Daniel Schneidermann y a recours dans Libération de ce 25 avril. Mais le pompon est attribué à Gérard Grunberg dans Telos du 23 avril. Grunberg en trois mots : Directeur de recherches émérite au CNRS (dont il a présidé la section science du politique), membre du cabinet du Premier ministre Michel Rocard en 1989, chevalier de la Légion d’Honneur. Bref l’allégorie du « politologue du Prince » comme l’avait qualifié un jour le politiste Alain Garrigou. Et donc directeur de Telos, une « agence intellectuelle d’inspiration réformiste sans esprit partisan dans un espace français livré aux passions hexagonales » (auto-définition). Autant dire qu’on y a une sacrée ambition, quasi prométhéenne. Patatras, le papier publié par Grunberg n’est pas vraiment à la hauteur de celle-ci. Qu’on en juge.
Dans Telos, il se livre à une charge pseudo-savante contre «le toujours-trotskiste Plenel » accusé d’avoir étalé sa « haine » et sa « détestation de la démocratie libérale » (sic et re-sic). Résumons : Plenel a rappelé à Macron qu’il n’avait réuni que 18% des électeurs inscrits au 1° tour de la Présidentielle. Il en aurait donc déduit qu’il n’avait pas de « légitimité suffisante pour appliquer son programme » (ce n’est pas du tout ce qui a été dit mais qu’importe). En cela il défendrait le « système des démocraties illibérales » qui permet « seul d’atteindre la majorité absolue des électeurs inscrits ». La raison d’un tel « ridicule et orgueilleux » refus d’accepter les « règles en vigueur dans notre République pour désigner nos gouvernants » ? : « Edwy Plenel a toujours détesté la démocratie libérale. Il a toujours été un révolutionnaire trotskiste. »
Ce propos polémique mérite-t-il controverse ? Oui, si l’on prend quelque peu au pied de la lettre la volonté de Telos d’être un « lien entre intellectuels et medias » (toujours l’auto-définition) dans l’espace néo-libéral de cette « pauvre France ». Trivialement dit, d’être en ce moment l’intellectuel collectif d’un toujours énigmatique macronisme.
Grunberg fonde « le désaccord de fond entre nous (tiens donc ?) et le toujours-trotskiste Plenel » sur le corrélat juridique entre faiblesse légale de la participation citoyenne à des élections et légitimité politique qu’elle engendre. Il passe la première par profits et pertes bien qu’elle ronge de l’intérieur le système de la démocratie représentative. Même le vice-président LREM de l’Assemblée Nationale convient qu’il y a là un grave problème : « Il faut moderniser la démocratie. Un électeur sur deux n’est pas allé voter à la dernière présidentielle » (Hugues Renson dans Le Figaro de ce 26 avril). Les travaux sur ce sujet surabondent mais ils sont sans doute, pour Grunberg le produit de recherches trop souvent inspirées de Bourdieu pour en retenir le diagnostic. Il a toujours campé dans le champ des laudateurs de la V° République, ne s’autorisant ces derniers temps qu’une certaine évolution en faveur de la proportionnelle. Pas jusqu’au point d’admettre l’effet plus que pervers de la captation des élections législatives par l’élection présidentielle. Il va même jusqu’à se moquer de Plenel qui aurait « oublié qu’en 1988, François Mitterrand, largement réélu, n’avait pas disposé lors des législatives qui eurent lieu dans la foulée de l’élection présidentielle, d’une telle majorité absolue ». Dommage que notre politologue ait la mémoire encore plus courte en oubliant l’opinion de Mitterrand tombée du haut de la roche de Solutré le jour de Pentecôte 1988 : « Il n’est pas sain qu’un seul parti gouverne ». Une opinion restée célèbre, bien faite pour compliquer la tâche des socialistes et de leur premier Ministre désigné de l’époque, Michel Rocard (voir plus haut). Ce fut un moment unique dans l’histoire de la V° République où l’on vit un président de la République oeuvrer avec succès contre une majorité absolue de son parti à l’Assemblée Nationale. Grunberg l’a curieusement oublié.
Suit une injonction lancée à Plenel de dire « par quels moyens et procédures dans le régime politique qu’il souhaite voir s’instaurer à la place de notre régime politique, une force politique pourrait acquérir la pleine et entière légitimité pour appliquer son programme . Une révolution populaire ? Et ensuite ? ». On peut certes cruellement regretter qu’un si long débat télévisé n’ait pas donné lieu à des échanges sur ce sujet. Notamment sur l’actualité de l’enlisement sénatorial de Macron de réformer le système politique du pays. On trouvera ici et dans ce blog une série d’analyses en temps réel depuis un an, de cette histoire d’une promesse perdue. Mais on ne trouvera quasiment rien dans Telos sur la question (hormis un échange entre chercheurs de Science Po sur « le rétrécissement du Parlement »). Pour suivre et comprendre ce débat-là, mieux vaut lire Le Figaro. Contempteur paresseux et obstiné d’une quelconque 6° République toujours traitée par le mépris, il ne vient pas un instant à l’idée de Grunberg d’une sortie quelconque, modestement mendésiste, du présidentialisme bonapartiste dans lequel nous baignons.
On conclura avec une dernière remarque sur le trotskisme responsable in fine de tant d’erreurs puisque pris dans la célèbre filiation Staline-Lénine-Robespierre. Grunberg révèle une totale indifférence à ceux qu’aura abrité ce mouvement, de 1945 au sortir de la guerre, avec des personnalités comme Michel Pablo ou Cornelius Castoriadis, jusqu’à 1968 et après, avec Daniel Bensaïd par exemple. Ils ont produit des problématiques concernant entre autres les rapports entre institutionnalisation de la démocratie dans la société de marché et cristallisation de la forme parti dans le mouvement ouvrier, qui restent d’une précieuse et utile modernité. Loin de la suffisance de Télos, il y a là des écrits d’une grande pertinence pour tous ceux qui pensent qu’un autre monde, si ce n'est une autre République, est possible. Le trotskisme n’est donc pas une injure sauf, à l’évidence, dans le tout petit monde des certitudes bien établies de Gérard Grunberg. Ce en quoi il rate sa cible.
Boite noire : l’opportunité de ce billet, pas plus que son contenu n’ont fait l’objet d’un quelconque échange avec Edwy Plenel avant sa mise en ligne.