bretagne pour tout ce qui concerne la régulation des marchés financiers ou les paradis fiscaux ; la France contre l’Allemagne sur la politique économique et l’harmonisation des mesures de relance. Quant aux pays d’Europe centrale, ils continuent à croire que la crise n’est pas pour eux et persévèrent dans la foi du charbonnier néo-libéral.

Résultat de cette décomposition : personne (sauf sans doute Jean-Claude Juncker président de l’Eurogroupe) ne parle de lancer un grand emprunt européen, les pays de la zone Euro considérant qu’ils n’ont qu’un intérêt national à défendre. Quant aux structures de « gouvernance », elles se perdent dans l’informel : le G4 (Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie) est devenu G6 (avec l’Espagne et les Pays-Bas) mais ne sait plus comment influencer le G8 (avec les Etats-Unis, la Russie, le Japon et le Canada), sans parler du G20 qui se réunira dans un mois à Londres. Il n’est qu’à voir les résultats de sa réunion de Berlin dimanche dernier : les menaces contre les paradis fiscaux ou le plafonnement des bonus des traders sont de pure forme.

Une Union toujours plus dépolitisée.

A l’aune des besoins suscités par la crise, les structures de l’UE sont plus que jamais en complet déphasage. Il n’existe toujours pas le moindre gouvernement économique : l’Eurogroupe, en place depuis 1997, est une simple commission facultative chargée de « dialoguer » avec la BCE. Elle n’est en rien une instance de décision qu’est censé être le conseil Ecofin où seuls siègent les Etats-membres de la zone euro ; il n’a pas le moindre pouvoir vis-à-vis de la BCE. Plus grave encore, la Commission, seule structure « intégrée » de l’Union s’avère sans moyen face à la crise : ni budgétaire, ni monétaire. Les commissaires les plus concernés par la crise se sont avérés totalement impuissants à commencer par le premier d’entre eux, José Baroso principalement préoccupé de sa réélection. Vu sous cet angle le bilan de la présidence française est calamiteux : rien n’a été fait pour renforcer la capacité d’agir de l’Union. Ce sont les Etats et seulement quelques-uns d’entre eux qui ont pris le contrôle intergouvernemental de l’ensemble des institutions. L’Union ne fonctionne donc plus qu’au carburant de la coordination dont Jean Monnet avertissait qu’elle « est l’expression du pouvoir national tel qu’il est ; elle ne peut pas le changer ; elle ne créera jamais l’unité ». L’exemple de cet enlisement provoqué par le choix de la coordination est l’échec du seul grand projet de la décennie, la stratégie de Lisbonne adoptée en 2000. Il s’agissait de faire de l’Europe « l’économie de la connaissance la plus dynamique du monde à l’horizon 2010 ». Cet horizon atteint, la coquille est restée vide, chaque Etat ayant gardé la responsabilité de mettre en œuvre les politiques publiques et les investissements ad hoc prévus dans le projet. La valeur ajoutée de l’UE est restée nulle parce que les budgets n’ont pas été communautarisés.

Ce constat en appelle un second, sur la même décennie écoulée : depuis le sommet de Nice en 2000 le projet de constitutionnalisation de l’UE est un échec absolu. Ratifié ou pas le Traité de Lisbonne ne saurait masquer l’aggravation de la fragmentation des peuples européens : l’écart entre le plus riche et le plus pauvre est de 1 à 46 ; les identitarismes se sont réveillés au gré de l’effondrement des systèmes idéologiques ; l’Union, c’est toujours plus de marché et toujours moins de politiques publiques. Ses compétences sont centrées sur la concurrence et la monnaie sans qu’elles aient pu entraîner une dynamique démocratique et sociale. C’est Hubert Vedrine qui le rappelait opportunément (dans Le Monde du 19 juin 2008) après l’échec du référendum irlandais : « Tout le monde sait que s’il y avait eu des référendums partout, le non l’aurait emporté dans plusieurs pays. Le désaccord entre les élites et la population est désormais flagrant ». Il faut donc en finir avec la fétichisation des institutions et des traités et admettre que la méthode de l’intégration est devenue stérile. Il faut revenir aux politiques communes sectorielles, de l’énergie, de l’environnement, de la régulation financière (à travers la réforme des institutions internationales comme le FMI, l’OMC, l’OCDE…) assortie d’une stratégie à long terme vis-à-vis des pays émergents. Cela permettait de lancer des grands travaux d’infrastructures (fret ferroviaire, TGV, grands canaux, réseaux Internet à haut débit) financés par des emprunts levés par la BEI. Cela permettrait de sortir de la logique exclusive du marché et de soutenir l’économie sociale et les services publics qui semblent reconquérir une vraie légitimité grâce à la crise.

Tout cela exigera une reconsidération de bien des certitudes, dont l’indépendance absolue de la BCE est un emblème. Certains comme Sarkozy rêvent à une présidentialisation des institutions en travaillant à l’installation de la présidence stable du conseil. C’est oublier que même si le traité de Lisbonne s’applique, les prérogatives de ladite présidence resteront dans le flou, 90% des activités du Conseil demeurant du ressort de la présidence tournante semestrielle. Et finalement seuls l’Eurogroupe et le conseil des ministres des affaires auront à connaître de la présidence dite stable et du Haut représentant des affaires étrangères (dont il se demande toujours quelle politique il appliquera).

Les élections européennes vont donc avoir lieu à la fin d’un cycle politique dont rien ne dit de quoi sa sortie sera faite. Les partis devraient donc partir de ce constat et dire clairement comment ils envisagent l’avenir politique et social des peuples européens.

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