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Professeur Emérite à l'Université de Montpellier. Doyen honoraire de la Faculté de Droit. Président de la Convention pour la 6° République (C6R).

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Billet de blog 26 septembre 2025

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Sur les désarrois de Jérome Jaffré

Ce vendredi 26 septembre, France Inter consacrait son débat avec « l'invité du 8h20 » à l'analyse de la condamnation de Nicolas Sarkozy. Le politologue Jérôme Jaffré y a fait part d'un singulier « bouleversement ».

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’était donc au grand débat de la radio la plus écoutée de France, animé ce jour par Ali Baddou et Marion L’Hour. Y étaient invités, Sara Ghibaudo, chef du service police-justice de France Inter, Fabrice Arfi de Médiapart (qu’on n’a plus à présenter ici) et Jérôme Jaffré.

Ce dernier non plus, n’aurait pas â à être présenté tant sa présence sur toutes les ondes, médias et autres presses écrites, en a fait une quasi-institution. Qualifié de « mémoire vive de la V° République » (il a 76 ans) par Ali Baddou, il était là en tant que « chercheur associé au Cevipof ». Lequel est, d’après les autodéfinitions de l'organisme, « le laboratoire de référence en science politique », « centre majeur en France » pour tout ce qui touche au comportement électoral (jusqu’à ses « biais psychologiques » !), mais aussi à la vie politique en général. La présence de ce centre sur le marché des sondages en a fait un opérateur très actif dans la « fabrication de l’opinion publique ».

Cette notion a été l’objet d’une abondante littérature critique (en particulier sur les sondages), depuis les écrits de Walter Lippmann (1922) jusqu’à ceux de Pierre Bourdieu (1973), poursuivis depuis par ceux d’authentiques politistes tels Loïc Blondiaux, Patrick Champagne, Patrick Lehingue.

Jérôme Jaffré est un pur produit de cette interprétation de l’opinion à partir des sondages, administrés par de grandes entreprises. Il a été longtemps directeur de la SOFRES à la fin des années 1980-90. Ses commentaires sont généralement empreints de quiétude, sages réflexions, doux équilibres.

Or le voilà ce matin qualifier d’un mot : « bouleversant ! » ce que lui inspire la condamnation de Sarkozy. Et il le décline avec des appréciations sur une « justice trop sévère », qui a « mal fait son travail », qui fait passer « les responsables politiques de malfaisants à malfaiteurs ».

Conséquence : « une perte de confiance dans les institutions ». Et « c’est tout le pays qui est touché (…) C’est un effondrement de toute la relation à la politique (…) Imaginez la prochaine enquête d’opinion : elle sera ravageuse pour les responsables politiques considérés depuis longtemps déjà comme corrompus ».

Cerise sur le gâteau, l’évocation (deux fois) du capitaine Dreyfus que Sarkozy aurait quelques raisons à solliciter. Comme le disait Alphonse Allais, « Une fois qu’on a passé les bornes, il n’y a plus de limites ».

Ces propos ne sont pas seulement en rupture avec le style habituel du politologue. Ils sont la manifestation d’un total aveuglement sur les véritables causes des crises qu’il évoque.

Crise de confiance de la société sur la politique : elle bat tous les records européens depuis plusieurs années déjà (voir les enquêtes comparatives du Cevipof notamment).

Crise de confiance dans les institutions : même record, amplifié par la crise de régime dans laquelle est plongée la V° République depuis plus d’un an.

Et si c’était dans cette direction que Jérôme Jaffré aurait intérêt à réfléchir ? Comment ne pas voir le carburant de l’association de malfaiteurs (et du soupçon du pacte de corruption) du multicondamné, dans le comportement bien décortiqué par les juges, d’un président de la République totalement intouchable, biberonné au lait de l’irresponsabilité absolue ? Une énième version du « qu’ils viennent me chercher ! » d’Emmanuel Macron au cœur de l’affaire Benalla en 2018, forfanterie d’autant plus ravageuse qu’il était le premier à savoir que cela était tout simplement impossible en respectant la Constitution. Une Constitution dont une autre condamnée du nom de Le Pen (la première à se porter en défense de Sarkozy) chante les louanges et promet de conserver intégralement si elle arrivait à l’Elysée.

L’idée d’une corruption sécurisée par ce pouvoir intouchable qu’organise jour après jour le présidentialisme, est au principe mortifère de ce régime.

« Le problème, rappelait Fabrice Arfi au terme de cette émission, ce ne sont pas les juges ce sont les faits ». Dans une société où la domination présidentielle forge quotidiennement notre imaginaire politique, la lutte pour « dire la vérité, toute la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste » comme disait Péguy, est un programme manifestement subversif. Il fait encore aujourd'hui, tomber le voile des peudo-prophètes de l’opinion publique dont Jérome Jaffré est une éminente figure.

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